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Page:Zola - Vérité.djvu/434

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même le laisser tranquille, à cause de la religion… Moi aussi, j’ai lu, et ça me fait réfléchir.

— Ah bien ! conclut Fernand, s’il fallait encore réfléchir après avoir lu, on n’en finirait jamais. Vaut mieux rester tranquille dans son coin.

Marc allait protester de nouveau, lorsqu’un bruit de pas le fit se tourner. C’étaient le père Bongard et sa femme, qui, de leur côté, revenaient des champs, avec leur fille Angèle. Bongard avait entendu les paroles de son fils, et il se tourna vers l’instituteur.

— C’est bien vrai, monsieur Froment, ce qu’il dit là, le garçon. Et le mieux est de ne pas se casser la tête à lire tant d’affaires… De mon temps, nous ne lisions pas le journal, et nous n’en étions pas plus malheureux. N’est-ce pas ? la femme.

— Pour sûr ! appuya énergiquement la Bongard.

Mais Angèle, qui, elle, malgré sa tête dure, avait obtenu son certificat d’études, chez Mlle Rouzaire, à force d’obstination, souriait d’un air éveillé. Toute sa face obscure encore, au nez court, à la bouche grande, semblait s’éclairer par moments d’une lumière intérieure, en lutte pour percer l’épaisse matière. Elle allait épouser le mois suivant Auguste Doloir, le frère de sa belle-sœur Lucile, un fort gaillard, maçon de son état comme son père, pour lequel elle nourrissait un avenir ambitieux, quelque entreprise à son compte, lorsqu’elle serait là et qu’elle le dirigerait. Et elle se contenta de dire :

— Moi, j’aime mieux savoir. On n’arrive à rien, quand on ne sait pas. Le monde vous trompe et vous vole… Hier encore, maman, tu aurais donné trois sous de trop au rétameur, si je n’avais relu sa note.

Tous hochèrent la tête, Marc continua sa promenade, songeur. Cette cour de ferme, où il venait de s’arrêter quelques minutes, n’avait point changé depuis l’époque lointaine,