Page:Zola - Vérité.djvu/451

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— Et la demande de secours que vous avez adressée à la préfecture, comme veuve d’instituteur ?

— Oh ! monsieur Froment, on ne nous a pas répondu. Puis, lorsque je me suis risquée à me présenter moi-même, j’ai bien cru qu’on allait m’arrêter. Un grand brun, avec une jolie barbe, m’a demandé si je me fichais du monde d’oser rappeler le souvenir de mon mari, le déserteur, l’anarchiste, le condamné du conseil de guerre, qu’on avait dû abattre comme un chien enragé. Et il m’a fait tellement peur, que je cours encore.

Puis, comme Marc, frémissant, se taisait, elle s’enhardit de plus en plus.

— Mon Dieu ! mon pauvre Férou, un chien enragé ! Vous l’avez connu, vous, quand nous étions au Moreux. Il ne rêvait que dévouement, fraternité, vérité, justice, et c’est à force de misère, de persécutions et d’iniquités, qu’on a fini par le rendre fou… Lorsqu’il m’a quittée pour ne plus revenir, il m’a dit : « La France est un pays fichu, complètement pourri par les curés, empoisonné par les journaux immondes, enfoncé dans une telle boue d’ignorance et de crédulité, que jamais plus on ne l’en tirera… » Et, voyez-vous, monsieur Froment, il avait raison.

— Non, non, madame Férou, il n’avait pas raison. Il ne faut jamais désespérer de son pays.

Mais elle s’emportait maintenant, elle cria :

— Je vous dis, moi, qu’il avait raison !… Vous n’avez donc pas d’yeux pour voir ? N’est-ce pas une honte, ce qui se passe au Moreux, ce Chagnat, cette créature des prêtres, dont tout l’effort est d’abêtir les enfants, au point que, depuis des années, pas un d’eux n’a obtenu son certificat d’études ? Et M. Jauffre, votre successeur à Jonville, en voilà encore un qui fait de la belle besogne, pour complaire à son curé, l’abbé Cognasse ! Du train dont ils s’y emploient tous, on espère bien que la France va désapprendre à lire et à écrire avant dix ans.