au même poste, dans une cour d’appel voisine à Mornay, où il achevait de s’aigrir, désespéré de ne s’être pas encore haussé jusqu’à Paris, malgré sa souplesse adroite sous tous les ministères. Le juge d’instruction Daix, devenu conseiller, n’avait pas quitté la ville, toujours torturé par la terrible Mme Daix, dont l’ambition, le besoin de luxe inapaisés, ravageaient le pauvre ménage ; et le pis était qu’on disait Daix, comme Jacquin, en proie au remords sur le point d’échapper à l’âpre autorité de sa femme, en racontant comment autrefois il avait eu la lâcheté de l’écouter, au moment de rendre une ordonnance de non-lieu, devant le manque de preuves. Tout le Palais était ainsi bouleversé, traversé de grands courants de colère et de terreur, dans l’attente du cataclysme qui finirait par emporter l’antique charpente vermoulue de la justice humaine.
Et, dans Beaumont, le monde politique n’était pas moins secoué, éperdu. Le député Lemarrois, maire de la ville, sentait sa situation d’ancien républicain radical débordée, près d’être emportée par cette crise suprême qui déclassait les partis en faisant monter à l’horizon les forces vives du peuple. Ainsi le salon si fréquenté de l’intelligente Mme Lemarrois venait-il encore d’accentuer son orientation réactionnaire. On y revoyait beaucoup Marcilly, jadis le député de la jeunesse intellectuelle, l’espoir de la pensée française, aujourd’hui tombé dans une sorte de paralysie politique, effaré de ne plus voir où était son intérêt personnel, immobilisé par la continuelle crainte de n’être pas réélu. On y rencontrait aussi le général Jarousse, d’une nullité agressive, depuis qu’on ne songeait plus à lui pour un coup de main militaire, comme éperonné sous les continuelles criailleries de sa femme, la petite et noire Mme Jarousse, si desséchée, qu’on la disait sage maintenant. Le préfet Hennebise venait même parfois, accompagné de la tranquille Mme