Page:Zola - Vérité.djvu/475

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grandit encore, à mesure qu’il le pénétra davantage, d’une pauvreté d’arguments extraordinaire, d’une maladresse insigne, dans sa vanité d’homme accoutumé à n’être jamais contredit. Etait-ce donc là le profond diplomate dont le génie astucieux était redouté de tous et dont on voulait voir la main au fond de chaque événement, dirigeant le monde ? Dans cette fâcheuse rencontre, si misérablement préparée, il apparaissait au contraire comme un pauvre esprit éperdu, se livrant trop, et sans raison, incapable de soutenir sa foi contre un interlocuteur simplement raisonnable et logique. Un médiocre, il n’était que cela, un médiocre, avec une façade de qualités mondaines, dont l’éclat trompait les passants. Sa force réelle se trouvait uniquement faite de la bêtise du troupeau, de la soumission avec laquelle les fidèles se courbaient sous l’absolu indiscutable de ses affirmations. Et Marc, devant cette médiocrité du personnage, finit par comprendre qu’il avait en face de lui un simple jésuite d’apparat, à qui l’ordre permettait de se mettre en avant, de briller et de séduire pour le décor, tandis que, derrière, d’autres jésuites, par exemple le père Poirier, le père provincial installé à Rozan, dont on ne prononçait jamais le nom, menait tout du fond de sa retraite, en grande intelligence ignorée et souveraine.

Cependant, le père Crabot eut la finesse de s’apercevoir qu’il venait de faire fausse route avec Marc, et il rattrapa comme il put le terrain perdu. Cela se termina par des politesses froides, de part et d’autre. Puis, le baron Nathan, qui avait dû rester derrière la porte, reparut, l’air déconfit lui-même, n’ayant plus que l’évident désir de débarrasser vivement la Désirade de ce petit instituteur, assez sot pour n’avoir pas compris où était son intérêt. Il l’accompagna jusqu’au perron, il le regarda partir. Et, lorsque Marc retraversa le parterre, au milieu des eaux ruisselantes, parmi les nymphes de marbre, il