son mari dans un tel élan de jeunesse, que lui-même avait pu croire la posséder tout entière. Et, d’ailleurs, si des craintes sourdes lui étaient restées, il avait passé outre, l’adorant, se croyant assez fort pour la refaire à son image, remettant cette conquête morale à plus tard, dans l’étourdissement de son bonheur. Puis, la tare ancienne avait reparu chez elle, et il s’était de nouveau montré faible, tardant à agir sous le prétexte noble de respecter sa liberté de conscience, la laissant se remettre à la pratique religieuse, fréquenter l’église, s’y oublier. C’était toute son enfance qui repoussait, le poison mystique non éliminé encore, une crise fatale chez les âmes des femmes nourries d’erreurs et de mensonges, aggravée chez elle par la fréquentation d’une grand-mère dévote et dominatrice. Les faits, l’affaire Simon, la communion différée de Louise, avaient alors précipité la rupture entre les époux. En elle, brûlait surtout un désir éperdu d’au-delà dans la passion, un espoir de trouver au ciel le bonheur illimité et divin, promis jadis à ses sens précoces de fillette ; et son amour pour Marc s’était obscurci simplement devant le rêve de ces extases que chantent les cantiques, une dilection plus haute et toujours décevante. On avait eu beau l’exalter, lui mentir, la faire agir contre son mari, en lui promettant de la hausser à la vérité supérieure, à la félicité parfaite. Sa continuelle défaite était partie de son abandon du seul bonheur humain naturel et possible, car jamais plus elle ne s’était rassasiée, elle avait vécu dans une détresse croissante, sans repos ni joie, malgré son entêtement à se dire heureuse du vide de sa chimère. Maintenant encore, elle n’avouait pas le néant où l’avaient laissée les longues prières sur les dalles froides des chapelles, les communions inutiles, trompant son espérance de sentir enfin dans sa chair et dans son sang la chair et le sang de Jésus, devenus siens, l’union d’éternelle allégresse. Mais la bonne nature la
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