Page:Zola - Vérité.djvu/56

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— D’ailleurs, c’est lui sûrement, puisqu’on a trouvé dans la bouche de l’enfant un modèle d’écriture, qui venait de sa classe. N’est-ce pas ? le maître seul pouvait l’avoir dans sa poche, ce modèle. On le dit même signé de lui. Et, du reste, chez la fruitière, une dame assurait que la justice avait, trouvé, dans son armoire, une quantité de modèles tous pareils.

Cette fois, Marc opposa la vérité, parla du paraphe illisible, expliqua comment Simon jurait n’avoir jamais eu le modèle entre les mains, bien que, d’usage courant, il pût se trouver dans toutes les écoles. Mais, Pélagie ayant affirmé de nouveau que, le matin, pendant une descente de justice, on avait découvert des preuves accablantes, il finit par éprouver un grand trouble, il cessa de protester, en sentant l’inutilité de toute discussion, au milieu de l’effroyable confusion où tombaient les esprits.

— Voyez-vous, monsieur, quand on a affaire à un juif, on peut s’attendre à tout. Le laitier me le disait à l’instant : ces gens-là, ça n’a ni famille ni patrie, ça n’a de commerce qu’avec le démon, et ça pille, et ça tue pour rien, pour le plaisir de faire le mal… Alors, vous aurez beau dire, vous n’empêcherez pas le monde de croire que ce juif a eu besoin de la vie d’un enfant, pour quelque sale besogne avec le diable, et qu’il aura sournoisement attendu la première communion de son neveu, afin de le souiller et de l’égorger, encore tout blanc et tout parfumé de l’hostie.

C’était l’accusation du meurtre rituel qui reparaissait, cette hantise de la foule, venue de si loin à travers les siècles, toujours renaissante au premier désastre, traquant les juifs empoisonneurs de fontaines et bourreaux de petits enfants.

À deux reprises, Geneviève, qui souffrait de voir Marc si frémissant, avait voulu interrompre, pour protester avec lui.

Mais elle s’était tue, de crainte d’irriter sa grand-