Gragnon s’était promené à Rozan avec cette confession dans la poche, parlant d’elle comme du coup de foudre qu’il lâcherait, si on le poussait à bout, la montrant ou la faisant montrer à certains membres du jury, les dévots, les têtes faibles, affectant surtout de ne pas vouloir mêler publiquement une sainte religieuse au scandale. Et cela expliquait tout, l’abominable attitude du jury recondamnant l’innocent s’excusait : ces hommes, d’une moyenne intelligence et d’honnêteté suffisante, avaient simplement cédé à des raisons laissées secrètes, trompés dans leur conscience comme les premiers jurés de Beaumont. Marc et David se rappelaient encore certaines questions posées par des jurés, qui leur avaient semblé saugrenues. Maintenant, ils comprenaient, les jurés faisaient allusion à la pièce terrible, colportée dans l’ombre, dont il était sage de ne pas ouvrir la bouche ! Et ils avaient condamné. Delbos marchait donc sur ce fait nouveau, la preuve légale de cette seconde communication criminelle, qui, le jour où ils pourraient la produire, entraînerait l’immédiate cassation de l’arrêt. Seulement, il n’était pas de preuve plus difficile à faire, et tous les trois s’épuisaient depuis des années à la trouver, certaine, décisive. Un espoir unique leur restait, un des jurés, un ancien médecin, nommé Beauchamp, était, disait-on, bourrelé de remords, comme autrefois l’architecte Jacquin, ayant acquis la certitude que la prétendue confession de l’ouvrier mort à l’hôpital était un faux grossier. Mais, sans être lui-même clérical, il avait une femme extrêmement dévote, qu’il ne voulait pas désoler, en soulageant sa conscience. Et il fallait attendre.
D’ailleurs, les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, créaient un milieu de plus en plus favorable. C’était la vaste évolution sociale qui s’activait et donnait ses grands résultats, grâce à l’instruction laïque, libérée des dogmes, désormais triomphante. La France entière se renouvelait, tout un peuple nouveau