Page:Zola - Vérité.djvu/643

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graine des hommes, si l’on désire qu’elle pousse un peu proprement… Et, en somme, voulez-vous mon opinion ? Il n’y a dans tout le pays qu’un curé à peu près honorable, selon le véritable esprit de Dieu : c’est votre abbé Cognasse. Celui-là aussi, en pleine lutte est allé comme les autres, demander conseil à Valmarie, qui a manqué le pourrir dans le tas, en lui recommandant d’être souple et habile. Mais il s’est ressaisi bien vite c’est à coups de pierres qu’il poursuit les ennemis de l’Église, et voilà l’attitude des vrais saints, voilà comment Dieu, le jour où il voudra bien s’en mêler, finira sûrement par reconquérir le monde.

Sauvage, véhément, il avait levé les deux poings, il les brandissait, dans la grande salle de classe, si calme et si douce, où la petite lampe mettait une lueur discrète. Il y eut un moment de profond silence, pendant lequel on n’entendit plus que la pluie ruisselante battant les vitres des fenêtres.

— En tout cas, reprit Marc avec une pointe d’ironie, Dieu me semble vous avoir abandonné et sacrifié comme vos supérieurs.

Le frère Gorgias jeta un regard sur ses misérables vêtements, sur ses mains décharnées qui disaient ses souffrances.

— C’est vrai, Dieu a châtié en moi, avec une extrême rudesse, les fautes des autres et les miennes. Je m’incline devant sa volonté, il travaille à mon salut. Mais je n’oublie pas, je ne pardonne pas aux autres d’avoir ainsi aggravé mon mal. Ah ! les bandits ! à quelle vie affreuse ils m’ont condamné, depuis le jour où ils m’ont obligé de quitter Maillebois, et dans quel état de misère j’ai dû y revenir, pour tâcher au moins de leur arracher le morceau de pain qu’ils me doivent !

Il ne voulut pas en dire davantage, mais toute la tragique histoire se devinait dans son frémissement de