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Page:Zola - Vérité.djvu/654

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années, se produisit, et Marc vit se réaliser le plus ardent désir de son existence. Delbos, qui se refusait à compter sur une aide possible du frère Gorgias, avait au contraire mis tout son espoir sur ce médecin de Rozan, ce Beauchamp, juré dans le second procès, auquel l’ancien président Gragnon avait fait sa deuxième communication illégale, et que l’on disait ravagé de remords. C’était une piste qu’il suivait avec une patience infinie, soumettant le médecin à une enquête continue, l’entourant d’une surveillance constante, le sachant réduit au silence par les supplications de sa femme, très dévote, très chétive, dont un scandale aurait hâté la mort.

Tout d’un coup, Delbos apprit que cette femme était morte, et il ne douta plus du succès. Cela lui demanda près de six mois encore, il parvint à entrer en rapport direct avec Beauchamp, il trouva un homme inquiet, indécis, rongé de scrupules, qui se décida pourtant à lui remettre un récit signé, où il contait comment Gragnon lui avait fait montrer, chez un ami, la prétendue confession rédigée par la religieuse à laquelle un ouvrier mourant, sur son lit d’hôpital, avait avoué la fabrication d’un faux cachet, gravé pour l’instituteur de Maillebois. Et le signataire ajoutait que cette communication secrète avait seule entraîné sa conviction, dans l’incertitude où il était, près d’acquitter Simon, devant le manque de preuves sérieuses.

Lorsque Delbos eut cette pièce décisive entre les mains, il attendit encore. Il amassa d’autres documents, établissant que Gragnon avait communiqué son faux extravagant à d’autres jurés, bonnes gens de crédulité stupéfiante. C’était là l’extraordinaire, l’ancien président osant recommencer à Rozan son premier coup de Beaumont, sortant un faux grossier de sa poche, le promenant en secret, exploitant l’imbécillité humaine, dans un geste de souverain mépris. Et, les deux fois, le coup avait réussi, Gragnon s’était surtout sauvé du bagne, la seconde