Page:Zola - Vérité.djvu/72

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— Je n’avais pas réfléchi, monsieur, reprit-il, elle a tout de même raison. Les pauvres bougres comme nous font mieux de rester couchés. Au régiment, il y en avait un qui savait des histoires sur le capitaine. Ah ! ça n’a pas traîné, ce qu’on vous l’a collé de fois au bloc !

Marc, à son tour, dut s’incliner ; et il renonça à son enquête, en disant :

— Ce que je voulais demander à vos garçons, il est possible que la justice le leur demande. Il faudra bien alors qu’ils répondent.

— Bon ! déclara de nouveau Mme  Doloir, de son air tranquille, que la justice les questionne, et nous verrons ce qu’ils auront à faire. Ils répondront ou ils ne répondront pas, mes enfants sont à moi, et ça me regarde.

Et Marc salua, s’en alla, accompagné par Doloir, qui se hâtait de retourner au travail. Dans la rue, le maçon lui fit presque des excuses : sa femme n’était pas toujours commode, mais quand elle disait des choses justes, elle disait des choses justes.

Resté seul, Marc, découragé, se demanda s’il était nécessaire de faire sa troisième visite, au petit employé Savin. Chez les Doloir, ce n’était pas, comme chez les Bongard, l’épaisse ignorance. On montait d’un degré, l’espèce se décrassait déjà, l’homme et la femme, bien qu’illettrés, se frottaient aux autres classes, savaient un peu de la vie. Mais quelle aube indécise encore, quelle marche à tâtons au travers de l’imbécile égoïsme, et dans quelle erreur désastreuse le manque de solidarité maintenait les pauvres gens ! S’ils n’étaient pas plus heureux, c’était qu’ils ignoraient tout des conditions de la vie civique, la nécessité du bonheur des autres pour leur propre bonheur. Et Marc songeait à cette maison humaine, dont on s’efforce depuis des siècles de tenir les portes et les fenêtres hermétiquement closes, lorsqu’il