Page:Zola - Vérité.djvu/74

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Finances, expéditionnaire chez le percepteur, devait tenir son rang, se croyait forcé à un certain luxe de façade. Sa femme portait un chapeau, lui ne sortait qu’en redingote. Et le pis était la pénible médiocrité de son existence cachée, derrière cette façade de classe supérieure, à l’aise. Son amertume affreuse venait qu’il se sentait, à trente et un ans, cloué à son humble emploi, sans espoir d’avancement, condamné pour la vie à une besogne de bête de manège, avec des appointements dérisoires, juste de quoi ne pas mourir de faim. D’une petite santé, aigri, il ne décolérait pas, humble et rageur à la fois, ravagé d’autant de terreur que de colère, dans sa perpétuelle inquiétude de déplaire à ses chefs. Obséquieux et lâche à son bureau, il terrorisait chez lui sa femme, par ses fureurs d’enfant malade. Elle en souriait gentiment, elle trouvait encore le moyen, après s’être occupée des enfants et du ménage, de travailler pour une maison de Beaumont, des fleurs en perles, un travail délicat très bien rétribué, qui payait le petit luxe de la famille. Mais lui, vexé au fond, d’un orgueil de bourgeois, ne voulait pas qu’il fût dit que sa femme était forcée de travailler, et elle devait s’enfermer avec ses perles, elle reportait ses commandes en cachette.

Pendant un instant, Marc entendit une voix aiguë qui se fâchait. Puis, il y eut un murmure très doux, le silence se fit, et Mme Savin reparut.

— Monsieur, veuillez prendre la peine d’entrer.

À peine si Savin se souleva du fauteuil où il soignait son accès de fièvre. Un instituteur de village, ça n’était rien. Petit, chauve, il avait un pauvre visage terreux, aux traits minces et las, avec des yeux pâles et une barbe très clairsemée, d’un jaune sale. Chez lui, il usait ses vieilles redingotes. Et, ce jour-là, le foulard de couleur qu’il avait au cou achevait de lui donner