Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/105

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vie universelle. Il ne se cantonne plus dans une réserve orgueilleuse, il se donne, il se prodigue joyeusement à tout, et troque la fierté de l’isolement contre l’extraordinaire volupté d’une omniprésence. Il ne considère plus toutes les choses en elles-mêmes, mais soi dans toutes les choses. Mais c’est par le symbole que le poète en lui arrive à sa complète délivrance, dans le sens de Gœthe. De même que le Christ, dans la légende, enferme dans des pourceaux les puissances infernales qu’il chasse du corps du possédé, Verhaeren chasse hors de lui-même sa propre surabondance et la jette dans le monde. La chaleur fiévreuse de sa sensibilité se concentrait et risquait de faire éclater sa poitrine trop étroite ; elle rayonne à présent sur tout ce qui l’entoure, elle l’embrase, là où il n’y avait pour lui autrefois que le froid le plus glacial. Toutes les puissances mauvaises, tous ces fantômes de rêve maladif qui rampaient autour de lui, il les recrée et les reforge dans les formes de la vie, semblable lui-même au forgeron de son admirable poème :

Dans son brasier, il a jeté
Les cris d’opiniâtreté,
La rage sourde et séculaire ;
Dans son brasier d’or exalté,