Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/132

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temps de sa crise il avait perdues dans la solitude et la maladie. Son regard, son oreille, ses nerfs, tous ses sens, comme affamés, se précipitèrent, dès lors, sur les choses, dans la furie de leur désir. Leur ardeur ne pouvait se satisfaire que dans l’entière possession. Comme s’il eût voulu étreindre toute l’Europe, Verhaeren a parcouru alors tous les pays. L’Allemagne, Berlin, Vienne et Prague le virent, voyageur toujours solitaire, ignorant les idiomes et n’écoutant que la grande voix des villes, que le murmure mystérieux et sombre qui, pareil au bruit des flots, monte des métropoles européennes. Pèlerin pieux, il s’en fut vénérer le tombeau de Wagner à Bayreuth ; à Munich il se pénétra de cette musique d’extase et de passion. À Colmar, il apprit à comprendre Mathias Grünewald, qui devint son peintre préféré. Les paysages tragiques du nord de l’Espagne le conquirent, avec leurs montagnes dépouillées et sombres, dont les diverses silhouettes serviront de fond aux péripéties enflammées du drame Philippe II. À Hambourg, il s’enthousiasma au spectacle de la circulation colossale : des jours entiers il contempla l’arrivée et le départ des navires, leur chargement et leur déchargement.