Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/142

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de la ville. « Boire et manger de l’or[1] » est le rêve le plus ardent de la foule. « Tout se définit par des monnaies[2] » ; toutes les valeurs sont en raison d’une valeur nouvelle : la valeur monétaire. N’est-elle pas admirable la vision du bazar où, à tous les rayons, à tous les étages, se vendent, non point seulement comme dans la réalité les objets d’utilité courante, mais encore, selon une symbolique supérieure, toutes les valeurs morales, convictions, opinions, gloire, nom, honneur, pouvoir et toutes les lois mêmes de la vie ? Tout ce sang brûlant, tout cet argent afflue à la Bourse, cœur affamé de la ville, qui absorbe tout cet or, qui rythme cette fièvre et la répand dans toutes les artères de la cité. Tout s’achète, voire la volupté. Dans un coin écarté, à « l’étal », dans les rues où guette la débauche, les femmes se vendent comme une marchandise. Mais cette puissance de l’argent n’est pas toujours régularisée ni endiguée. Comme dans la nature, il est ici des orages et de soudaines catastrophes. Parfois ce torrent d’argent se fraie de nouveaux chemins. La révolte jaillit comme une flamme. Les antres obscurs dégorgent leurs

  1. « La Bourse » (les Villes tentaculaires).
  2. « Le Bazar » (idem).