Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/147

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Autour des derniers propriétaires, encore hésitants, se pressent les ennemis : les « donneurs de mauvais conseils ». C’est l’agent d’émigration qui les incite à partir vers les contrées de l’or. Ainsi dissipent-ils leur patrimoine et s’en vont-ils vers de lointaines espérances,

Avec leur chat, avec leur chien,
Avec, pour vivre, quel moyen ?
S’en vont, le soir, par la grand’route.[1]

S’il en est que l’émigration n’arrive pas à séduire, c’est l’usure qui les chasse de leurs propres foyers. Un réseau de chemins de fer vient soudain trancher en deux le plus calme village. Depuis longtemps les kermesses y ont cessé leurs danses. La lutte est inégale. La campagne, comme si l’on avait sucé son sang, est dépeuplée et partout vaincue : « La plaine est morte et ne se défend plus[2]. » Tout se rue vers « Oppidomagne ». C’est ainsi que Verhaeren, dans son drame symbolique les Aubes, qui contient avec les Campagnes hallucinées et les Villes tentaculaires la trilogie de la transformation sociale, c’est ainsi, dis-je, qu’il nomme la ville géante qui, avec ses bras de pieuvre, aspire en

  1. « Le Départ » (les Campagnes hallucinées).
  2. « La Plaine » (les Villes tentaculaires).