Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/153

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squelette, sans lesquels il n’y aurait pour elle ni force, ni possibilité d’être. La ville a, si l’on peut dire, fondu les forces dispersées dans les campagnes ; elle en a créé une matière nouvelle dont elle a fait la foule. Toutes les anciennes forces de l’activité individuelle, elle les a transformées en énergie mécanique, où l’homme n’est plus qu’une sorte de manivelle, une roue en mouvement. Chaque individualité s’est trouvée partout ligaturée : une nouvelle individualité s’est fabriquée, celle de la masse. Dès lors, la foule apparaît comme un fait nouveau. Durant des siècles, ce ne fut qu’un symbole et qu’un concept. La logique nous amenait à concevoir la somme de la population dans des pays entiers. Jamais on n’avait pu avoir le sentiment de la compréhension d’une unité immédiate. Certes, le passé a connu les armées nombreuses, les hordes guerrières et les tribus nomades, mais ce n’étaient que de fugitives concentrations, sans stabilité ni constance, incapables de se créer une personnalité, de dégager une valeur esthétique et morale. D’ailleurs ces armées que la légende, au cours des siècles, nous a représentées comme des masses considérables, celles de Tamerlan, des Perses, les légions romaines,