Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/155

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celles du passé. Walt Whitman, auquel il faut toujours revenir quand il s’agit de Verhaeren, bien que celui-ci — disons-le expressément — ait accompli une évolution pareille mais tout à fait indépendante, Walt Whitman a dit : « La science moderne et la démocratie semblaient mettre la poésie au défi de leur faire place dans ses énonciations, en opposition aux poèmes et aux mythes du passé[1]. »

Donc, tout poète moderne devra compter avec la masse démocratique. Il en devra considérer la synthèse, comme il ferait d’un être vivant, d’un homme ou d’un dieu. Dans son drame utopique, les Aubes, Verhaeren a placé la foule au nombre des personnages, et, pour expliquer le sens de sa vision intérieure, il a ajouté cette remarque d’ordre technique : « Les groupes agissent comme un seul personnage à faces multiples et antinomiques. » Car pareille aux images des dieux hindous, elle a cent bras, mais elle n’a qu’un cri, qu’une volonté, qu’une énergie, qu’un cœur : « le cœur myriadaire et rouge de la foule[2]. » Cent années de communauté dans la

  1. Un Coup d’œil en arrière sur la Route parcourue, trad. Léon Bazalgette (Société Nouvelle, avril 1909).
  2. « La Conquête « (la Multiple Splendeur).