Les grands et lointains ancêtres, qui dans un cri jailli du sentiment trouvèrent le germe de la parole et du discours, firent de leurs poèmes une allocution à la foule, un avertissement, un encouragement, un enthousiasme, mettant en contact, comme pour une décharge électrique, le sentiment avec le sentiment. Le poète parlait aux autres hommes ; on faisait cercle autour de sa personne. Ses auditeurs se tenaient devant lui attentifs, dans l’attitude que, dans son récent tableau, Max Klinger prête à la foule qui s’assemble devant l’aveugle Homère. Ils attendaient, écoutaient, se donnaient, se laissaient emporter, ou conservaient quelque résistance. La récitation d’un tel poème n’avait rien de commun avec l’exposition d’un travail terminé, un instrument ou un ornement quelconques, admirables et parfaits de ciselure. On était en présence d’un phénomène en période de croissance, en proie à un continuel devenir, une sorte de combat du poète et de l’auditeur, une véritable lutte de passions.
Ce contact direct et brûlant avec la masse, les poètes l’ont perdu depuis l’invention de l’écriture. Certes, la propagation de la parole écrite et, plus encore, sa multiplication infinie par l’imprimerie leur ont conquis l’espace ; dans