Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/183

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propre univers. C’est sans doute à cette époque de transition que naquit le langage dit « poétique », ce langage spécial qui, chez certains, se fige jusqu’à devenir un dialecte étranger, un bloc de marbre où ne palpite nul frisson vital. Jadis, le langage poétique ne différait pas de la langue habituelle ; il en était seulement l’expression la plus élevée. Par le rythme que lui imprimait la passion supérieure, par la flamme de l’éloquence, la poésie devenait une fièvre sacrée, une ivresse bienheureuse, une fête dans la vie de chaque jour. Expression suprême de la vie, la langue pouvait se modifier sans cesser d’être intelligible ; elle pouvait rester près du peuple et pourtant s’élever au-dessus de lui. Aujourd’hui, la poésie lyrique se tient hors de la portée de l’homme actif qui vit au milieu des réalités ; le travailleur et l’artisan ne lui reconnaissent point de valeur.

Il semble bien que, de nos jours, un retour se soit produit vers la tradition antique et que le poète ait voulu reprendre ce contact primitif, d’intimité avec ses auditeurs. Un nouveau langage pathétique paraît près de naître. Entre la poésie et la foule, le premier pont jeté fut le théâtre. Mais, là encore, le verbe parlé devait