Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/227

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alternent sans cesse dans les drames de Verhaeren. Dans Shakespeare, vers et prose sont répartis sur quelques scènes et semblent jusqu’à un certain point poser une classification sociale, les serviteurs parlant en prose, et les maîtres parlant en vers. Dans Verhaeren, les passages en prose sont les assises larges et sûres où l’action s’étaye en vue des grandes exaltations. Les personnages expriment en prose leur quiétude ; mais, dès qu’ils s’échauffent, leur langage monte peu à peu jusqu’à la forme du poème. Arrivées à leur sommet, alors seulement les passions s’élancent dans leur libre essor et deviennent des vers, pareilles à l’aéroplane qui s’active sur le sol, gagne de plus en plus de vitesse, et s’enlève soudain dans les airs. À mesure qu’ils deviennent plus poétiques, pourrait-on dire, les personnages de Verhaeren parlent une langue plus pure. Avec la passion, une musique chante dans leur âme, comme ces hommes qui, dans la vie courante, ne sont que gaucherie et balourdise, et qui savent trouver dans les grands moments des gestes d’une héroïque beauté. Ainsi prend corps cette idée qu’il faut à l’enthousiasme pour s’exprimer une langue nouvelle, plus pure et plus noble. Ainsi se