Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/262

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nous révèle le mouvement poétique de Verhaeren. Tous ses poèmes sentent le travail, la lutte acharnée : le poète ne s’y raconte pas. Ses manuscrits évoquent l’image d’un champ de bataille. Ce n’est pas un poète de circonstances, comme Goethe : il ne s’abandonne pas à une impression soudaine et fugitive : il anime de son lyrisme une idée complexe, qu’il s’agisse d’une perception sensible ou d’une donnée philosophique. Sa passion avive d’abord cette pensée, que son lyrisme forge ensuite sous le marteau sonore du rythme et métamorphose en poème. Les « flamandes », les « moines » le séduisent comme autant de problèmes particuliers : ce sont comme des champs de lyrisme qu’il circonscrit, qu’il laboure, qu’il ensemence pour les abandonner ensuite à tout jamais. Car un sujet a cessé de l’intéresser dès qu’il en a fait jaillir toute la poésie latente. La lutte, pour lui, est continuelle, et ce sont chaque jour des projets nouveaux à ébaucher, une tâche nouvelle à entreprendre. Cette méthode ne plaira sans doute pas à l’amateur profane, qui voit dans le lyrisme une source d’émotion préexistante : elle séduira l’artiste, qui en appréciera la vigoureuse concision, l’effort synthétique et