Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/307

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toutes les victoires remportées. La passion, qui n’était autrefois qu’une rébellion désordonnée, est devenue une loi, un instinct où se manifeste la joie de vivre et le plaisir sous toutes ses formes. Verhaeren a maintenant l’orgueil légitime de sa force :

Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre,
D’être immense et d’être fou
Et de mêler le monde et tout
À cet enivrement de vie élémentaire.[1]

La santé des races fortes, qu’il chantait autrefois en pensant aux gars et aux filles de sa patrie, il la célèbre maintenant en lui. L’identité entre le monde et son moi est si parfaite, que, lorsqu’il veut exalter la beauté de l’univers, il se voit obligé de la considérer en lui et dans son propre corps. Lui qui, jadis, haïssait ce corps comme une prison dont l’homme ne peut s’évader, lui qui voulait se « cracher soi-même », emprunte à son moi une des strophes dont il compose son hymne à l’univers :

J’aime mes yeux, mes mains, ma chair, mon torse
Et mes cheveux amples et blonds,
Et je voudrais, par mes poumons,
Boire l’espace entier pour en gonfler ma force.[2]

  1. « Un matin » (les Forces tumultueuses).
  2. Id. (idem.)