Page:Zweig Stefan, 1936, L'Unité Spirituelle de l'Europe.pdf/3

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nombre possible d’êtres humains, et dans le plus court espace de temps possible  ! Défiance de chaque peuple à l’égard des autres, inquiétude de chaque nation quant aux intentions possibles des autres, toute une humanité enténébrée par la perspective d’une guerre éventuelle : quelle désillusion pour nous autres qui, contre vents et marées, persévérons dans notre rêve de fraternisation de tous les peuples ! Quel deuil pour nos âmes, pour nous qui haïssons la haine comme la plus effroyable ennemie de l’humanité et assistons, désarmés et impuissants, à cette aberration de nos frères dans tous les pays du monde !

Et pourtant non ! Nous ne devons pas nous abandonner à un pessimisme débilitant, car le pessimisme est un élément destructif. Il affaiblit, amortit les énergies parce qu’il n’est pas créateur. Il ne nous est pas permis, sous le prétexte que notre temps œuvre contre les lois de la raison, de mettre en doute la puissance de la raison. Il ne nous est pas permis, même quand nous tremblons. pour les destinées de cette génération-ci, de laisser voir cette angoisse. Bien au contraire, nous autres qui avons charge d’âmes, nous devons tendre tous nos efforts pour raffermir la faculté de la foi en ce moment de défaillance et de découragement. Si, dans la nuit environnante, nous voyons poindre la plus faible lueur d’espérance, nous devons la signaler à nos semblables. C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je tâcherai, pour ma part, de vous faire voir présentement, avec toute la probité de ma conviction, qu’à ces forces de désunion s’opposent d’autres forces, celles qui unissent au lieu de diviser, et que, dans le cours de l’histoire, contre les tendances destructrices, surgissait toujours quelque volonté d’union morale du monde. Sur les bancs de l’école nous avons déjà appris qu’à côté des forces centrifuges il y aussi des forces centripètes : les unes et les autres sont actives dans chaque homme et dans chaque peuple ; chaque homme, son individualité une fois formée, veut la conserver et autant que possible la fortifier ; chaque peuple veut garder ce qu’il a de national et l’intensifier, mais aucun homme ne veut, et aucun peuple ne peut rester complètement