196 SULLY PRUDHOMME
que le sentiment de la nature est la compréhension de cette montée laborieuse, de cette passion douloureuse de la nature à travers les formes de la vie qui mènent aux régions du respect et de la dignité. La nature semble s'offrir à l'homme comme une fontaine publique, car elle n'est pas une aristocrate dédaigneuse ; elle préfère les simples, et le bruit de ses sources retentit dans les cœurs qui renient ou ignorent les mensonges et les artifices. Mais cette fontaine publique ne coule pas dans nos carrefours humains, dans la région troublée par le fracas de nos batailles, ou dans les séjours de choix où nous allons apaiser nos neurasthénies. Elle est enveloppée de mystère et de silence et ne rafraîchit que les sommets. Après des marches laborieuses à travers les plaines altérées et dans les sentiers de montagne sillonnés de ravins et traversés par l'orage, nous la décou- vrons enfin dans sa fraîcheur et dans son éclat : alors elle nous désaltère en donnant la paix et le réconfort de la fontaine de Jouvence, je veux dire la connaissance des lois de la vie, le rythme souverain de l'ordre, le sentiment passionné de l'aspiration universelle que les formes de la nature traduisent et chantent.