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LA SENSIBILITÉ ROMANTIQUE 9

.M us.', dis-moi le nombre des guerriers et des vaisseaux partis pour la guerre de Troie. »

Cette opinion, primitive et naïve, a été déve- loppée par Platon. Dans le dialogue d'Ion, il compare les poètes aux prêtres de Cybèle, aux Coryphantes qui dansent dans la chaleur du délire, aux Bacchantes exaltées par l'ivresse dionysiaque. Dans le Phèdre, il insiste sur la puissance de cet enthousiasme égaré, qui entraine le poète et le dispose aux paroles soudaines et merveilleuses. .Mais hâtons-nous d'ajouter que Platon souriait en exposant cette mythologie. Loin de définir l'attitude poétique, il la parodiait avec sa grâce coutumière. Car il condamnait les effets de cette inspiration hasardeuse, et ceux qui reproduisent l'opinion de Platon sans l'atténuer de l'ironie pla- tonicienne oublient qu'il a chassé les poètes de sa république et que, dans sa hiérarchie des âmes humaines, l'âme des poètes est reléguée presque au dernier rang. Tant de sévérité serait-elle explicable, si Platon acceptait sans réserve cette croyance traditionnelle sur les poètes confidents des Dieux?

Ce préjugé sur le génie, qui dérobe les poètes aux conditions ordinaires de la nature et de la vie