LA PENSÉE DE VIGNY 83
fut faussée dans les artifices de la mise en scène. Le drame de Chatterton est une noble tentative qui échoue : c'est un chef-d'œuvre, fortement conçu, et qui avorte. Certes la puissance de Vigny se révèle dans ses erreurs et ses défaillances. Il y a dans cette œuvre des parties durables, des ébauches qui dessinent la forme d'un art nou- veau, des sentences pressées et pathétiques. La rêverie peut tuer l'action; — la justice selon la loi est démentie par la justice selon la conscience ; — nos aspirations les plus loyales sont arrêtées par les défiances du monde et les menaces du code : que de problèmes suscités par la mise en scène d'une banale aventure! Au-dessus des personnages mêlés à l'action, et qui tremblent ou s'agitent, se déploie le geste calme et grand du Quaker. Voilà un héros qui vit moins dans l'ordre de nos actions quotidiennes que dans le plan de la Pensée. Mais Chatterton, qui devait être si représentatif, se borne à répéter les plaintes de Didier et d'IIernani. Cet enfant de dix-huit ans, accablé de dégoût et d'ennui, c'est l'enfant sublime qui veut juger la vie avant d'avoir vécu. Ii n'a pas la maîtrise que réclame son dessein. Il n'est pas capable de dominer ses