Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/378

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7.

Raisons pourquoi on ne croit point. — Ce qui fait qu’on ne croit pas les vrais miracles, est le manque de charité. Joh. : Sed vos non creditis, quia non estis ex ovibus[1]. Ce qui fait croire les faux est le manque de charité, II Thess., ii, 10.

D’où vient qu’on croit tant de menteurs qui disent qu’ils ont vu des miracles, et qu’on ne croit aucun de ceux qui disent qu’ils ont des secrets pour rendre l’homme immortel ou pour rajeunir. — Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes, jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il yen a de vrais ; car il ne seroit pas possible qu’il y en eût tant de faux, et qu’on y donnât tant de créance, s’il n’y en avoit de véritables. Si jamais il n’y eût eu remède à aucun mal, et que tous les maux eussent été incurables, il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner ; et encore plus que tant d’autres eussent donné croyance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir : de même que, si un homme se vantoit d’empêcher de mourir, personne ne le croiroit, parce qu’il n’y a aucun exemple de cela. Mais comme il y a eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables, par la connoissance même des plus grands hommes, la créance des hommes s’est pliée par là ; et cela s’étant connu possible, on a conclu de là que cela étoit. Car le peuple raisonne ordinairement ainsi : Une chose est possible, donc elle est ; parce que la chose ne pouvant être niée en général, puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple, qui ne peut pas discerner quels d’entre ces effets particuliers sont les véritables, les croit tous. De même, ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune, c’est qu’il y en a de vrais, comme le flux de la mer.

Il en est de même des prophéties, des miracles, des divinations par les songes, des sortiléges, etc. Car si de tout cela il n’y avoit jamais eu rien de véritable, on n’en auroit jamais rien cru : et ainsi au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles parce qu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a certainement de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’yen a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais.

Il faut raisonner de la même sorte pour la religion ; car il ne seroit pas possible que les hommes se fussent imaginé tant de fausses religions, s’il n’yen avoit une véritable. L’objection à cela, c’est que les sauvages ont une religion : mais on répond à cela que c’est qu’ils en ont ouï parler, comme il paroît par le déluge, la circoncision, la croix de saint André, etc.


8.

Il est dit : « Croyez à l’Église, » mais il n’est pas dit : « Croyez aux miracles, » à cause que le dernier est naturel, et non pas le premier. L’un avoit besoin de précepte, non pas l’autre.

  1. Jean, x, 26.