Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/118

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regard terne, froid, respectueux pour Hélène, sombre et menaçant chez la mère. Hélène baissa promptement sa vue sur le métier, tira l’aiguille avec prestesse, et de long-temps ne releva sa tête, qui semblait lui être devenue trop lourde à porter. La mère était-elle trop sévère pour sa fille, et jugeait-elle cette sévérité nécessaire ? Était-elle jalouse de la beauté d’Hélène, avec qui elle pouvait rivaliser encore, mais en déployant tous les prestiges de la toilette ? Ou la fille avait-elle surpris, comme beaucoup de filles quand elles deviennent clairvoyantes, des secrets que cette femme, en apparence si religieusement fidèle à ses devoirs, croyait avoir ensevelis dans son cœur aussi profondément que dans une tombe ?

Hélène était arrivée à un âge où la pureté de l’âme porte à des rigidités qui dépassent la juste mesure dans laquelle doivent rester les sentiments. Dans certains esprits, les fautes prennent les proportions du crime ; l’imagination réagit alors sur la conscience ; souvent alors les jeunes filles exagèrent la punition en raison de l’étendue qu’elles donnent aux forfaits. Hélène paraissait ne se croire digne de personne. Un secret de sa vie antérieure, un accident peut-être, incompris d’abord, mais développé par les susceptibilités de son intelligence sur laquelle influaient les idées religieuses, semblait l’avoir depuis peu comme dégradée romanesquement à ses propres yeux. Ce changement dans sa conduite avait commencé le jour où elle avait lu, dans la récente traduction des théâtres étrangers, la belle tragédie de Guillaume Tell, par Schiller. Après avoir grondé sa fille de laisser tomber le volume, la mère avait remarqué que le ravage causé par cette lecture dans l’âme d’Hélène venait de la scène où le poète établit une sorte de fraternité entre Guillaume Tell, qui verse le sang d’un homme pour sauver tout un peuple, et Jean-le-Parricide. Devenue humble, pieuse et recueillie, Hélène ne souhaitait plus d’aller au bal. Jamais elle n’avait été si caressante pour son père, surtout quand la marquise n’était pas témoin de ses cajoleries de jeune fille. Néanmoins, s’il existait du refroidissement dans l’affection d’Hélène pour sa mère, il était si finement exprimé, que le général ne devait pas s’en apercevoir, quelque jaloux qu’il pût être de l’union qui régnait dans sa famille. Nul homme n’aurait eu l’œil assez perspicace pour sonder la profondeur de ces deux cœurs féminins : l’un jeune et généreux, l’autre sensible et fier ; le premier, trésor d’indulgence ; le second, plein de finesse et d’amour. Si la mère