Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/43

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— Mon ami, cette lettre vient du Jockey-club… Je reconnais l’odeur et le papier…

Cette fois Calyste rougit et mit la lettre dans sa poche.

— Pourquoi ne la lis-tu pas ?…

— Je sais ce qu’on me veut.

La jeune femme s’assit. Elle n’eut plus la fièvre, elle ne pleura plus, mais elle eut une de ces rages qui, chez ces faibles créatures, enfantent les miracles du crime, qui leur mettent l’arsenic à la main, ou pour elles ou pour leurs rivales. On amena le petit Calyste, elle le prit pour le dodiner. L’enfant, nouvellement sevré, chercha le sein à travers la robe.

— Il se souvient, lui !… dit-elle tout bas.

Calyste alla lire sa lettre chez lui. Quand il ne fut plus là, la pauvre jeune femme fondit en larmes, mais comme les femmes pleurent quand elles sont seules.

La douleur, de même que le plaisir, a son initiation. La première crise, comme celle à laquelle Sabine avait failli succomber, ne revient pas plus que ne reviennent les prémices en toute chose. C’est le premier coin de la question du cœur, les autres sont attendus, le brisement des nerfs est connu, le capital de nos forces a fait son versement pour une énergique résistance. Aussi Sabine, sûre de la trahison, passa-t-elle trois heures avec son fils dans les bras, au coin de son feu, de manière à s’étonner, quand Gasselin, devenu valet de chambre, vint dire : — Madame est servie.

— Avertissez monsieur.

— Monsieur ne dîne pas ici, madame la baronne.

Sait-on tout ce qu’il y a de tortures pour une jeune femme de vingt-trois ans, dans le supplice de se trouver seule au milieu de l’immense salle à manger d’un hôtel antique, servie par de silencieux domestiques, en de pareilles circonstances ?

— Attelez, dit-elle tout à coup, je vais aux Italiens.

Elle fit une toilette splendide, elle voulut se montrer seule, et souriant comme une femme heureuse. Au milieu des remords causés par l’apostille mise sur la lettre, elle avait résolu de vaincre, de ramener Calyste par une excessive douceur, par les vertus de l’épouse, par une tendresse d’agneau pascal. Elle voulut mentir à tout Paris. Elle aimait, elle aimait comme aiment les courtisanes et les anges, avec orgueil, avec humilité. Mais on donnait Otello ! Quand Rubini chanta : Il mio cor si divide, elle se sauva. La musique est souvent