Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/19

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et de douceur, mais douée d’une persistance de bon goût qui triomphe de tout à la longue, avait voulu conserver à son petit-fils les belles illusions de la vie, et l’avait élevé dans les meilleurs principes ; elle lui donna toutes ses délicatesses, et en fit un homme timide, un vrai sot en apparence. La sensibilité de ce garçon, conservée pure, ne s’usa point au dehors, et lui resta si pudique, si chatouilleuse, qu’il était vivement offensé par des actions et des maximes auxquelles le monde n’attachait aucune importance. Honteux de sa susceptibilité, le jeune homme la cachait sous une assurance menteuse, et souffrait en silence ; mais il se moquait, avec les autres, de choses que seul il admirait. Aussi fut-il trompé, parce que, suivant un caprice assez commun de la destinée, il rencontra dans l’objet de sa première passion, lui, homme de douce mélancolie et spiritualiste en amour, une femme qui avait pris en horreur la sensiblerie allemande. Le jeune homme douta de lui, devint rêveur, et se roula dans ses chagrins, en se plaignant de ne pas être compris. Puis, comme nous désirons d’autant plus violemment les choses qu’il nous est plus difficile de les avoir, il continua d’adorer les femmes avec cette ingénieuse tendresse et ces félines délicatesses dont le secret leur appartient et dont peut-être veulent-elles garder le monopole. En effet, quoique les femmes se plaignent d’être mal aimées par les hommes, elles ont néanmoins peu de goût pour ceux dont l’âme est à demi féminine. Toute leur supériorité consiste à faire croire aux hommes qu’ils leur sont inférieurs en amour ; aussi quittent-elles assez volontiers un amant, quand il est assez inexpérimenté pour leur ravir les craintes dont elles veulent se parer, ces délicieux tourments de la jalousie à faux, ces troubles de l’espoir trompé, ces vaines attentes, enfin tout le cortége de leurs bonnes misères de femme ; elles ont en horreur les Grandisson. Qu’y a-t-il de plus contraire à leur nature qu’un amour tranquille et parfait ? Elles veulent des émotions, et le bonheur sans orages n’est plus le bonheur pour elles. Les âmes féminines assez puissantes pour mettre l’infini dans l’amour, constituent d’angéliques exceptions, et sont parmi les femmes ce que sont les beaux génies parmi les hommes. Les grandes passions sont rares comme les chefs-d’œuvre. Hors cet amour, il n’y a que des arrangements, des irritations passagères, méprisables, comme tout ce qui est petit.

Au milieu des secrets désastres de son cœur, pendant qu’il cherchait une femme par laquelle il pût être compris, recherche qui,