Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/277

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Jamais figure africaine n’exprima mieux la grandeur dans la vengeance, la rapidité du soupçon, la promptitude dans l’exécution d’une pensée, la force du Maure et son irréflexion d’enfant. Ses yeux noirs avaient la fixité des yeux d’un oiseau de proie, et ils étaient enchâssés, comme ceux d’un vautour, par une membrane bleuâtre dénuée de cils. Son front, petit et bas, avait quelque chose de menaçant. Évidemment cet homme était sous le joug d’une seule et même pensée. Son bras nerveux ne lui appartenait pas. Il était suivi d’un homme que toutes les imaginations, depuis celles qui grelottent au Groënland jusqu’à celles qui suent à la Nouvelle-Angleterre, se peindront d’après cette phrase : c’était un homme malheureux. À ce mot, tout le monde le devinera, se le représentera d’après les idées particulières à chaque pays. Mais qui se figurera son visage blanc, ridé, rouge aux extrémités, et sa barbe longue ? qui verra sa cravate jaunasse en corde, son col de chemise gras, son chapeau tout usé, sa redingote verdâtre, son pantalon piteux, son gilet recroquevillé, son épingle en faux or, ses souliers crottés, dont les rubans avaient barboté dans la boue ? qui le comprendra dans toute l’immensité de sa misère présente et passée ? Qui ? le Parisien seulement. L’homme malheureux de Paris est l’homme malheureux complet, car il trouve encore de la joie pour savoir combien il est malheureux. Le mulâtre semblait être un bourreau de Louis XI tenant un homme à pendre.

— Qu’est-ce qui nous a pêché ces deux drôles-là ? dit Henri.

— Pantoufle ! il y en a un qui me donne le frisson, répondit Paul.

— Qui es-tu, toi qui as l’air d’être le plus chrétien des deux ? dit Henri en regardant l’homme malheureux.

Le mulâtre resta les yeux attachés sur ces deux jeunes gens, en homme qui n’entendait rien, et qui cherchait néanmoins à deviner quelque chose d’après les gestes et le mouvement des lèvres.

— Je suis écrivain public et interprète. Je demeure au Palais de Justice et me nomme Poincet.

— Bon ! Et celui-là ? dit Henri à Poincet en montrant le mulâtre.

— Je ne sais pas ; il ne parle qu’une espèce de patois espagnol, et m’a emmené ici pour pouvoir s’entendre avec vous.

Le mulâtre tira de sa poche la lettre écrite à Paquita par Henri, et la lui remit, Henri la jeta dans le feu.