Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/315

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Claire d’Orbe.

P.-S. ─ Au reste, s’il est vrai que vous n’avez rien entendu de notre conversation dans l’Elysée, c’est peut-être tant mieux pour vous ; car vous me savez assez alerte pour voir les gens sans qu’ils m’aperçoivent, et assez maligne pour persifler les écouteurs.

Lettre XI. Réponse de M. de Wolmar

Réponse de M. de Wolmar

J’écris à milord Edouard, et je lui parle de vous si au long qu’il ne me reste en vous écrivant à vous-même qu’à vous renvoyer à sa lettre. La vôtre exigerait peut-être de ma part un retour d’honnêtetés ; mais vous appeler dans ma famille, vous traiter en frère, en ami, faire votre sœur de celle qui fut votre amante, vous remettre l’autorité paternelle sur mes enfants, vous confier mes droits après avoir usurpé les vôtres ; voilà les compliments dont je vous ai cru digne. De votre part, si vous justifiez ma conduite et mes soins, vous m’aurez assez loué. J’ai tâché de vous honorer par mon estime ; honorez-moi par vos vertus. Tout autre éloge doit être banni d’entre nous.

Loin d’être surpris de vous voir frappé d’un songe, je ne vois pas trop pourquoi vous vous reprochez de l’avoir été. Il me semble que pour un homme à systèmes ce n’est pas une si grande affaire qu’un rêve de plus.

Mais ce que je vous reprocherais volontiers, c’est moins l’effet de votre songe que son espèce, et cela par une raison fort différente de celle que vous pourriez penser. Un tyran fit autrefois mourir un homme qui, dans un songe, avait cru le poignarder. Rappelez-vous la raison qu’il donna de ce meurtre, et faites-vous-en l’application. Quoi ! vous allez décider du sort de votre ami, et vous songez à vos anciennes amours ! Sans les conversations du soir précédent, je ne vous pardonnerais jamais ce rêve-là. Pensez le jour à ce que vous allez faire à Rome, vous songerez moins la nuit à ce qui s’est fait à Vevai.

La Fanchon est malade ; cela tient ma femme occupée et lui ôte le temps de vous écrire. Il y a ici quelqu’un qui supplée volontiers à ce soin. Heureux jeune homme ! tout conspire à votre bonheur ; tous les prix de la vertu vous recherchent pour vous forcer à les mériter. Quant à celui de mes bienfaits, n’en chargez personne que vous-même ; c’est de vous seul que je l’attends.

Lettre XII à M. de Wolmar

Que cette lettre demeure entre vous et moi. Qu’un profond secret cache à jamais les erreurs du plus vertueux des hommes. Dans quel pas dangereux je me trouve engagé ! O mon sage et bienfaisant ami, que n’ai-je tous vos conseils dans la mémoire comme j’ai vos bontés dans le cœur ! Jamais je n’eus si grand besoin de prudence, et jamais la peur d’en manquer ne nuisit tant au peu que j’en ai. Ah ! où sont vos soins paternels, où sont vos leçons, vos lumières ? Que deviendrai-je sans vous ? Dans ce moment de crise je donnerais tout l’espoir de ma vie pour vous avoir ici durant huit jours.

Je me suis trompé dans toutes mes conjectures ; je n’ai fait que des fautes jusqu’à ce moment. Je ne redoutais que la marquise. Après l’avoir vue, effrayé de sa beauté, de son adresse, je m’efforçais d’en détacher tout à fait l’âme noble de son ancien amant. Charmé de le ramener du côté d’où je ne voyais rien à craindre, je lui parlais de Laure avec l’estime et l’admiration qu’elle m’avait inspirée ; en relâchant son plus fort attachement par l’autre, j’espérais les rompre enfin tous les deux.

Il se prêta d’abord à mon projet ; il outra même la complaisance, et, voulant peut-être punir mes importunités par un peu d’alarmes, il affecta pour Laure encore plus d’empressement qu’il ne croyait en avoir. Que vous dirai-je aujourd’hui ? Son empressement est toujours le même, mais il n’affecte plus rien. Son cœur, épuisé par tant de combats, s’est trouvé dans un état de faiblesse dont elle a profité. Il serait difficile à tout autre de feindre longtemps de l’amour auprès d’elle ; jugez pour l’objet même de la passion qui la consume. En vérité, l’on