Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/87

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— Je vous connais, vous autres chrétiens, reprit le Juif ; je sais que les plus généreux d’entre vous, par un entraînement superstitieux, prennent le bourdon et les sandales, et s’en vont nu-pieds visiter les tombeaux des hommes morts.

— Ne blasphème pas, juif, lui dit le pèlerin d’un ton sévère.

— Pardon, dit le Juif, si j’ai parlé inconsidérément ; mais vous avez laissé échapper hier au soir et ce matin des paroles qui, comme des étincelles jaillissant du caillou, ont trahi le métal qui les recèle ; et sur le cœur qui palpite sous la robe de ce pèlerin est cachée une chaîne d’or de chevalier, comme aussi elle cache des éperons de cavalier. J’ai aperçu ces trésors, je les ai vus briller ce matin, lorsque vous vous êtes penché sur mon grabat. »

Le pèlerin ne put s’empêcher de sourire : « Si tes vêtements étaient scrutés par un œil aussi curieux que le tien, dit-il, quelle découverte n’y pourrait-on pas faire !

— Ne dites point cela, » reprit le Juif en changeant de couleur ; et, tirant en hâte son encrier comme pour briser une telle conversation, il se mit à écrire sur un feuillet de papier qu’il appuya sur le sommet de sa toque jaune, et sans descendre de sa mule. Dès qu’il eut fini, il donna le billet, tracé en caractères hébraïques, au pèlerin, en lui disant : « À Leicester, tout le monde connaît le riche Israélite Kirgath Jaïram de Lombardie ; portez-lui ce billet ; il a encore à vendre six armures de Milan, dont la moindre ne serait pas indigne d’une tête couronnée, et dix bons coursiers, dont le moindre pourrait être monté par un roi allant livrer une bataille pour la défense de sa couronne. Il vous remettra, selon votre choix, un cheval et une armure avec tout ce qui pourra vous être nécessaire pour le tournoi. Après la lutte, vous lui rendrez le tout en bon état, à moins que vous ne préfériez en payer la valeur au propriétaire.

— Mais, Isaac, dit le pèlerin souriant, sais-tu que dans ces jeux les armes et le palefroi du chevalier vaincu reviennent de droit au vainqueur ? Or, je puis être malheureux, et perdre ce que je ne puis rendre ou payer. »

Le Juif parut quelque peu étonné et peiné de cette chance ; mais recueillant son courage, il répondit aussitôt :

« Non, non, non, c’est impossible ; je ne veux pas y songer ; la bénédiction de Dieu sera sur toi ; ta lance sera aussi formidable que la verge de Moïse. »

Disant ces mots, il tourna la tête de sa mule pour s’en aller, quand le pélerin à son tour le saisit par le manteau :