Pages intimes 1914-1918/12

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 31-32).

DIALOGUE

LA FOULE


Ô mon Dieu, que la route est de longueur mortelle
où vers la Délivrance il nous semble marcher,
où nos cœurs sont tendus éperdument vers Elle
Comme le nerf vibrant sous les doigts de l’archer !

Que d’émois alternants ! Certain soir on espère :
C’est le canon qui tonne et se fraie un chemin,
Et sous ses feux roulants on sent trembler la terre ;
On respire, on se dit : Ce sera pour demain !

Mais le soleil paraît, morne dans le silence ;
La voix tonnante hier est muette aujourd’hui ;
Un matin a suffi pour glacer l’espérance
Et plonger au néant le rêve de la nuit.

Ainsi l’heure succède à l’heure, et les années
Par trois fois ont déjà renouvelé leur cours ;
Avant que du printemps les fleurs ne soient fanées
N’aurons-nous pas revu la paix des anciens jours ?

LA PATRIE


La paix ! Tu l’as connue et tu l’auras encore
Dans la magnificence et la prospérité,
Mais la paix des longs jours, pour en revoir l’aurore,
Pour la reconquérir, il la faut mériter.

À quoi te servirait la paix dans l’esclavage ?
Une paix dont l’honneur acquitterait le prix ?
Sache souffrir encore et souffrir davantage
Sous tes cieux éternels, un instant assombris.

Ceins tes reins et refoule au fond de ta poitrine
Les soupirs arrachés à tes membres meurtris ;
La souffrance est sacrée, elle est une héroïne
Quand, au fort du péril, elle étouffe ses cris.

Plutôt que de gémir, songe à tes fils, en Flandre,
Qui d’une âme sereine affrontent le trépas,
Joyeux et fiers du sang versé pour te défendre ;
Sache hausser ton âme à celle des soldats.


8 décembre 1917.