Pages intimes 1914-1918/11

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 29-30).


LE MONDE ÉTAIT REMPLI…


À ma fille, à l’occasion de
la naissance de Paul-Émile.


Le monde était rempli du fracas des batailles
Le jour où ton enfant jeta son premier cri ;
Il repose en tes bras, le fruit de tes entrailles,
Heureuse mère à qui le nouveau-né sourit.

Du Jourdain à l’Yser, par milliers, d’autres mères
Ont serré, comme toi, leur fils entre les bras,
Importunant pour lui le Ciel de leurs prières,
Mais le Ciel inclément ne les entendit pas.

De ces mères, chacune avait, dans sa démence,
Placé tout son espoir, son rêve le plus cher
En ce fragile objet de son orgueil immense,
En cet être pétri de la chair de sa chair.


Chacune avait veillé des nuits pleines d’alarmes,
Des jours pleins de soucis sur l’enfant grandissant ;
Et l’heure était venue où, gagné par ses charmes,
On admirait déjà le bel adolescent.

Fol orgueil ! Espoir fol ! Effroyables chimères !
Avoir tant enduré, souffert, aimé, tremblé !
Avoir bercé l’enfant entre nos mains de mères
Pour qu’il soit, sous nos yeux, de ces mains immolé !

À la voix qui plus haut commande, inexorable,
Il me faut obéir, répond l’adolescent ;
C’est celle d’une mère à toutes préférable
________ Qui réclame mon sang !


8 novembre 1917.