Pages intimes 1914-1918/17

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 43-45).
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C’EST L’AMOUR DE LA CROIX…


Au R. P. H…
Intret in conspectu tuo, Domine,
gemitus compeditorum…

_____________(Ps. 78.)



À toi dont le sublime et brûlant ministère
Se consume là-bas dans l’ombre d’un cachot
Comme un flambeau s’éteint dans un air délétère,
Comme s’éteint la voix qui reste sans écho,

Je songe, quand, le soir, par de larges brassées
J’entretiens dans mon âtre un grand feu de sarments
Et que sifflent dehors les rafales glacées,
songe et je compare à mon sort tes tourments !

Au foyer, des enfants, charmes de ma vieillesse,
Qui m’enlacent le cou, qui m’étreignent les mains,
Me retiennent captif — captif de leur caresse —
Toi, tu vis prisonnier, séparé des humains.



Si le soleil joyeux vient frapper à ma porte,
Des soucis et des ans déposant le fardeau,
Je m’en vais, le pied libre, où mon humeur me porte
— Toi, sous l’œil du geôlier, tu tournes au préau.

Ou bien, à la clarté d’une lampe complice,
Je veille, indifférent à l’heure qui s’enfuit,
Du livre défendu savourant le délice,
— Tu gis enténébrè, longtemps avant la nuit.

Certes le grain de mil que leur main nous mesure
N’est pas, même au plus pauvre, un régal à souhait,
Mais la faim, après tout, m’épargne sa morsure,
— Pour apaiser la tienne, avale leur brouet.



Courbé durant des mois sous cette ignominie,
Tu languiras sans pain, sans lumière et sans feu ;
Ta montée au calvaire et ta lente agonie
N’auront d’autre secours, d’autre témoin que Dieu.

Pour qu’un tel châtiment sur toi s’appesantisse
Dont l’horreur chez plus d’un égara la raison,
Qu’as-tu fait ? Ou faut-il douter de la Justice ?
Tes mains auront trempé dans quelque trahison…

Sa trahison ? J’en ai la mémoire encor fraîche,
J’entendis l’avouer dans son énormité :
À l’Église, un dimanche, il avait, dans un prêche,
Excité la jeunesse à mourir en beauté.


C’est le crime d’État qu’il expie aux galères,
Parmi les assassins et parmi les voleurs,
Sans fatiguer ses murs d’inutiles colères,
Sans accuser le sort et sans verser de pleurs.

Ah ! sans doute il escompte une ample récompense
Pour s’être de l’honneur institué gardien ?
Peut-être couve-t-il quelque douce vengeance ?
Prêtre, soldat, dis-nous, dis-nous qui te soutient.

Quelle est la source vive où ton âme héroïne
A trempé son armure et puisé sa vertu ?
Comme aux pieds du Pontife, en prison Mamertine,
Un ange à ton appel serait-il descendu ?

Le Ciel s’ouvre aux captifs, écrivit le Psalmiste,
Et leur gémissement monte au Trône éternel ;
Pourquoi donc étouffer ta souffrance égoïste
Et ne pas sangloter dans le sein paternel ?

Martyr, révèle-nous le secret de ta force
Et du ravissement qu’en tes yeux j’aperçois
Voilé sous tes sourcils comme un fruit sous l’écorce...
Le prêtre a répondu : C’est l’amour de la Croix !


Die XX januarii 1918.
SS. Fabiani et Sebastiani Martyrum.