Pages intimes 1914-1918/2

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 7-8).



TE REVOIR LIBRE ENFIN !


Déjà plus d’un printemps après plus d’un hiver
Ta chair aura saigné sous leur griffe de fer !

Ce n’était pas assez pour ces hordes impies
Sur les routes d’exil de jeter tant de vies,

De piller nos trésors, de souiller nos autels,
Barbares, d’immoler nos chefs-d’œuvre immortels,

Par nos champs ravagés de s’ouvrir un passage,
Puis en lettres de feu d’écrire leur ouvrage,

Ce n’était pas assez ; il leur faut plus encor
Que ta terre et ton ciel, que ton sang et ton or,

On vous veut asservir, ô Flandre, ô Wallonie !
Et, pour mieux te dompter, on te veut désunie,

Belgique indivisible ! Ah ! quand viendra le jour
Où tu t’arracheras des serres du vautour ?

Quand, parmi tes cités en deuil et faméliques,
Ne résonneront plus leurs pas et leurs musiques ?

Ah ! quand viendra le jour âprement attendu
Où nous pourrons ouvrir le livre défendu,

Vers de féconds labeurs retourner, l’âme en proie
Aux douloureux frissons de la première joie,

Savourer la douceur de ce premier matin,
Frémir au vent du large, altérés d’air marin,

Aux proscrits, aux captifs tendre des mains amies,
Baiser leurs pieds, leurs fronts et leurs lèvres blêmies ;

Comme au temps reculé de la belle saison,
Rassembler nos enfants dans la vieille maison ;

Nos enfants ! retrouver nos yeux dans leurs prunelles !
Les ravoir, abreuvés des larmes maternelles !

Et venger nos martyrs ! Aux murs teints de leur sang
Leur dresser des autels, leur brûler de l’encens,

Quel réveil ! quelle aurore après la nuit tragique !
Te revoir libre enfin, te revoir, ô Belgique !


Pentecôte 1916.