Pages intimes 1914-1918/24

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 59-60).


LA CURÉE


De quel limon fangeux a donc été tirée
__________L’âme mercantile des gens
Plus âpres qu’une meute autour de la curée
__________Où s’étanche leur soif d’argent ?

Vainement la Nature à nos maux pitoyable
__________Dispense inépuisablement
Les trésors de son sein, ceux de la terre arable,
__________Son lait, sa houille et son froment.

Ces richesses qu’avec délice elle prépare,
__________Que pour nous tous le bon Dieu fit,
Eh quoi ! faut-il que quelques-uns les accaparent
__________Pour s’engraisser de leur profit ?

Regardez-les, — tandis qu’on voit le prolétaire
__________Anémié, sans feu ni lieu,
Pour apaiser sa faim aller gratter la terre,
__________Errer à la grâce de Dieu, —


Regardez-les, les écumeurs, la vile engeance,
__________Mauvais riches, mauvais bergers,
Étalant l’impudeur de leur ventripotence,
__________Regardez-les se goberger !

C’est pour eux qu’on se bat, qu’on se bat à nos portes,
__________Que nous sommes martyrisés !
L’ennemi dans nos murs campe avec ses cohortes
__________Pour qu’ils puissent thésauriser !

Le jour luira bientôt où, sur son trône assise,
__________La Patrie, arrachée au Hun,
Pareille à la Justice en d’augustes assises,
__________Voudra compter avec chacun.

Je t’avais confié mon drapeau, dira-t-elle,
__________Pour lui ton bras a combattu ;
Viens, entre dans ma joie, ô serviteur fidèle,
__________Reçois le prix de ta vertu.

Mais toi qui préféras ta fortune à la mienne,
__________Serviteur félon et vénal,
Si le gibet t’épargne, au moins dans la géhenne
__________T’attend le supplice infernal !