Pages intimes 1914-1918/24
LA CURÉE
De quel limon fangeux a donc été tirée
L’âme mercantile des gens
Plus âpres qu’une meute autour de la curée
Où s’étanche leur soif d’argent ?
Vainement la Nature à nos maux pitoyable
Dispense inépuisablement
Les trésors de son sein, ceux de la terre arable,
Son lait, sa houille et son froment.
Ces richesses qu’avec délice elle prépare,
Que pour nous tous le bon Dieu fit,
Eh quoi ! faut-il que quelques-uns les accaparent
Pour s’engraisser de leur profit ?
Regardez-les, — tandis qu’on voit le prolétaire
Anémié, sans feu ni lieu,
Pour apaiser sa faim aller gratter la terre,
Errer à la grâce de Dieu, —
Regardez-les, les écumeurs, la vile engeance,
Mauvais riches, mauvais bergers,
Étalant l’impudeur de leur ventripotence,
Regardez-les se goberger !
C’est pour eux qu’on se bat, qu’on se bat à nos portes,
Que nous sommes martyrisés !
L’ennemi dans nos murs campe avec ses cohortes
Pour qu’ils puissent thésauriser !
Le jour luira bientôt où, sur son trône assise,
La Patrie, arrachée au Hun,
Pareille à la Justice en d’augustes assises,
Voudra compter avec chacun.
Je t’avais confié mon drapeau, dira-t-elle,
Pour lui ton bras a combattu ;
Viens, entre dans ma joie, ô serviteur fidèle,
Reçois le prix de ta vertu.
Mais toi qui préféras ta fortune à la mienne,
Serviteur félon et vénal,
Si le gibet t’épargne, au moins dans la géhenne
T’attend le supplice infernal !