Pages intimes 1914-1918/33

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 83-84).

DIMANCHE


J’entends à la nuit close et dans l’air amical
Refluer vers la ville une rumeur humaine ;
La foule déposant le poids de la semaine,
S’en fut garder dehors le four dominical.

S’en fut vers la Forêt, le long de l’Avenue,
À la Pelouse, au Lac, et jusqu’au plus épais
Des taillis, des ravins, en quête d’une paix
Dont trop longtemps, hélas ! elle attend la venue.

Trop longtemps asservie aux rigueurs du Destin,
Résignée, elle accepte une croix nécessaire
Et porte noblement le joug de sa misère,
Mais veut, fût-ce un seul jour, une part du festin,

Une part du festin que, sous bois, la Nature
Offre dans la splendeur de son Palais d’été,
Hospitalière à tous, même à la pauvreté,
Même plus fraternelle à l’humble créature.

Je l’entends, la devine à sa sourde rumeur,
L’humble foule qui rentre au logis, apaisée ;
Tu lui prêtas ta grâce, au front tu l’as baisée,
Forêt, tu lui versas un peu de bonne humeur.

Pour les forces, l’oubli, la gaieté que tu donnes
À ces déshérités, je t’aime et te bénis ;
Tu répares du sort les maux et les dénis
Et fais qu’en ce temps-ci le peuple nous pardonne.
Nous pardonne le peuple, en son sang appauvri,
D’avoir payé moins lourd notre dette à l’armée,
Porté moins de soucis en notre âme alarmée,
D’être saignés moins fort et d’être mieux nourris !


14 juillet 1918.