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Pages intimes 1914-1918/34

La bibliothèque libre.
Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 85-86).

STANCES À GODEFROID KURTH


J’ai voulu saluer ta tombe et le village
Où, déjà détaché de ce monde à demi,
Tu vins, dans la retraite, incomparable ami,
Chercher un viatique avant le grand voyage.

Agenouillé, je songe à tes nobles travaux,
Magique évocateur des gloires historiques,
Qui, sur des plans anciens, avec de vieilles briques,
Rebâtis des palais et des temples nouveaux.

Infatigablement tu fouillas nos Annales ;
Révisant les arrêts des Docteurs d’autrefois,
Tu refis la lumière et montras dans la Foi
La source où se trempa l’âme nationale.

Quels sont ceux, disais-tu, qui, depuis Constantin,
Ont servi, défendu l’Eglise catholique
À l’égal des héros qu’enfanta la Belgique,
Charlemagne, Clovis, Godefroid, Charles-Quint ?

Et d’un amour fervent pour ta terre et ta race,
D’une main exercée en l’art de l’imager,
Tu peignis les portraits de l’évêque Notger,
De Clotilde la reine et de saint Boniface.

Mais si loin que ton œil portât dans le passé,
De si haut, à l’avant, que plongeât ton génie,
Eût-il osé prévoir qu’un jour la Germanie
En haine tournerait notre amour insensé ?

Qu’un jour viendrait, de rapt et de piraterie,
Où ses reîtres, fonçant sur ton humble manoir,
Crochèteraient ta porte et, sous leur casque noir,
Étoufferaient ta voix, Chantre de la Patrie ?

Que n’as-tu survécu pour le marquer au front,
Le bandit couronné, d’une encre indélébile !
Si l’épée eût été lourde à ton bras débile,
Ta plume était de taille à venger nos affronts.

Mais tes mânes, toujours de ta flamme animées,
Nous prêteront d’en haut leur secours ici-bas,
Invisible témoin de nos âpres combats,
Soldat du Christ, debout près du Dieu des armées !


17 août 1918.