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Palmira/XXV

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Maradan (3p. 19-35).


CHAPITRE XXV.




Elle se coucha tard, se leva excessivement matin, et ne faisait qu’aller et venir sur la route par où devait arriver madame de Saint-Pollin. Effectivement, vers neuf heures, elle apperçut une chaise de voyage dans laquelle était Charles, à côté d’une femme, de quarante-cinq ans à-peu-près, dont la figure respirait une touchante bonté.

Palmira fut au-devant de la voiture. Madame de Saint-Pollin lui tendit les bras avec l’expression la plus cordiale ; et, descendant bientôt, embrassa dix fois sa nièce, en répétant : Qu’elle est belle et intéressante ! Je vous remercie, Charles, de me l’avoir fait connaître. Ah ! c’est toute l’image de mon pauvre frère ! Voilà bien ses superbes yeux noirs, son air noble.

Ah ! madame ! interrompit Palmira, qu’il est flatteur pour moi de recevoir un si doux accueil ! — N’y avez-vous pas des droits, ma chère enfant ? N’êtes-vous pas de notre sang, la fille de notre bien aimé Saint-Ange ? car je ne mets nulle distinction entre les enfans de la nature et ceux de la loi.

Charles, qui savait que ces distinctions-là, de quelque manière qu’on pût les présenter, blessaient toujours Palmira, prit ces deux dames sous le bras. Ils entrèrent tous dans la maison. Madame de Saint-Pollin s’assit près de sa nièce, tenant affectueusement sa main, et lui disant : Charles m’a appris que vous comptiez vous retirer dans un couvent ; mais, avant tout, je veux vous posséder chez moi. Ah ! madame ! cela me rendrait trop heureuse ! cependant j’ignore si ce sera possible. Vous connaissez toute la haine que me porte madame de Mircour ; elle redoublerait sans doute, me sachant si près d’elle.

Elle l’ignorera, interrompit madame de Saint-Pollin. Ma sœur ne daigne pas avoir la moindre communication avec le petit coin de terre que nous habitons ; jouissant de tous les avantages d’une haute opulence, elle oublie que j’existe, à six lieues d’elle, dans l’antique château de nos pères ; séjour que la probité et l’honneur habitèrent constamment, mais dont la fortune n’approcha jamais.

Madame de Saint-Pollin racontait cela avec une simplicité vraiment aimable et gaie. Sa nièce, à qui elle inspirait beaucoup de penchant, lui dit qu’elle était prête à la suivre, étant rassurée sur le seul inconvénient qui pouvait l’en empêcher. Sa bonne tante l’embrassa encore, et ajouta en souriant : Quand nous nous connaîtrons mieux, j’espère que vous me confierez les raisons qui vous ont amenée en France. Je présume bien que ce sont des propositions de mariage, de grands tourmens qu’on vous a fait éprouver à ce sujet. C’est ordinairement ce qui décide la fuite des jeunes personnes. — Toute idée de persécution, Madame, est étrangère au cœur de ceux avec qui je vivais ; mais ma fatale situation m’a commandé, sous plusieurs rapports, de m’en éloigner. Palmira se leva alors, et alla faire ses petits préparatifs de départ ; Louise la suivit. Madame de Saint-Pollin resta seule avec son neveu, et lui dit : Votre mère est une extravagante d’avoir dédaigné cette charmante créature : c’est la plus belle femme que j’aie vue de ma vie. En vérité, elle m’en impose avec son air majestueux ; puis, quand je considère sa ressemblance avec mon cher Saint-Ange, je m’attendris jusqu’aux larmes.

Charles l’assura qu’elle avait autant de vertu, de talens, que d’attraits. Ils continuèrent à s’occuper d’elle, tandis que Louise lui témoignait ses regrets de la voir partir de chez eux. Elle et Roger s’y étaient véritablement affectionnés. Ils ressentaient dans toute son étendue ce charme touchant qui attache les cœurs sensibles aux êtres qu’ils ont obligés. Palmira de même éprouvait reconnaissance et amitié. Quand elle eut terminé ses arrangemens, elle donna un baiser au front de Louise, obscurci par l’idée d’une prochaine séparation. Ma chère, lui dit-elle, des trésors ne pourraient m’acquitter envers vous ; mais laissez-moi le doux plaisir d’offrir une bagatelle à l’enfant qui naîtra du meilleur couple qui existe. Louise la supplia de ne pas empoisonner, par un don quelconque, la jouissance qu’elle avait trouvée à pouvoir lui être utile en quelque chose. Palmira n’insista pas, mais glissa, sans être apperçue, dans la layette de l’enfant un rouleau de vingt-cinq louis, et elle mit au doigt de Louise un joli anneau d’or émaillé, qu’elle portait ordinairement ; ce qui enchanta la jeune femme.

Miss Harville vint rejoindre ses parens, et l’on s’apprêta à partir. Ah ! mademoiselle, répétaient, les yeux baignés de larmes, les honnêtes pêcheurs : daignez ne pas oublier la cabane de Louise et Roger ; et, si notre bonheur vous y ramenait encore, croyez que vous y trouverez toujours le même zèle, un profond respect, et, si nous l’osons dire, la plus vive tendresse. Palmira, émue, leur promit un éternel souvenir, et une visite avant de quitter la Normandie.

Pendant la route, madame de Saint-Pollin eut mille attentions pour sa nièce, et la prévint qu’on allait lui présenter sa cousine. Mon Hortense n’est pas belle comme vous, lui dit-elle, mais, au fond c’est une excellente fille. Qui doit être bien bonne, bien aimable, si elle vous ressemble, répartit Palmira. Charles lança un regard significatif, propre à faire comprendre qu’il n’en était rien.

Bientôt on fit appercevoir à miss Harville les hautes tourelles du château d’Angecour. Son antiquité, sa massive structure, lui donnaient dans l’éloignement un aspect assez imposant ; mais, de près, Palmira fut assez surprise de ne remarquer que des bâtimens délabrés, sans apparence de parc ni de jardin. Tout était consacré à l’utilité. On avait abattu, depuis bien long-temps, les avenues de marroniers, et on leur avait substitué deux rangées de pommiers. Ce fut là que l’on mit pied à terre, et que l’on rencontra mademoiselle Hortense, tenant un petit parasol de tafetas vert sur sa tête, et attendant les voyageurs. On fit embrasser les deux cousines. Palmira déploya toutes ses graces dans cet abord. Pour Hortense, elle la regardait sans rien dire ; il semblait qu’elle était pétrifiée. Elle finit cependant par faire à miss Harville quelques petites et maussades révérences en réponse à ses phrases obligeantes.

On gagnait la maison. Hé bien, demanda Charles à mademoiselle de Saint-Pollin, comment trouvez-vous miss Harville ? — Ah ! c’est là une miss ? comme elle est mince et blanche ! je lui trouve l’air tout-à-fait extraordinaire. Je conçois, reprit Charles un peu en colère, que vous n’avez jamais rien vu qui lui ressemble. Véritablement mademoiselle Hortense n’avait pas beaucoup de rapport avec sa cousine : d’une taille nullement avantageuse, la fraîcheur de ses dix-huit ans ne rachetait pas des traits mal assortis, un teint excessivement brun, et une tournure désagréable ; ses manières n’avaient pas plus de charmes, elles annonçaient la sécheresse de son esprit. Fière de sa noblesse, elle n’avait rien de l’aimable urbanité de sa mère. Mademoiselle Hortense était donc une triste compagne pour celle qui avait passé sa vie avec la charmante ladi Sunderland.

En entrant dans un vaste salon, meublé plus que simplement, Palmira reconnut le portrait de son père, et tout le temps qu’elle passa à Angecour, elle ne manqua jamais de se placer en face de lui.

Ce premier jour se passa d’une manière paisible, même assez agréable, quoique miss Harville souffrît un peu de voir M. de Mircour installé près d’elle, et de n’oser s’en plaindre, s’appercevant bien que madame de Saint-Pollin, avait plus d’un motif pour aimer son neveu.

On donna à miss Harville la chambre d’honneur ; mais il n’y avait pas de volets : les jalousies étaient à moitié cassées, et l’éclat du grand jour la fit lever d’assez bonne heure. Elle ouvrit ses croisées, et contempla avec plaisir le paysage qui l’entourait. De riantes prairies, des ruisseaux limpides, une quantité considérable d’arbres fruitiers, l’embellissaient. Elle pensait que c’était sûrement dans ces lieux que son père eût conduit sa noble et jeune épouse, si le sort eût permis à Élisa d’accomplir son projet. Hélas ! disait-elle, s’il en avait été ainsi, ma naissance n’eût pas été empreinte d’une tache désespérante ; sans connaître l’opulence et la grandeur, j’aurais vécu ici, et ma destinée eût été heureuse. Quelle différence ! Ô Mortymer ! votre main cruelle frappa plus d’une génération.

Madame de Saint-Pollin vint la distraire de ses réflexions, en l’assurant que son sommeil avait été plus doux que de coutume, reposant près de la fille de son cher Saint-Ange. Palmira l’embrassa, puis elles descendirent. Mademoiselle Hortense commença par les gronder de s’être fait un peu attendre, ajoutant que la cloche de la paroisse avait déjà sonné deux fois, et qu’il était bien temps de partir pour la messe. Mais mon Dieu, ma cousine, dit-elle à miss Harville, est-ce que vous comptez sortir comme cela, avec vos cheveux tout naturellement bouclés ? Palmira ne put s’empêcher de sourire, et lui répondit que c’était sa coutume de les porter ainsi ; mais qu’elle ne pourrait dans cette circonstance accompagner ces dames. J’honore tous les cultes, ajouta-t-elle ; cependant je m’écarterais de mes principes, en participant au vôtre. Je vous demande donc la permission de rester.

Madame de Saint-Pollin convint que cela était juste, et pria Charles de venir avec elle et sa fille. Charles fut au moment de leur répondre que sa divinité, à lui, était là ; néanmoins, rempli d’égards et de complaisance pour sa tante, il ne la refusa pas. À peine furent-ils hors du salon, qu’Hortense, observa avec une sorte d’humeur, qu’il était bien fâcheux d’avoir des affinités avec une hérétique.

Fût-elle mahométane, reprit Charles, elle est l’ouvrage le plus parfait d’un Dieu, qui méconnaît, j’en suis sûr, les distinctions que fait là l’orthodoxe Hortense. Ô belle et angélique Palmira ! ajouta-t-il, tu porteras bonheur à celui qui t’aimera et protégera ; et puisse le malheur écraser l’être qui refuserait tendresse et appui à ta jeunesse, à tes vertus ! Hortense était bien tentée de faire une réponse désagréable à son cousin.

Palmira n’avait pas fait la même impression sur elle que sur sa mère ; l’éclat de sa supériorité l’avait offusquée ; et, dévote plus encore qu’envieuse, elle était ravie de trouver un prétexte dans la différence de religion pour lui refuser son estime : si elle avait connu son défaut de légitimité, cela aurait été encore pire, mais madame de Saint-Pollin avait eu la prudence de le lui taire. Cette dernière prit à peine garde à l’altercation de sa fille et de Charles, étant habituée à la mauvaise humeur de l’une, et à la vivacité exaltée de l’autre.

Mais laissons pendant quelque temps miss Harville dans cette paisible demeure, où M. de Mircour est sans cesse en idolâtrie près d’elle, madame de Saint-Pollin toujours bonne et caressante, mademoiselle Hortense point assez intéressante pour que Palmira attache quelque importance aux procédés peu aimables qui émanaient de sa secrète jalousie et de son aigre caractère ; et occupons-nous de milord duc de Sunderland, de sa fille, de l’excès de leur étonnement et de leur chagrin en apprenant la fuite de miss Harville par l’affligé Akinson.