Pantagruel/Édition Nourry, 1530
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Pantagruel
Les horribles et espoventables
faictz et prouesses du très renommé
Pantagruel, roy des Dipsodes,
filz du grand géant Gargantua,
Composez nouvellement
par Maistre
Alcofrybas
Nasier.
On les vend à Lyon en la maison
de Claude nourry, dict le Prince
pres nostre dame de Confort.
Prologue de l’Auteur.
res illustres et tres chevaleureux champions gentilz hommes et aultres, qui voluntiers vous adonnez à toutes gentillesses et honnestetez, vous avez na gueres veu, leu, et sceu les grandes et inestimables chronicques de l’enorme geant Gargantua, et comme vrays fideles les avez creues tout ainsi qu’en texte de Bible ou du sainct Evangile, et y avez maintefoys passé vostre temps avecques les honorables dames et damoyselles, leur en faisans beaulx et longs narrez, alors que estiez hors de propos : dont estes bien dignes de grande louange. Et à la mienne volunte que ung chascun laissast sa propre besoigne, ne se souciast de son mestier et mist ses affaires propres en oubly, afin d’y vacquer entierement sans que son esprit feust de ailleurs distraict ny empesche, jusques à ce que l’on les sceust par cueur, affin que si d’adventure l’art de l’imprimerie cessoit, ou en cas que tous livres perissent, au temps advenir dont chascun les puisse bien au net enseigner à ses enfans : car il y a plus de fruict que par adventure ne pensent ung tas de gros talvassiers tous croustelevez, qui entendent beaucoup moins en ces petites joyeusetez que ne faict Raclet en l’Institute. J’en ay congneu de haultz et puissans seigneurs en bon nombre, qui, allant à chasse de grosses bestes, ou voller pour faucons : s’il advenoit que la beste ne feust rencontree par les brisees, ou que le faulcon se mist à planer, voyant la proye gaigner à tire d’esle, ilz estoient bien marryz, comme entendez assez : mais leur refuge de reconfort et affin de ne se morfondre estoit à recoler les inestimables faictz dudict Gargantua. D’aultres sont par le monde (ce ne sont pas faribolles) qui estans grandement affligez du mal des dentz, apres avoir tous leurs biens despenduz en medecins, ne ont trouve remede plus expedient, que de mettre les dictes chronicques entre deux beaulx linges bien chaulx, et les appliquer au lieu de la douleur, les sinapizant avecques un peu de pouldre d’oribus. Mais que diray je des pauvres verollez et goutteux ? O, quantes foys nous les avons veu à l’heure quilz estoyent bien oingtz et engressez à poinct, et le visaige leur reluysoit comme la claveure d’un charnier, et les dentz leur tressailloyent comme font les marchettes dung clavier dorgues ou despinette quand on joue dessus, et que le gousier leur escumoit comme a un verrat que les vaultres et levriers ont chasse sept heures : que faisoyent-ilz alors ? toute leur consolation nestoit que de ouyr lire quelque page dudict livre. Et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de diables, en cas que ilz n’eussent senty allegement manifeste a la lecture dudict livre, lors quon les tenoit es Iymbes, ny plus ny moins que les femmes estans en mal d’enfant quand on leurs list la vie de saincte Marguerite. Est ce rien cela ? Trouvez moy livre en quelque langue, en quelque faculte et science que ce soit, qui ayt telles vertus, proprietez, et prerogatives, et je paieray chopine de trippes. Non messieurs non. Il n’y en a point. Et ceulx qui vouldroient maintenir que si : reputés les abuseurs et seducteurs. Bien vray est il que l’on trouve en d’aulcuns livres dignes de memoire certaines propriétés occultes, au nombre desquelz l’on met Robert le diable, Fierabras, Guillaume sans paour, Huon de Bourdeaulx, Monteville, et Matabrune, mais elles ne sont pas à comparer à celuy dont nous parlons. Et le monde a bien congneu par experience infaillible le grand emolument et utilite qui venoit de ladicte chronicque Gargantuine : car il en a este plus vendu des imprimeurs en deux moys, qu’il ne sera achepte de Bibles en neuf ans. Voulant doncques moy vostre humble esclave accroistre voz passetemps davantaige, ie vous offre de present ung aultre livre de mesmes billon, sinon quil est ung peu plus equitable et digne de foy que n’estoit l’aultre. Car ne croyez pas si ne voulez errer à vostre escient, que ien parle comme les Juifz de la loy. Je ne suis pas nay en telle planette, et ne m’advint oncques de mentir ou asseurer chose que ne feust veritable : agentes et consentientes, cest a dire qui na conscience na rien. Jen parle comme sainct Jehan de lApocalypse : quod bibimus testamur. C’est des horribles faicts et prouesses de Pantagruel, lequel iay servy à guaiges des que ie fus hors de paige, iusques a present, que par son congie men suis venu ung iour visiter mon pays de vache et scavoir s’il y avoit encores en vie nul de mes parens. Pourtant, affin que ie fasse fin à ce prologue, tout ainsi comme ie me donne à cent mille panerees de beaulx diables corps et ame, trippes et boyaulx, en cas que ien mente en toute lhistoire dung seul mot, pareillement le feu sainct Antoine vous arde, mau de terre vous vire, le lancy, le mau lubec vous trousse, la caquesangue vous viengne, le mau fin feu de ricque racque, aussi menu que poil de vache, tout renforcé de vif argent, vous puisse entrer au fondement, et comme Sodome et Gomorre puissez tomber en soulfre en feu et abysme/en cas que vous ne croyez fermement tout ce que ie vous racompteray en ceste presente chronicque. De lorigine et antiquite du grand
Pantagruel. Chapitre.j.
e ne sera point chose inutile ne oysifve de vous remembrer la premiere source et origine dont nous est nay le bon Pantagruel : car ie voy que tous bons historiographes ainsi ont traicte leurs chronicques, non seulement des Grecs, des Arabes, et Ethnicques, mais aussi les auteurs de la saincte escripture, comme monseigneur sainct Luc mesmement, et sainct Matthieu. Il vous convient doncques noter que au commencement du monde ung peu apres que Abel fut occis par son frere Cayn, la terre embue du sang du iuste fut une certaine annee si tresfertile en tous fruictz qui de ses flans nous sont produictz, et singulierement en mesles, que lon lappela de toute memoire lannee des grosses mesles : car les troys en faisoient le boysseau, au moys de Octobre ce me semble ou bien de Septembre, affin que ie ne erre : fut la sepmaine tant renommee par les annales, quon nomme la sepmaine des troys Jeudys : car il y en eut troys, a cause des irreguliers bissextes que la Lune varia de son cours plus de cinq toizes, le monde voluntiers mangeoit desdictes mesles : car elles estoient belles a lœil : et delicieuses au goust. Mais tout ainsi que Noe le sainct homme, à qui nous sommes tant obligez et tenuz, de ce quil nous planta la vigne, dont nous vient ceste nectareicque, precieuse, celeste, et deificque liqueur, qu’on nomme le piot/ fut trompe en le beuvant : car il ignoroit la grande vertu et puissance diceluy. Semblablement les hommes et femmes de ce temps la mangeoient en grand plaisir de ce beau et gros fruict : mais il leurs en advint beaucoup daccidens. Car a tous survint au corps une enfleure bien estrange : mais non a tous en ung mesme lieu. Car les ungs enfloient par le ventre, et le ventre leur devenoit bossu comme une grosse tonne : desquels il est escript : ventrem omnipotem. Et de ceste rasse nasquit sainct Pansart et Mardygras. Les aultres enfloient par les espaules et tant estoient bossuz quon les appeloit montiferes, comme porte montaignes : dont vous en voyez encores par le monde en divers sexes et dignitez. Et de cette rasse yssit Esopet : dont vous avez les beaulx faictz et dictz par escript. Les aultres enfloient en longitude par le membre, qu’on appelles le laboureur de nature : en sorte quils le avoyent merveilleusement long, grand, gras, gros, vert, et acreste, a la mode antique, si bien quils sen servoient de ceincture le redoublant a cinq ou six foys par le corps : Et sil advenoit quil feut en point et eut vent en pouppe, a les veoir vous eussiez dit que cestoient gens qui eussent leurs lances en larrest pour iouster à la quintaine. Et de ceulx la sest perdue la rasse, comme disent les femmes. Car elles lamentent continuellement quil nen est plus de ces gros etc. vous scavez le reste de la chanson. Daultres croissoyent par les iambes et a les veoir eussiez dit que cestoient grues, ou bien gens marchans sus des eschasses. Et les petitz grymaulx les appellent en grammaire Iambus. Daultres par les aureilles, lesquelles ils avoient si grandes que de lune en faisoient pourpoint, chausses, et sayon : et de laultre se couvroient comme dune cappe à lespaignole. Et dit lon quen Bourbonnoys encores en a de lheraige, dont sont dictes aureilles de Bourbonnoys. Les aultres croissoient en long du corps : et de ceulx là sont venuz les geans, et par eulx Pantagruel. Et le premier fut Chalbroth, qui engendra Sarabroth, qui engendra Faribroth, qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de souppes et regna au temps du deluge, qui engendra Nembroth, qui engendra Athlas qui avecques ses espaules guarda le ciel de tumber, qui engendra Goliath, qui engendra Eryx, qui engendra Titius, qui engendra Polyphemus, qui engendra Cacus, qui engendra Enceladus, qui engendra Ceus, qui engendra Typhœus, qui engendra Alœus, qui engendra Othus, qui engendra Aegeon, qui engendra Briareus qui avoit cent mains, qui engendra Porphyrio, qui engendra Adamastor, qui engendra Anteus, qui engendra Agatho, qui engendra Porus contre lequel batailla Alexandre le grand, qui engendra Aranthas, qui engendra Gabbara, qui engendra Goliath de Secundille, qui engendra Offot : lequel eut terriblement beau nez a boire au baril, qui engendra Artachees, qui engendra Oromedon, qui engendra Gemmagog, qui fut inventeur des souliers a poulaine, qui engendra Sisyphus, qui engendra les Titanes : dont nasquit Hercules, qui engendra Enay [qui fut tresexpert en la matier de oster les cyrons des mains], qui engendra Fierabras, lequel fut vaincu par Olivier pair de France compaignon de Roland, qui engendra Morguan, qui engendra Fracassus : duquel a escript Merlinus Coccaius : dont nasquit Ferragus, qui engendra Happemousche qui engendra Bolivorax, qui engendra Longys, qui engendra Gayoffe, qui engendra Maschefain, qui engendra Brulefer, qui engendra Engoulevent, qui engendra Galehaut, qui engendra Myrelangault, qui engendra Galaffre, qui engendra Falourdin, qui engendra Roboastre, qui engendra Sortibrant de Conimbres, qui engendra Brushant de Mommiere, qui engendra Bruyer, lequel fut vaincu par Ogier le dannoys pair de France, qui engendra Mabrun, qui engendra Foutasnon, qui engendra Hacquelebac, qui engendra Vitdegrain, qui engendra Grantgousier, qui engendra Gargantua, qui engendra Pantagruel mon maistre. Jentends bien que lysant ce passaige, vous faictes en vous mesmes ung doubte bien raisonnable. Et demandez, comment est il possible qu’ainsi soit : veu que au temps du deluge tout le monde perit fors Noe et sept personnes avecques luy dedans l’Arche : au nombre desquels nest point mys ledict Hurtaly ? La demande est bien faicte sans doute et bien apparente : mais la response vous contentera. Et par ce que nestoys pas de ce temps la pour vous en dire a mon plaisir, ie vous allegueray l’auctorite des Massoreths interpres des sainctes lettres hebraicques : lesquels disent que sans point de faulte ledict Hurtaly nestoit point dedans lArche de Noe, aussi ny eust il peu entrer : car il estoit trop grand, mais il estoit dessus lArche à cheval iambe deca iambe dela, comme les petitz infans sus les chevaulx de boys. Et en ceste façon saulva ladicte Arche de periller : car il luy bailloit le bransle avecques les iambes, et du pied la tournoit ou il vouloit comme on faict du gouvernail dune navire : Et ceulx du dedans luy envoyoient des vivres par une cheminee a suffisance, comme gens bien recognoissans le bien quil leur faisoit. Et quelquefoys parlementoient ensemble, comme faisoit Icaromenippus a Jupiter, selon le raport de Lucian.
De la nativite du tres redoubte Pantagruel.ii
Cha. argantua, en son aage de quattre cens quattre vingtz quarante et quattre ans engendra son fils Pantagruel de sa femme nommée Badebec fille du Roy des Amaurotes en Utopie, laquelle mourut de mal d’enfant : car il estoit si grand et si lourd, qu’il ne put venir a lumiere, sans ainsi suffocquer la mere. Mais pour entendre pleinement la cause et raison de son nom qui luy fut baille en baptesme : vous noterez que celle annee il y avoit une si grand seicheresse en tout le pays de Affricque, pour ce quil y avoit passé plus de xxxvi. moys sans pluye, avec chaleur de soleil si vehesmente, que toute la terre en estoit aride. Et ne fut point au temps de Helye plus eschauffee que fut pour lors. Car il ny avoit arbre sus terre quil eust ny feuille ny fleur, les herbes estoient sans verdeur, les rivieres taries, les fontaines à sec, les pauvres poissons delaissez de leurs propres elements vagans et cryans par la terre horriblement, les oyseaulx tumbans de lair par faulte de rosee, les loups, les regnars, cerfs, sangliers, daims, lievres, connils, bellettes, foynes, blereaux et aultres bestes l’on trouvoit par les champs mortes la gueule baye. Et au regard des hommes, c’estoit la grande pitie, vous les eussiez veus tirans la langue comme levriers qui ont couru six heures. Plusieurs se gettoient dedans les puys, daultres se mettoient au ventre dune vache pour estre à lumbre : et les appelle Homere Alibantes. Toute la contree estoit à lancre : cestoit pitoyable de veoir le travail des humains pour se guarantir de ceste horrificque alteration. Car il y avoit prou affaire de saulver leau benoiste par les esglises quelle ne feust desconfite : mais lon y donna tel ordre par le conseil de messieurs les cardinaulx et du sainct pere, que nul nen osoit prendre quune venue : Encores quand quelquung entroit en lesglise, vous en eussiez veu a vingtaines de pauvres alterez qui venoient au derriere de celluy qui la distribuoit a quelquung la gueulle ouverte pour en avoir quelque petite goutelette : comme le maulvais Riche, affin que rien ne se perdit. O que bienheureux fut en ceste annee celuy qui eut cave fraische et bien garnie.Le philosophe racompte en mouvant la question, pourquoy cest que leau de la mer est sallee ? quau temps que Phebus bailla le gouvernement de son chariot lucificque à son fils Phaeton : Ledict Phaeton mal apris en lart, et ne scavant ensuyvre la ligne eclipticque entre les deux tropicques de la sphere du Soleil, varia de son chemin : et tant approcha de la terre, quil mist a sec toutes les contrees subiacentes, bruslant une grande partie du ciel, que les philosophes appellent via lactea : et les Lifrelofres nomment le chemin sainct Jacques. Adonc la terre fut tant eschauffee, quil luy vint une sueur enorme, dont elle sua toute la mer, que par ce est sallee : car toute sueur est sallee, ce que vous direz estre vray si voulez taster de la vostre propre : ou bien de celle des verollez quand on les faict suer, ce me est tout ung. Quasi pareil cas arriva en ceste dicte annee : Car ung iour de Vendredy tout le monde sestoit mis en devotion, et faisoit une belle procession avecques force letanies et beaux preschans, supplians a dieu omnipotent les vouloir regarder de son œil de clemence en tel desconfort, visiblement fut veu de la terre sortir grosses gouttes deau, comme quand quelque personne sue copieusement. Et le pauvre peuple se commença a esiouyr comme sy ce eust este chose a eulx proffitable : Car les aulcuns disoient que de humeur il ny en avoit point en lair, dont on esperast de avoir pluye, et que la terre supplioit au deffault. Les aultres gens scavans disoient que cestoit pluye des Antipodes : comme Senecque narre au quart livre questionum naturalium, parlant de lorigine et source du fleuve du Nile. Mais ils y furent trompez : car la procession finee alors que chascun vouloit recueillir de ceste rousee et en boire à plein godet, trouverent que ce nestoit que saulmere pire et plus salee que nest leau de la mer. Et par ce quen ce propre iour nasquit Pantagruel, son pere luy imposa tel nom : car Panta en Grec vault autant a dire comme tout : et Gruel en langue hagarene vault autant comme altere, voulant inferer quà lheure de sa nativite le monde estoit tout altere. Et voyant en esperit de prophetie quil seroit quelque iour dominateur des alterez. Ce que luy fut monstre à celle heure mesmes par aultre signe plus evident. Car alors que sa mere Badebec enfantoit, et que les sages femmes attendoient pour le recepvoir, issirent premier de son ventre soixante et huyt tregeniers chascun tirant par le licol ung mulet tout charge de sel : apres lesquels sortirent neuf dromadaires chargez de iambons et langues de bœuf fumees : sept chameaulx chargez d’anguillettes : puis vingt et cinq charrettes de porreaulx, daulx, d’oignons et de cibotz, ce que espoventa bien lesdictes saiges femmes, mais les aulcunes d’entre elles disoyent : « Voicy bonne provision. Aussy bien ne bevyons nous que lachement, non en lancement. Cecy nest que bon signe, ce sont aguillons de vin. » Et, comme elles caquetoyent de ces menus propos entre elles, voicy sortir Pantagruel, tout velu comme un ours, dont dist une delles en esperit propheticque : « Il est ne a tout le poil : il fera choses merveilleuses ; et, s’il vit, il aura de leage. »
Du dueil que mena Gargantua de la mort de sa femme Badebec.iii
Cha. uand Pantagruel fut ne, qui fut bien esbahy et perplex ce fut Gargantua son pere : car voyant dung couste sa femme Badebec morte et de laultre son fils Pantagruel ne, tant beau et grand, il ne scavoit que dire ny que faire. Et le doubte qui troubloit son entendement estoit, assavoir mon sil debvoit pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la ioye de son fils ? Dung coste et daultre il avoit dargumens sophisticques qui le suffocquoient : car il les faisoit tresbien in modo et figura, mais il ne les pouvoit souldre. Et par ce moyen demouroit empestre comme ung Millan prins au lasset. Pleureray ie, disoit il ? Ouy : car pourquoy ? Ma tant bonne femme est morte, qui estoit la plus cecy et cela qui fut au monde. Jamais ie ne la verray, iamais ie nen recouvreray une telle : ce mest une perte inestimable. O mon dieu, que te avoys ie faict pour ainsi me punir ? que ne menvoyas tu la mort a moy premier qua elle ? car vivre sans elle ne mest que languir ? Ha Badebec ma mignonne, ma mye, mon petit con (toutefois elle en avoyt bien trois arpens et deux sexterees) ma tendrette, ma braguette, ma savatte, ma pantoufle iamais ie ne te verray. Ha faulce mort tant tu me es malivole, tant tu me es oultrageuse de me tollir celle a laquelle immortalite appartenoit de droict. Et ce disant pleuroit comme une vache : mais tout soubdain ryoit comme ung veau, quand Pantagruel luy venoit en memoire. Ho mon petit fils, disoit il : mon couillon, mon peton, que tu es ioly : et tant ie ie suis tenu a dieu de ce quil me a donne ung si beau fils tant ioyeux, tant ryant, tant ioly. Hohohoho que ie suis ayse, beuvons ho laissons toute melancholie, apporte du meilleur, rince les verres, boutte la nappe, chasse les chiens, souffle ce feu, allume ceste chandelle, ferme ceste porte, envoyez ces pauvres, tiens ma robbe, que ie me mette en pourpoint pour mieulx festoyer les comeres. Et en ce disant il ouyt la letanie et les mementos des prebstres qui portoient sa femme en terre : dont laissa son bon propos et tout soubdain fut ravi ailleurs : disant, Jesus faut il que ie me contriste encores, cela me fasche, le temps est dangereux, ie pourray prendre quelque fiebvre, voy me la affolle. Foy de gentilhomme il vault mieulx pleurer moins, et boire davantaige. Ma femme est morte, et bien : par dieu ie ne la ressusciteray pas par mes pleurs : elle est bien, elle est en paradis pour le moins si mieulx ne est : elle prie dieu pour nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus de nos miseres et calamitez, autant nous en pend à lœil : dieu gard le demourant, il me faut penser den trouver une aultre. Mais voicy que vous ferez, dist il es saiges femmes : allez vous en a lenterrement delle, et ce pendant ie berceray icy mon fils : car ie me sens bien fort altere : et seroys en dangier de tomber malade, mais beuvez quelque peu devant : car vous vous en trouverez bien, et men croyez sur mon honneur. A quoy obtemperant allerent a lenterrement et funerailles : et le pauvre Gargantua demoura a lhostel : mais ce pendant il fist lepitaphe pour estre engrave en la maniere que sensuyt.Elle en mourut la noble Badebec
Du mal denfant, qui tant me sembloit nice :
Car elle avoit visaige de rebec,
Corps despaignole, et ventre de souyce.
Priez a dieu, qua elle soit propice,
Luy pardonnant sen riens oultrepassa :
Cy gist son corps au quel vesquit sans vice,
Et mourut lan et iour que trespassa.
De l’enfance de Pantagruel.iiii.
Chap. e trouve par les anciens historiographes et poetes, que plusieurs sont nez en ce monde en façons bien estranges qui seroient trop longues a racompter, lisez le viie livre de Pline si avez loysir. Mais vous nen ouystes iamais dune si merveilleuse comme fut celle de Pantagruel. Car cestoit chose difficile a croire comment il creut en corps et en force en peu de temps. Et nestoit rien de Hercules, qui estant au berceau tua les deux serpens : car les serpens estoient bien petitz et fragiles. Mais Pantagruel estant encores au berceau fist de cas bien espouventables. Ie laisse icy a dire comment a chascun de ses repas il humoit le laict de quatre mille six cens vaches. Et comment pour luy faire un paeslon a cuire sa bouillie furent occupez tous les paesliers de Saumur en Aniou, de Villedieu en Normandie, de Bramont en Lorraine : et lu bailloit on ladicte bouillie en ung grand tymbre qui est encores de present a Bourges au pres du palays : mais les dentz luy estoient desia tant crues et fortifiees quil en rompit dudict tymbre ung grand morceau, comme tresbien apparoist. Ung certain iour vers le matin quon le vouloit faire tetter une de ses vaches (car de nourrisses il nen eut iamais aultrement comme dit lhistoire) il se deffit des liens qui le tenoient au berceau ung des bras et vous prent ladicte vache par dessoubs le iarret, et luy mangea les deux tetins et la moitie du ventre avecques le foye et les roignons, et leust toute devoree, neust este quelle cryoit horriblement comme si les loups la tenoient aux iambes, auquel cry le monde arriva et osterent ladicte vache des mains dudict Pantagruel : mais ils ne sceurent si bien faire que le iarret ne luy en demourast comme il le tenoit, et le mangeoit tresbien comme vous feriez dune saulcisse : et quand lon luy voulut oster los, il lavalla bien tost, comme ung Cormaran feroit ung petit poisson, et apres commença a dire, bon bon bon : car il ne scavoit encores pas bien parler, voulant donner a entendre, quil lavoit trouve fort bon, et quil nen failloit plus quautant. Ce que voyans ceulx qui le servoient, le lierent a gros cables, comme sont ceulx que lon faict à Tain pour le voyage du sel de Lyon, ou comme sont ceulx de la grand Navire Françoyse quy est au port de Grace en Normandie. Mais quelque foys quung grand Ours que nourrissoit son pere eschappa, et luy venoit lescher le visaige : car les nourrisses ne luy avoient pas bien torche les babines, il se deffit desdictz cables aussi facilement comme Sanson dentre les Philistins, et vous print monsieur de lours, et vous le mist en pieces comme ung poullet, et vous en fist une bonne guorge chaulde pour ce repas. Parquoy craignant Gargantua quil se gastat, fist faire quatre grosses chaines de fer pour le lyer et fist faire des arboutans a son berceau bien aiustez. Et de ces chaines en avez une a la Rochelle que lon lieve au soir entre les deux grosses tours du havre, Laultre est a Lyon, Laultre a Angiers. Et la quarte fut emportee des diables pour lyer Lucifer qui se deschainoit en ce temps la, a cause dune colicque qui le tourmentoit extraordinairement, pour avoir mange lame dung sergeant en fricassee a son desieuner. Dont pouvez bien croire ce que dict Nycolas de lyra sur le passaige du psaultier ou il est escript. Et Og regem Oasan. Que le dict Og estant encores petit estoit si fort et robuste, quil le failloit lyer de chaines de fer en son berceau. Et ainsi demoura coy et pacificque Pantagruel : car il ne pouvoit rompre tant facilement lesdictes chaines, mesmement quil navoit pas espace au berceau de donner la secousse des bras. Mais voicy quarriva ung iour dune grand feste que son pere Gargantua faisoit ung beau banquet a tous les princes de la court. Ie croy bien que tous les officiers de la court estoient tant occupez au service du festin, que lon ne se soucioit point du pauvre Pantagruel : et demouroyt ainsi a reculon. Voicy quil fist, il essaya de rompre les chaines du berceau avecques les bras, mais il ne peust : car elles estoient trop fortes, adonc il se trepigna tant des piedz quil rompit le bout de son berceau qui toutesfois estoit dune grosse poste de sept empans en quarre, et ainsi quil eut mys les piedz dehors, il se avalla le mieulx quil peust, en sorte quil touchoit des piedz en terre. Et alors avecques grand puissance se leva emportant son berceau sur leschine ainsi lye, comme une Tortue qui monte contre une muraille. Et a le veoir sembloit que ce fust une grand caracque de cinq cens tonneaux, qui feut debout. En ce point entra en la salle ou lon bancquetoit, et hardiment quil espouenta bien lassistence : mais par autant quil avoit les bras lyez dedans, il ne pouvoit riens prendre a manger, mais en grand peine se enclinoit pour prendre a tout la langue quelque lippee. Quoy voyant son pere entendit bien que lon lavoit laisse sans luy bailler a repaistre, et commanda quil feut deslye desdictes chaines par le conseil des princes et seigneurs assistans, ensemble aussi que les medecins de Gargantua disoient, que si on le tenoit ainsi au berceau, quil seroit toute sa vie subiect a la gravelle. Et lorsquil fut deschaine, lon le fit asseoir et repeut fort bien, et mist sondict berceau en plus de cinq cent mille pieces d’ung coup de poing quil frappa au meillieu, avecques protestation de iamais y retourner. Des faitz du noble Pantagruel en son
ieune eage. Chapitre v.
insi croissoit Pantagruel de iour en iour et proffitoit a veue dœil, dont son pere sesiouyssoit par affection naturelle. Et luy feit faire comme il estoit petit une arbaleste pour sesbattre apres les oysillons, qui est de present en la grosse tour de Bourges. Puis lenvoya a lescholle pour apprendre et passer son ieune aage. Et de faict vinct a Poictiers pour estudier, et y proffita beaucoup, auquel lieu voyant que les escholliers estoient aulcunefoys de loysir et ne scavoient a quoy passer temps, il en eut compassion. Et ung iour print d’ung grand rochier, publicquement, ung escholier se voulut mettre en danse, ce que ne permirent pas lesdictz marroufles. Quoy voyant Pantagruel leur bailla a tous la chasse iusques au bort du Rosne, et les vouloit faire tous noyer : mais ils se musserent contre terre comme taulpes bien demie lieue soubs le Rosne : Et le pertuys encores y apparoist. Et apres il sen partit, et vint a Angiers, ou il se trouvoit fort bien : et y eust demeure quelque espace, neust este que la peste les en chassa. Ainsi sen vint a Bourges ou estudia bien long temps et proffita beaucoup en la faculte des loix. Et disoit aulcunesfois que les livres des loix luy sembloient une belle robbe dor triumphante et precieuse a merveilles, qui feust brodee de merde : car disoit il, au monde ny a livres tant beaulx, tant aornez, tant elegans, comme sont les textes des Pandectes : mais la brodure diceulx, cest assavoir la glose de Accursius, est tant salle, tant infame et punaise, que ce nest quordure et villenie. Partant de Bourges vinct a Orleans, et la trouva force rustres descholliers, qui luy firent grand chere a sa venue : et en peu de temps aprint avecques eulx a iouer a la paulme si bien quil estoit maistre. Car les estudians dudict lieu en font bel exercice : et le menoient aulcunesfois es isles pour sesbatre au ieu du Poussavant. Et au regard de se rompre fort la teste a estudier, il ne le faisoit point, de peur que la veue ne luy diminuast. Mesmement que ung quidam des regens disoit souvent en ses lectures, quil ny a chose si contraire a la veue, comme est la maladie des yeulx. Et quelque iour que l’on passa Licentie en loix quelquung des escholliers de sa congnoissance, qui se science nen avoit gueres plus que sa portee : mais en recompense scavoit fort bien dancer et iouer a la paulme. Il fist le blason et devise des Licentiez en ladicte Universite, disant. Ung esteuf en la braguette, en la main une raquette, une basse dance au talon, voy vous la passe coquillon.
Comment Pantagruel rencontra ung Lymousin qui contrefaisoit le françoys.vi
Cha. uelque iour que Pantagruel se pourmenoit apres soupper avecques les compaignons par la porte dont lon va à Paris, Il rencontra ung eschollier tout iolliet, qui venoit par icelluy chemin, et apres quils se furent saluez, luy demanda. Mon amy dont viens tu a ceste heure. Leschollier luy respondit. De lalme inclyte et celebre academie, que lon vocite Lutece. Quest-ce a dire dist Pantagruel a ung de ses gens. Cest, respondit il, de Paris. Tu viens doncques de Paris, dist il. Et a quoy passez vous le temps vous aultres messieurs estudians audict Paris. Respondit leschollier. Nous transfetons la Sequane au dilucule et crepuscule, nous deambulons par les compites et quadriviez de lurbe, nous despumons la verbocination latiale et comme verisimiles amorabunds captons la benevolence de lomniiuge omniforme et omnigene sexe feminin, certaines diecules nous invisons les lupanares de Champgaillard, de Mascon, de Cul de sac, de Bourbon, de Huslieu, et en ecstase Venereicque inculcons nos veretres es penitissimes recesses des pudendes de ces meretricules amicabilissimes, puis cauponizons es tabernes meritoires, de la pomme de Pin, de la Magdaleine, et de la Mulle, belles spatules vervecines quon nomme Passelourdin, une grosse roche ayant environ de douze toyzes en quarre, et despesseur quatorze pans. Et la mist sur quatre pilliers au millieu dung champ bien a son ayse, affin que lesdictz escholliers quand ils ne scauroient aultre chose faire passassent le temps a monter sur ladicte pierre, et la banquetter a force flacons, iambons, et pastez : et escrire leurs noms dessus avecques un cousteau : et de present lappelle on la Pierre levee. Et en memoire de ce nest auiourdhuy nul passe en la matricule de ladicte Universite de Poictiers, si non quil ait beu en la fontaine Caballine de Croustelles, passe à Passelourdin, et monte sur la Pierre levee. En apres lysant les belles chroniques de ses ancestres, trouva que Geoffroy de Lusignan dit Geoffroy a la grand dent, grand pere du beau cousin de la seur aisnee de la tante du gendre de la belle mere, estoit enterre à Maillezais, dont print ung iour campos pour le visiter comme homme de bien. Et partant de Poictiers avecques aulcuns de ses compaignons, passerent par Leguge, par Lusignan, par Sansay, par Celles, par sainct Lygaire, par Colonges, par Fontenay le comte, et de la arriverent a Maillezais : ou visita le sepulchre dudict Geoffroy a la grand dent, dont il eut quelque peu de frayeur voyant la protraicture : car il y est en ymage comme dung homme furieux, tirant a demy son grand marchus de la guainne. Et demandoit la cause de ce, les chanoines dudict lieu luy dirent, quil n’y avoit point daultre cause : sinon que Pictoribus atque Poetis etc. cest a dire, que les Painctres et Poetes ont liberte de paindre a leur plaisir ce quils veullent. Mais il ne sen contenta pas de leur responce, et dict. Il nest point ainsi painct sans cause. Et me doubte que a sa mort lon luy a faict quelque tord, dont il demande vengeance a ses parens. Ie men enquesteray plus a plain et en feray ce que de raison. Ainsi sen retourna non pas a Poictiers, mais il voulut visiter les aultres universitez de France, dont passant a la Rochelle se mist sur mer et sen vint a Bourdeaulx, mais il ny trouva pas grant exercice, sinon des gaubarriers a iouer aux luettes sur la grave, de la sen vint a Thoulouse, ou il aprint fort bien a dancer et a iouer de lespee a deux mains comme est lusance de escoliers de ladicte universite, mais il ny demeura gueres : quand il vit quils faisoyent brusler leurs regens tous vifs comme harans soretz, disant. Ia dieu ne plaise quainsi ie meure, car ie suis de ma nature assez altere sans me chauffer davantage. Puis vint a Montpellier ou il trouva fort bons vins de Mirevaulx et ioyeuse compaignie, et se cuyda mettre a estudier en Medicine, mais il considera que lestat estoit fascheux par trop et melancolicque, et que les medecins sentoyent les clisteres comme vieux diables. Et par ce vouloit estudier en loix, mais voyant quil n’y avoit que troys teigneux et ung pele de legistes audict lieu sen partit. Et au chemin fist le pont du Guard, en moins de troys heures, qui toutesfoys semble œuvre plus divine quhumaine. Et vint en Avignon ou il ne fut pas troys iours quil ne devint amoureux, car les femmes y iouent voulentiers du serrecropyere. Ce que voyant son Pedagogue nomme Epistemon len tira et le mena a Valence au Daulphine, mais il vit quil n’y avoit pas grant exercice, et que les marroufles de la ville batoyent les escholiers, dont il eut despit, et ung beau Dimenche que tout le monde dansoit perforaminees de petrofil. Et si par forte fortune y a rarite ou penurie de pecune en nos marsupiez et soyent exhaustez de metal ferrugine, pour lescot nous dimittons nos codices et vestez oppignerees, prestolans les tabelliaires a venir des penates et lares patrioticques. A quoy Pantagruel dist. Quel diable de langaige est cecy. Par dieu tu es quelque hereticque. Seignor non, dist leschollier : car libentissimentent des ce quil illucesce quelque minutule lesche de iour ie denigre en quelquung de ces tant bien architectes monstiers, et ia me irrorant de belle eaue lustrale, grignotte dung transon de quelque missicque precation de nos sacrificules. Et submirmillant mes precules horaires, elue et absterge mon anime de ses inquinames nocturnes, Ie revere les olympicoles, Ie venere latrialement le supernel astripotens, Ie dilige et reclame mes proximes, Ie serve les prescriptz decalogicques, et selon la facultatule de mes vires, n’en discede le late unguicule. Bien est veriforme que a cause que Mammone ne supergurgite point en mes locules, Ie suis quelque peu rare et lend à superoger les elle emosynes a ces egenes queritans leur stipe hostialement. Et bren bren dist Pantagruel, quest ce que veult dire ce fol. Ie croy quil nous forge icy quelque langaige diabolicque, et quil nous cherme comme enchanteur. A quoy dist ung de ses gens. Seigneur sans nulle doubte ce gallant veult contrefaire la langue des Parisiens : mais il ne faict que escorcher le latin, et cuyde ainsi Pindariser, et luy semble bien quil est quelque grand orateur en françoys, par ce quil dedaigne lusance commun de parler. A quoy dist Pantagruel. Est il vray. Leschollier respondit. Seigneur, mon genie nest point apte nate a ce que dit ce flagitiose nebulon, pour escorier la cuticule de nostre Vernacule Gallicque, mais vicecersement ie gnave opere et par veles et rames ie me enite de le locupleter de la redundance latinicome. Par dieu dist Pantagruel ie vous apprendray a parler. Mais devant responds moy, dont es tu. A quoy dist leschollier. Lorigine primeve de mes aves et ataves fut indigene des regions lemovicques ou requiesce le corpore de lagiotate sainct Martial. Ientends bien dist Pantagruel. Tu es Lymousin pour tout potaige. Et tu veulx icy contrefaire le Parisien. Or viens ça que ie te donne ung tour de peigne. Lors le print a la gorge, luy disant. Tu escorches le latin, par sainct Iehan ie te feray escorcher le renard : car ie te escorcheray tout vif. Lors commenca le pauvre Lymousin a dire. Vee dicou gentilastre. Ho sainct Marsault adiouda mi, hau hau laissas aquau au nom de dious, et ne me touquas grou. A quoy dist Pantagruel. A ceste heure parles tu naturellement, et ainsi le laissa : car le pauvre Lymousin se conchyoit toutes ses chausses, qui estoient faictes a queheue de merluz, non a plain fons : dont dist Pantagruel. Sainct Alipentin corne my de bas, quelle cyvette. Au diable soit le mascherabe tant il put. Et ainsi le laissa mais ce luy fut ung remord toute sa vie, et tant fut altere, quil disoit souvent que Pantagruel le tenoit a la gorge. Et apres quelques annees mourut de la mort Roland, ce faisant la vengeance divine, et nous demonstrant ce que dit le Philosophe et Aulus Gellius, quil nous convient parler selon le langaige usite. Et comme disoit Cesar, quil faut eviter les motz absurdes en pareille diligence que les patrons de navires evitent les rochiers de la mer.Comment Pantagruel vint a Paris.vii
Cha. PRES que Pantagruel eut fort bien estudie a Orleans il se delibera de visiter la grande universite de Paris, mais devant que partir il fut adverty quil y avoit une grosse et enorme cloche a sainct Aignan dudict Orleans, qui estoit en terre pres de troys cens ans y avoit : car elle estoit si grosse que par nul engin lon ne la pouvoit mettre seulement hors de terre, combien que lon y eut applicque tous les moyens que mettent Vitruvius de architecture, Albertus de re edificatoria, Euclides, Theon, Archimenides, et Hiero. de ingeniis, car tout ny servit de rien. Dont voulentiers encline a lhumble requeste des citoyens et habitans de ladicte ville : delibera de la porter au clochier a ce destine. Et de faict sen vint au lieu ou elle estoit, et la leva de terre avecques le petit doigt aussi facillement que feriez une sonnette desparvier. Et devant que la porter au clochier voulut en donner une aubade par la ville, et la faire sonner par toutes les rues en la portant en sa main. Dont tout le monde se resiouyst fort, mais il en advint ung inconvenient bien grand : car en la portant ainsi, et la faisant sonner par les rues, tout le bon vin dOrleans poulsa, et se gasta. De quoy le monde ne se advisa point que la nuyt ensuyvant : car ung chascun se sentit tant altere davoir beu de ces vins poulsez, quils ne faisoient que cracher aussi blanc comme cotton disant, nous avons du Pantagruel, et avons les gorges sallees. Ce faict vint a Paris avecques ses gens. Et a son entree tout le monde sortit hors pour le veoir, comme vous scavez bien que le peuple de Paris est sot par nature : et le regardoient en grand esbahyssement, et non sans grande peur quil nemportast le Palais ailleurs en quelque pays a remotis, comme son pere avoit emporte les campanes de nostre dame, pour attacher au col de sa iument. Et apres quelque espace de temps quil y eut demoure et fort bien estudie en tous les sept ars liberaulx, Il disoit que cestoit une bonne ville pour vivre, mais non pas pour mourir : car les guenaulx de sainct Innocent se chauffoient le cul des ossemens des mors. Et trouva la librairie de sainct Victor fort magnifique, mesmement daulcuns livres quil y trouva, comme Bigua salutis, Bragueta iuris, Pantoufla decretorum, Malogranatum viciorum, Le Peloton de theologie, Le Vistempenard des prescheurs, compose par Pepin, La Couillebarine des preux, Les Hanebanes des evesques, Marmoretus de babouynis et cingis cum commento Dorbellis, Decretum universitatis Parisientis super gorgiasitate muliercularum ad placitum, Lapparition de saincte Geltrud a une nonnain de Poissy estant en mal denfant, Ars honeste petandi in societate per M. Ortuinum, Le moustardier de penitence, Les houseaulx, alias les bottes de patience, Formicarium artium, Le cabatz des notaires, Le pacquet de mariage, Le creziou de contemplation, Les Faribolles de droict, Laguillon de vin, Lesperon de fromaige, Decrotatorium scholarium, Tartarerus de modo cacandi, Bricot de differentiis soupparum, Le Culot de discipline, La Savatte de humilite, Le Tripiez de bon pensement, Le Chaudron de magnanimite, Les Hanicrochemens des confesseurs, Les Lunettes des romipetes, Maioris de modio faciendi boudinos, La cornemuse des prelatz, Beda de optimitate tripatum, Le Maschefain des advocatz, Le Ravasseux des cas conscience, Sutoris adversus quendam qui vocaverat eum friponnatorem, et quod fripponatores non sunt damnati ab ecclesia, Cacatorium medicorum, Le Ramonneur dastrologie, Le tyrepet des apotycaires, Le Baisecul de chirurgie, Antidotarium anime. M. Coccaius de patria diabolorum, dont les aulcuns sont ia imprimez, et les aultres lon imprime de present en ceste noble ville de Tubinge.
Comment Pantagruel estant a Paris resceupt lettres de son pere Gargantua/et la copie dicelles.viii.
Chapitre.
Antagruel estudioit fort bien comme assez entendez, et proffitoit de mesmes : car il avoit lentendement a double rebratz et capacite de memoire a la mesure de douze oyres et botez dolif. Et comme il estoit ainsi la demourant, receupt ung iour lettres de son pere en la maniere que sensuyt.
Treschier fils, Entre les dons, graces, et prerogatives, desquelles le souverain plasmateur Dieu tout puissant a endouayre et aorne lhumaine nature a son commencement, celle me semble singuliere et excellente, par laquelle elle peult en estat mortel acquerir une espece dimmortalite, et en decours de vie transitoire perpetuer son nom et sa semence. Ce que est faict par lignee yssue de nous en mariage legitime. Dont nous est aulcunement instaure ce qui nous a este tollu par le peche de nos premiers parens, esquels fut dit, que par ce quils navoient este obediens au commandement de dieu le createur, quils mourroient : et par mort seroit reduict a neant ceste tant magnificque plasmature, en laquelle avoit este lhomme cree. Mais par ce moyen de propagation seminale demeure es enfans ce que estoit de perdu es parens, et es nepveux ce que deperissoit es enfans, et ainsi successivement, iusques a lheure du iugement final, quant Iesuchrist aura rendu a Dieu son pere son royaulme pacificque hors tout dangier et contamination de peche : car alors cesseront toutes generations et corruptions, et seront les elemens hors de leurs transmutations continues, veu que la paix desiree sera consommee et que toutes choses seront reduictes a leur fin et periode. Doncques non sans iuste et equitable cause ie rends graces a Dieu mon conservateur, de ce quil ma donne povoir veoir mon antiquite chanue refleurir en ta ieunesse : car quand par le plaisir de celluy qui tout regist et modere, mon ame laissera ceste habitation humaine, Ie ne me reputeray point totalement mourir : mais plus tost transmigrer dung lieu en aultre, attendu que en toy et par toy ie demeure en mon ymage visible en ce monde, vivant, voyant, et conversant entre gens de honneur et mes amys, comme ie souloys, laquelle mienne conversation a este, moyennant layde et grace divine, non sans peche, ie le confesse : car nous pechons tous, et continuellement requerons a Dieu quil efface nos pechez, mais sans reprouche. Parquoy ainsi comme en toy demeure lymage de mon corps, si pareillement ne reluysoient les meurs de lame, lon ne te iugeroit pas estre garde et thresor de limmortalite de nostre nom, et le plaisir que prendroys ce voyant, seroit petit : consyderant, que la moindre partie de moy, qui est le corps, demeureroit : et que la meilleure, qui est lame : et par laquelle demeure nostre nom en benediction entre les hommes, seroit degenerante et abastardie. Ce que ie ne dys pas par defiance que ie aye de ta vertu, laquelle ma este ia par icy devant esprouvee, Mais pour plus fort tencourager a proffiter de bien en mieulx. Laquelle entreprinse parfaire et consommer, il te peult assez souvenir, comment ie nay riens espargne : mais ainsi ty ay ie secouru, comme si ie neusse aultre thresor en ce monde que de te veoir une foys en ma vie absolu et parfaict tant en vertuz, honnestete, et preudhommie, comme en tout scavoir liberal et honneste, et tel te laisser apres ma mort comme ung mirouer representant la personne de moy ton pere, et sinon tant excellent et tel de faict, comme ie te souhaite, certes bien tel en desir. Mais encores que mon feu pere de bonne memoire Grandgousier eust adonne tout son estude, a ce que ie proffitasse en toute perfection et scavoir politicque, et que mon labeur et estude correspondit tresbien, voire encores oultrepassast son desir, toutesfois comme tu peulx bien entendre, le temps nestoit tant ydoine ny commode es lettres, comme il est de present, et navoys pas copie de tels precepteurs comme tu as eu. Le temps estoit encores tenebreux et sentent linfelicite et calamite des Goths, qui avoient mis a destruction toute bonne literature. Mais par la bonte divine, la lumiere et dignite a este de mon aage rendue es lettres, et y voy tel amendement, que de present a difficulte seroys ie receu en la premiere classe des petitz grimaulx moy qui en mon aage virile estoys non a tord repute le plus scavant dudict siecle, ce que ie ne dys pas par iactance vaine, encores que bien ie puisse et louablement faire en tescrivant, comme tu as lautoricte de Marc Tulle en son livre de vieillesse, et la sentence de Plutarche au livre intitule, comment on se peult louer sans envie : mais pour te donner affection de plus hault tendre. Maintenant toutes disciplines sont restituees, les langues instaurees. Grecque, sans laquelle cest honte quune personne se die scavant. Hebraicque, Caldeicque, Latine. Les impressions tant elegantes et correctes en usance, qui ont este inventees de mon aage par inspiration divine, comme a contrefil lartillerie par suggestion diabolicque. Tout le monde est plain de gens scavans, de precepteurs tresdoctes, de librairies tresamples, quil mest advis que ny au temps de Platon, ny de Ciceron, ny de Papinian, ny avoit point telle commodite destude quil y a maintenant. Et ne se fauldra plus dorenavant trouver en place ny en compaignie qui ne sera bien expoly en lofficine de Minerve. Ie voy les brigans, les bourreaux, les avanturiers, les palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps. Il nest pas les femmes et les filles qui ne ayent aspire à ceste louange et a ceste manne celeste de bonne doctrine. Tant y a quen laage ou ie suis iay este contraint dapprendre les lettres Grecques, lesquelles ie navoys pas contemne comme Caton, mais ie navoys eu le loysir de comprendre en mon ieune aage. Et voulentiers me delecte a lire les moraulx de Plutarche, les beaulx dialogues de Platon, les monumens de Pausanias, et antiquitez de Atheneus, attendant lheure quil plaira a dieu mon createur me appeler et commander yssir de ceste terre. Parquoy mon fils ie te admoneste que employe ta ieunesse a bien proffiter en estude. Tu es a Paris, tu as ton precepteur Epistemon, dont lung par vives et vocales instructions, laultre par louables exemples te peult endoctriner. Ientends et veulx que tu aprenes les langues parfaictement. Premierement la Grecque comme le veult Quintilian. Secondement la latine. Et puis lHebraicque pour les sainctes lettres, et la Chaldeicque et Arabicque pareillement : et que tu formes ton stille, quant à la Grecque, a limitation de Platon, quant a la Latine, a Ciceron. Quil ny ait histoire que tu ne tiengne en memoire presente, a quoy te aydera la Cosmographie de ceulx qui en ont escript. Les ars liberaulx, Geometrie, Arismeticque, et Musicque, Ie ten donnay quelque goust quand tu estoys encores petit en laage de cinq a six ans : poursuys le reste, et de Astronomie sachez en tous les canons, laisse moy lAstrologie divinatrice, et art de Luccius comme abus et vanitez. Du droit Civil ie veulx que tu sache par cueur les beaulx textes, et me les confere avecques la philosophie. Et quant a la congnoissance des faitz de nature, Ie veulx que tu ty adonne curieusement, quil ny ait mer, ryviere, ny fontaine, dont tu ne congnoisse les poissons, tous les oyseaulx de lair, tous les arbres arbustes et fructices des forestz, toutes les herbes de la terre, tous les metaulx cachez au ventre des abysmes, les pierreries de tout orient et midy, riens ne te soit incongneu. Puis songneusement revisite les livres des medecins, Grecs, Arabes, et Latins, sans contemner les Thalmudistes et Cabalistes, et par frequentes anatomyes acquiers toy parfaicte congnoissance de laultre monde, qui est lhomme. Et par quelques heures du iour commence a visiter les sainctes letttres. Premierement en Grec le nouveau testament et Epistres des apostres, et puis en Hebrieu le vieulx testament. Somme que ie voye ung abysme de science : car doresnavant que tu deviens homme et te fais grand, il te fauldra issir de ceste tranquillite et repos destude : et apprendre la chevalerie et les armes, pour defendre ma maison, et nos amys secourir en tous leurs affaires contre les assaulx des malfaisans. Et veulx que de brief tu essayes combien tu as proffite, ce que tu en pourras mieulx faire, que tenant conclusion en tout scavoir publicquement envers tous et contre tous : hantant les gens lettrez, qui sont tant a Paris comme ailleurs. Mais par ce que selon le sage Salomon, Sapience nentre point en ame malivole, et science sans conscience nest que ruyne de lame. Il te convient servir, aymer, et craindre dieu et en luy mettre toutes tes pensees, et tout ton espoir : et par foy formee de charitee estre a luy adioinct, en sorte que iamais nen soys desempare par peche, ayes suspectz les abuz du monde et ne metz point ton cueur a vanite : car ceste vie est transitoire : mais la parolle de Dieu demeure eternelle. Soys serviable a tous tes prochains, et les ayme comme toymesmes. Revere tes precepteurs, fuys les compaignies des gens esquels tu ne veulx point ressembler. Et les graces que Dieu te a donnees, icelles ne reçoiptz point en vain. Et quand tu congnoitras que auras tout le scavoir de par dela acquis, retourne ten vers moy, affin que ie te donne ma benediction devant que mourir. Mon fils la paix et grace de nostre seigneur soit avecques toy. Amen. De Utopie ce dix septiesme iour du moys de Mars, ton pere GARGANTUA.
Ces lettres receues et veues Pantagruel print nouveau courage et fut enflambe a proffiter plus que iamais, en sorte que le voyant estudier et proffiter, eussiez dit que tel estoit son esprit entre les livres, comme est le feu parmy les brandes, tant il lavoit infatigable et strident.
Comment Pantagruel trouva Panurge, lequel il ayma toute sa vie.ix
Cha. NG iour Pantagruel se pourmenant hors de la ville vers labbaye saint Antoine devisant et philosophant avecques ses gens et aulcuns escholliers, rencontra ung homme beau de stature et elegant en tous lineamans du corps, mais pitoyablement navre en divers lieux, et tant mal en ordre quil sembloit quil feut eschappe es chiens, ou mieulx ressembloit ung cueilleur de pommes du pays du Perche. Et de tant loing que le vit Pantagruel, il dist es assistans. Voyez vous cest homme qui vient par le chemin du pont Charanton. Par ma foy, il nest pauvre que par fortune : car ie vous asseure qua la physionomie nature la produyt de riche et noble lignee, mais les adventures des gens curieux le ont reduyt en telle penurie et indigence. Et ainsi quil fut au droict dentre eulx, il luy demanda. Mon amy ie vous prie que ung peu veuillez icy arrester et me respondre a ce que vous demanderay, vous ne vous en repentirez point : car iay affection tresgrande de vous donner ayde en mon povoir en la calamite ou ie vous voy : car vous me faictes grand pitie. Pourtant mon amy dictes moy qui estes vous, dont venez vous, ou allez vous, que querez vous, et quel est vostre nom ? Et le compaignon luy respond en langue Germanicque. Junker Gotte geb euch glück unnd hail. Zuvor lieber iuncker ich las euch wissen das da ir mich von fragt, ist ein arm unnd erbarmglich ding, unnd wer vil darvon zu sagen, welches euch verdrustlich zuhoeren, unnd mir zu erzelenwer, wievol die Poeten unnd Orators horzeiten haben gesagt in iren sprüchen unnd sentenzen, das die gedechtnus des ellends unne armvot vorlangs erlitten, ist ein grosser lust. A quoy respondit Pantagruel. Mon amy ie nentends point ce barragouyn, et pourtant si voulez quon vous entende parlez aultre langaige. Adoncques le compaignon luy respondit : Al barildim gotfano dech min brin alabo dordin falbroth ringuam albras. Nin porth zadilrim almucathin milko prim al elmim enthoth dal heben enfouim : kuth im aldim alkatim nim broth dechoth porth min michas im endoth, pruch dal marsouim hol moth dansrikim lupaldar im holdemoth. Nin hur diavolth mnarbothim dal goulch pal frapin duch im scoth pruch galeth dal chinon, mir foultrich al conin butbathen doth dal prim. Entendez vous rien la ? dist Pantagruel es assistans. A quoy dist Epistemon. Ie croy que cest langaige des Antipodes, le diable ny mordroit pas. Lors dist Pantagruel. Compere, ie ne scais si les murailles vous entendront, mais de nous nul ny entends note.Donc dist le compaignon. Signor mio voi videte per exemplo che la Cornamusa non suona mai si la non a il ventre pieno, Cosi io parimente non vi sapre contare le mie fortune, se prima il tribulato ventre non la solita refectione. Al quale adviso che la mani et li denti abbui perso illoro ordine naturale et del tutto annichillati. A quoy respondit Epistemon. Autant de lung comme de laultre. Dont dit Panurge. Heere ie en spreke anders gheen taele dan kerste taele, my dunct nochtans, al en seg ie v niet een wordt, myven noot verclaert ghenonch wat ie beglere, gheest my vnyt hermhertlicheyt yet waer vn ie ghevoet mach zung. A quoy respondit Pantagruel. Autant de celluy la. Donc dist Panurge. Señor de tanto hablar yo soy cansado, por que supplico a vostra reverentia que mire a los preceptos evangelicos, para que ellos movant vostra reverentia a lo ques de conscientia, y sy ellos non bastarent para mover vostra reverentia a piedad, supplico que mire a la piedad natural laqual yo creo que le moura como es de razon, y con esto non digo mas. A quoy respondit Pantagruel, dea mon amy. Ie ne fays doubte aulcun que ne sachez bien parler divers langaiges, mais dictes nous ce que vouldrez en quelque langue que puissons entendre. Lors dist le compaignon. Adoni scholom lecha : im ischar harob habdeca bemeherah thithen li kikar lehem, cham cathub laal al adonai cho nen ral. A quoy respondit Epistemon. A ceste heure ay ie bien entendu : Car cest langue Hebraicque bien Rhetoricquement pronuncee. Donc dit le compaignon. Despota tynin panagathe, dioti sy mi uc artodotis, horas gar limo analiscomenon eme athios, ce en io metaxy eme uc eleis udamos, zetis de par ha u chre, ce homos philologi pandes homologusi to te logus te ce rhemata peritta hyparchin, opote pragma asto pasi delon esti. entha gar anacei mon logi isin, hina pragmata (hon peri amphibetumen) me prosphoros epiphenete. Quoy ? dist Carpalim lacquays de Pantagruel, cest Grec, ie lay entendu. Et comment as tu demoure en Grece ? Donc dist le compaignon. Agonou dont oussys vou denaguez algarou, nou den farou zamist vou mariston ulbrou, fousquez vou brol tam bredaguez moupreton den goul houst, daguez daguez nou croupys fost bardou noflist nou grou. Agou paston tol nalprissys hourtou los ectabanous, prou dhouquys brol panygou den bascrou nou dous caguous goulfren goul oust troppassou. Ientends ce me semble, dist Pantagruel : car ou cest langaige de mon pays de Utopie, ou bien luy ressemble quant au son. Et comme il vouloit commencer quelque propos, le compaignon dist. Jam toties vos per sacra perque deos deasque omnis otestatus sum, ut si qua vos pietas permovet, egestatem meam solaremini, nec hilum proficio clamans et eiulans. Sinite, queso, sinito viri impii quo me fata vocant abire, nec ultra vanis vestris interpellationibus obtundatis, memores veteris illius adagii, quo venter famelicus auriculis carere dicitur. Dea mon amy dist Pantagruel, ne scavez vous parler françoys ? Si fois tresbien seigneur, respondit le compaignon, Dieu mercy : cest ma langue naturelle et maternelle, car ie suis ne et ay este nourry ieune au iardin de France. Doncques, dist Pantagruel, Racomptez nous, quel est vostre nom, et dont vous venez. Car par ma foy ie vous ay ia pris en amour si grande, que si vous condescendez a mon vouloir, vous ne bougerez iamais de ma compaignie, et vous et moy ferons ung nouveau per damytie telle que fut entre Enee et Achates. Seigneur dist le compaignon. Mon vray et propre nom de baptesme, est Panurge, et a present viens de Turcquie, ou ie fuz mene prisonnier lors quon alla a Metelin en la male heure. Et voulentiers vous racompteroys mes fortunes qui sont plus merveilleuses, que celles de Ulysses, mais puisquil vous plaist me retenir avecques vous, et que ie accepte voulentiers loffre protestant iamais ne vous laisser, et allissiez vous a tous les diables, nous aurons en autre temps plus commode, assez loysir den racompter, car pour ceste heure iay necessite bien urgente de repaistre, dentz agues, ventre vuyde, gorge seiche, tout y est delibere si me voulez mettre en œuvre, ce sera basme de me veoir briber, pour Dieu donnez y ordre. Lors commanda Pantagruel, quon le menast en son logis et quon luy apportast force vivres. Ce que fut faict, et mangea tresbien a ce soir, et sen alla coucher en Chappon, et dormit iusques au lendemain heure de disner. Comment Pantagruel equitablement iugea dune
controverse merveilleusement obscure et difficile
si iustement que son iugement fut dit plus admirable
que celluy de Salomon. Cha. ix
ANTAGRUEL bien records des lettres et admonitions de son pere, voulut ung iour essayer son scavoir, et de faict par tous les carrefours de la ville mist conclusions en nombre de sept cens soixante en tout scavoir, touchant en ycelles les plus fors doubtes qui feussent en toutes sciences. Et premierement en la rue du Feurre tint contre tous les regens, artiens, et orateurs, et les mit tous de cul. Puis en Sorbonne tint contre tous les theologiens par lespace de six sepmaines despuis le matin quatre heures, iusques a six du soir, exceptez deux heures de intervalle pour repaistre et prendre sa refection. Non pas quil engardast lesdictz theologiens Sorbonicques de chopiner, et se refraischir a leurs beuvettes acoustumees. Et a ce assisterent la plus part des seigneurs de la court maistres des requestes, presidens, conseilliers, les gens des comptes, secretaires, advocatz, et aultres, ensemble les eschevins de ladicte ville avecques les medicins et canonistes. Et notez quil y en avoit qui prindrent bien le frain aux dentz, mais nonobstant leurs ergotz et fallaces, il les feit tous quinaulx, et leur montra visiblement quilz nestoient que veaulx. Dont tout le monde commença a bruyre et parler de son scavoir si merveilleux, quil ny avoit pas les bonnes femmes lavandieres, courratieres, roustissieres, ganyvettieres, et aultres, que quand il passoit par les rues ne dissent, cest luy, a quoy il prenoit plaisir, comme Demosthenes prince des orateurs Grecz faisoit quand de luy dist une vieille acropie en le monstrant au doigt, cest celluy la. Or en ceste propre saison estoit ung proces pendant en la court entre deux gros seigneurs, desquelz lung estoit monsieur de Baisecul demandeur dune part, laultre monsieur de Humevesne defendeur de lautre. Desquelz la controverse estoit si haulte et difficile en droict, que la court de Parlement ny entendoit que le hault Allemant. Dont par le commandement du Roy furent assemblez quatre les plus scavans et les plus gras de tous les Parlemens de France, ensemble le grand conseil, et tous les principaulx regens des universitez, non seulement de France, mais aussi dAngleterre et Italie, comme Jason, Philippe Dece, Petrus de petronibus, et ung tas daultres. Et ainsi assemblez par lespace de quarante et six sepmaines ny avoient sceu mordre, ny entendre le cas au net, pour le mettre en droict en façon quiconcques, dont ilz estoient si despitz quilz se conchioient de honte villainement. Mais ung dentre eulx nomme Du douhet, le plus scavant, le plus expert et prudent de tous les austres, ung iour quilz estoient tous philogrobolisez de cerveau, leur dist. Messieurs ia long temps a que sommes icy sans riens faire que despendre, et ne povons trouver sons ny rime en ceste matiere, et tant plus y estudions tant moins y entendons, qui nous est une grand honte et charge de conscience, et a mon advis nen sortirons que a deshonneur : car nous ne faisons que ravasser en noz consultations. Mais voicy que iay advise, vous avez bien ouy parle de ce grand personnagge nomme maistre Pantagruel, lequel on a congneu estre scavant dessus la capacite du temps de maintenant, es grandes disputations quil a tenues contre tous publicquement. ie suis dopinion, que nous le appellons, et conferons de cest affaire avecques luy : car iamais homme nen viendra a bout si cestuy la nen vient. A quoy voulentiers consentirent tous ces conseillers et docteurs : et de faict lenvoyerent querir sur lheure, et le prierent vouloir ung peu veoir le proces, et leur en faire le rapport tel que luy sembleroit en vraye science legale, et luy livrerent les sacs et pantarques entre ses mains, qui faisoient presque le fais de quatre gros asnes couillars. Mais Pantagruel leur dist. Messeigneurs, les deux seigneurs qui ont ce proces entre eulx, sont ilz encore vivans ? A quoy luy fust respondu, que ouy. De quoy diable donc (dist il) servent tant de fatrasseries de papiers et copies que me baillez ? Ne vault il pas beaucoup mieulx les ouyr de leur vive voix narrer leur debat, que lire ces babouyneries icy, qui ne sont que tromperies, cautelles diabolicques de Cepola, et superstitions de droict ? Car ie suis sceur que et vous et tous ceulx par les mains desquelz a passe le proces, y avez machine ce que avez peu, pro et contra, et au cas que leur controverse estoit patente et facile a iuger, vous lavez obscurcie par sottes et deraisonnables raisons et ineptes opinions de Accurse, Balde, Bartole, de Castro, de Imola, Hippolytus, Panorme, Bertachin, Alexandre, Curtius, et ces aultres vieulx mastins, qui iamais nentendirent la moindre loy des Pandectes : et nestoient que gros veaulx de disme, ignorans de tout ce quest necessaire à lintelligence des loix. Car (comme il est tout certain) ilz navoient congnoissance de langue ny Grecque ny Latine, mais seulement de Gothicque et Barbare. Et touteffois les loix sont premierement prinses des Grecz, comme vous avez le temoignage de Ulpian, l. posteriori de orig. juris. et toutes les loix sont pleines de sentences et motz Grecz : et secondement sont redigees en Latin le plus elegant et aorne qui soit en toute la langue Latine, et nen excepte ny Saluste, ny Varron, ny Ciceron, ny Pline, ny Senecque, ny T. Live, ny Quintilian. Comment doncques eussent peu entendre ces vieux resveurs le texte des loix, qui iamais ne virent bon livre de langue Latine ? comme manifestement il appert a leur stille, qui est stille de ramonneur de cheminee, ou de cuysinier et marmiteux non de Iurisconsulte. Davantaige veu que les loix sont extirpees du meillieu de philosophie morale et naturelle, comment lentendront ces folz qui ont par dieu moins estudie en philosophie que ma mulle ? Et au regard des lettres de humanite, et de congnoissance des antiquitez et histoires, ilz en estoient chargez comme ung crapault de plumes, et en usent comme ung crucifix dun pifre, dont touteffois les droictz sont tous plains, et sans ce ne peuvent estre entenduz, comme quelque iour ie monstreray plus appertement par escript. Par ce si voulez que ie congnoisse de ce proces, premierement faictes moy brusler tous ces papiers, et secondement faictes moy venir les deux gentilzhommes personnellement devant moy, et quand ie les auray ouy, ie vous en diray mon opinion sans fiction ny dissimulation quelconques. A quoy aulcuns dentre eulx contredisoient, comme vous scavez, que en toutes compaignies il y a plus de folz que de saiges, et la plus grande partie surmonte tousiours la meilleure. Mais ledict du Douhet tint au contraire virilement contendent que Pantagruel avoit bien dit, que ces registres, enquestes, replicques, duplicques, reproches, salvations, et aultres telles diableries, nestoient que subversions de droict, et allongement de proces, et que le diable les emporteroit trestous, silz ne procedoient aultrement selon equite philosophicque et evangelicque. Somme, tous les papiers furent bruslez, et les deux gentilzhommes personnellement convoquez. Et lors Pantagruel leur dist. Estes vous qui avez ce grand different entre vous deux ? Ouy, dirent ilz, monsieur. Lequel de vous est demandeur ? Cest moy, dit le seigneur de Baisecul. Or mon amy, contez moy de poinct en poinct vostre affaire, selon la verite : car par le corps dieu si vous en mentez dung mot, ie vous osteray la teste de dessus les espaules, et vous monstreray que en iustice et iugement lon ne doibt dire que la verite, par ce donnez vous garde de adiouster ny diminuer au narre de vostre cas, dictes. Donc commença en la maniere que sensuyt. Monsieur il est vray que une bonne femme de ma maison portoit vendre des œufz au marche. Couvrez vous Baisecul, dist Pantagruel. Grand mercy monsieur, dist le seigneur de Baisecul. Mais a propos passoit entre les tropicques vers le zenith diametralement oppose es Troglodytes, par autant que les mons Rhiphees avoient eu celle annee grande sterilite de happelourdes, moyennant une sedition meue entre les Barragouyns et les Accoursiers pour la rebellion des Souisses, qui sestoient assemblez iusques au nombre de troys, six, neuf, dix, pour aller à laguillanneuf, le premier trou de lan, que lon donne la souppe aux bœufz, et la clef du charbon aux filles, pour donner lavoine aux chiens. Toute la nuyct lon ne feist la main sur le pot, que despecher les bulles des postes a piedz et lacquays a cheval pour retenir les basteaux, car les cousturiers vouloient faire des retaillons desrobez une sarbataine pour couvrir la mer oceane, qui estoit grosse denfant selon lopinion des boteleurs de foin, mais les physiciens disoient, que a son urine ilz ne congnoissoient point signe evident au pas dostarde de manger des choux gelez a la moustarde, sinon que messieurs de la court feissent par bemol commandement a la verolle, de non plus alleboter apres les maignans ainsi se pourmener durant le service divin : car les marroufles avoient ia bon commencement a danser lestrindore au diapason ung pied au feu et la teste au meillieu comme disoit le bon Ragot. Ha messieurs Dieu modere tout a son plaisir, et contre fortune la diverse ung chartier rompit son fouet, ce fut au retour de la Bicocque, alors qu’on passa licentie maistre Antithus des cressonnieres en toute lourderie, comme disent les canonistes : Beati lourdes quoniam trebuchaverunt. Mais ce que faict le caresme si hault, par sainct Fiacre de Brye, ce nest par aultre chose que la Pentecoste ne vient foys quelle ne me couste : mais hay avant, peu de pluye abat grand vent, entendu que le sergeant ne mist pas si haut le blanc a la butte, que le greffier ne sen leschast bas et roidde les doigtz empenez de iart, et nous voyons manifestement que chascun sen prent au nez, sinon quon regardast en perspective ocularement vers la cheminee a lendroit ou pend lenseigne du vin a quarante sangles, qui sont necessaires a vingt bas, a tout le moins qui ne vouldroit lascher loyseau devant que le decouvrir, car la memoire souvent se pert quand on se chausse au rebours sa dieu guard de mal Thibault mitaine. Alors dist Pantagruel. Tout beau mon amy, tout beau, parlez a traict et sans cholere. Ientends le cas, poursuyvez. Vrayement, dist le seigneur de Baisecul, cest bien ce que lon dit, quil faict bon adviser aulcunesfoys les gens, car ung homme advise en vault deux. Or monsieur ladicte bonne femme disant les gaudez et audinos, ne peult pas se couvrir dung revers faulx moniant sinon par bien soy bassiner anglicquement se couvrant dung sept de quarreaux et luy tirant ung estoc vollant, au plus pres du lieu ou lon vent les vieulx drapeaux, dont usent les painctres de Flandres, quand ilz veullent bien a droict ferrer les cigalles, et mesbahys bien fort comment le monde ne pont veu quil faict si beau couver. Icy voulut interpeller et dire quelque chose le seigneur de Humevesne, dont luy dist Pantagruel. Et ventre sainct Antoine, tappartient il de parler sans commandement ? Ie sue icy de ahan, pour entendre la procedure de vostre different, et tu me viens encore tabuster ? paix de par le diable paix, tu parleras ton sou, quand cestuy cy aura acheva. Poursuyvez, dist il a Baisecul, et ne vous hastez point. Voyant doncques, dist Baisecul, que la Pragmaticque sanction nen faisoit nulle mention, et que le pape donnoit liberte a chascun de peter a son aise si les blanchetz nestoient rayes, quelque pauvrete qui feust au monde, pourveu quon ne se seignast de la main gauche, la bonne femme se print a esculler les souppes par la foy des petis poissons couillatrys qui estoient pour lors necessaires a entendre la construction des vieilles bottes, pourtant Iehan le veau son cousin gervays remue dune busche de moulle, luy conseilla quelle ne se mist point en ce hazard de laver la buee sans premier alluner le papier: a tant pille, nade, iocque, foce, car non de ponte vadit, qui cum sapientia cadit, attendu que messieurs des comptes ne convenoient pas bien en la sommation des fleuttes dallemant, dont on avoit basty les lunettes des princes imprimees nouvellement a Anvers. Et voyla messieurs que faict maulvais raport. Et en croy partie adverse en sa foy, ou bien in sacer verbo dotis, car voulant obtemperer au plaisir du roy ie me estoys armr de pied en cap dune carreleure de ventre pour aller veoir comment mes vendangeurs avoient dechicquete leurs haulx bonnetz, pour mieulx iouer des manequins, car le temps estoit quelque peu dangereux de la foire, dont plusieurs francz archiers avoient este refusez a la monstre, nonobstant que les cheminees feussent assez haultes selon la proportion du javart et des malandres lamy baudichon. Et par ce moyen fut grande annee de caquerolles en tout le pays de Artoys, qui ne fut pas petit amendement pour messieurs les porteurs de coustretz, quand on mangeoit des coques cigrues a ventre deboutonne. Et a la mienne voulente que chascun eust aussi belle voix, lon en iourroit beaucoup mieulx a la paulme, et ces petites finesses, quon faict a porter des pastins, descendroient plus aisement en Seine pour tousiours servir au pont aux meusniers, comme iadis feut decrete par le roy de Canarre, que larrest en est au greffe de ceans. Par ce monsieur ie requiers que par vostre seigneurerie soit dit et declaire sur le cas ce que de raison, avecques despens, dommages, et interetz. Lors dist Pantagruel. Mon amy voulez vous plus riens dire. Respondit Baisecul, non monsieur : car ien ay dit tout le tu autem, et nen ay riens varie sur mon honneur. Vous doncques dist Pantagruel, monsieur de Humevesne, dictes ce vouldrez et abreviez, sans riens toutesfois laisser de ce que servira au propos. Lors commenca le seigneur de Humevesne ainsi que sensuyt. Monsieur et messieurs, si liniquite des hommes estoit aussi facilement veue en iugement, comme on congnoit mousches en laict, le monde ne seroit pas tant mange de ratz, comme il est, et y auroit des aureilles maintes sur terre, qui en ont este rongees trop laschement. Car combien que tout ce que a dit partie adverse soit bien vray quant a la lettre et lhistoire du factum, toutesfoys messieurs la finesse, la tricherie, les petitz hanicrochemens, sont cachez soubz le pot aux roses. Doibs ie endurer que a lheure que ie mange ma souppe sans mal penser ny mal dire lon me vieigne ratisser et tabuster le cerveau et me sonner lantiquaille, disant, qui boit en mangeant sa souppe, quand il est mort il ne voit goutte. Et saincte dame combien avons nous veu de gros capitaines en plain camp de batailles, alors quon donnoit les horions benist de la confrarie, pour plus honestement se asseoir a table, iouer du luc, sonner du cul, et faire les petits faulx en plate forme sur beaulx escarpins deschiquettez a barbe descrevisse ? mais maintenant le monde est tout detrave de louschetz des balles de lucestre : lung se desbauche, laultre se cache le muzeau pour les froidures hyvernales, et si la court ny donne ordre, il fera aussi mal glener ceste annee, quil feist ou bien fera de troys sepmaines. Si une pauvre personne sen va aux estuves pour se faire enluminer le muzeau de bouzes de vaches ou achepter bottes de hyver, et les sergeans passans, ou bien ceux du guet recevant la decoction dun clystere, ou la matiere fecale dune celle persee sur les tintamarres, en doibt lon pourtant rongner les testons et fricasser les escuz elles de boys, aulcune foys nous pensons lung, mais dieu faict laultre : et quand le soleil est couche, toutes bestes sont a lumbre, ie ne veulx pas estre creu, si ie ne le prouve hugrement par gens dignes de memoire. Lan trente et six iavoys achapte ung courtault dAllemaigne hault et court dassez bonne laine et tainct en grene, comme me asseuroient les orfeuvres, toutesfoys le notaire y mist du cetera. Ie ne suis pas clerc pour prendre la lune a tous les dentz, mais au point de beurre ou lon selloit les instruments Vulcanicques le bruyt estoit, que le bœuf sale faisoit trouver le vin en plain minuyct sans chandelle et feust il cache au fond dung sac de charbonnier, housse et barde avecques le chanfrein et hoguines requises a bien fricasser rustrye, cest teste de mouton, et cest bien ce quon dit en proverbe, quil fait bon veoir vaches noires en boys brusle, quand on iouyt de ses amours. Ien fis consulter la matiere a messieurs les clercs, et pour resolution concluoient en frisesemorum quil nest tel que de faucher en este en cave bien garnie de papier et dencre et de plumes et de ganyvet de Lyon sur le Rosne tarabin tarabas : car incontinent que ung harnoys sent les aulx, la rouille luy mangeve le foye, et puis lon ne faict que rebecquer torty colli fleuretant le dormir dapres disner, et voila qui faict le sel tant cher. Messieurs ne croyez pas que au temps que ladicte bonne femme englua la pochecuilliere pour le record du sergeant mieulx apanaiger et que la fressure boudinalle tergiversa par les bourses des usuriers, il y eust rien meilleur a soy garder des Caniballes, que prendre une liasse doignons liee de troys cens avez mariatz, et quelque peu dune fraize de veau, du meilleur alloy que ayent les alkymistes et bien luter et calciner les pantoufles mouflin mouflart avecques belle saulce de raballe et soy mucer en quelque petit trou de taulpe, saulvant tousiours les lardons. Et si le dez ne vous veult aultrement dire, que tousiours ambezars, ternes, six et troys, guare daz, mettez la dame au coing du lict avecques la toureloula lala, et vivez en souffrance et me peschez force grenoilles a tout beaulx houzeaulx ce sera pour les petitz oysons de mue qui sesbatent au ieu de foucquet, attendant battre le metal, et chauffer la cyre aux bavars de godale. Bien vray est il que les quatre bœufz esquelz il est question, avoient quelque peu la memoire courte, toutesfoys pour scavoir la game ilz nen craignoient courmaran ny quanard de Savoye, et les bonnes gens de ma terre en avoyent bonne esperance, disans, ces enfans deviendront grans en Algoritme, ce nous sera une rubricque de droict, nous ne povons faillir a prendre le loup, en faisant nos hayes dessus le moulin a vent duquel a este parle par partie adverse. Mais le diable y eut envie, et mit les Allemans par le derriere, qui firent diables de humer, tringue tringue, das ist cotz, frelorum bigot paupera guerra fuit. Et mesbahys bien fort, comment les astrologues sen empeschent tant en leurs astrolabes, et almucantarath. Car il ny a nulle apparence de dire que a Paris sur petit pont fut geline de feurre, et feussent ilz aussi huppez que duppes de marays, sinon vrayement quon scarifiast les pompettes au morets fraichement esmoulu de lettres versalles ou cursives ce mest tout ung, pourveu que la tranchefille ny engendre point de vers. Et pose le cas que au comblement des chiens courans, les marmouzelles eussent comme prinse, devant que le notaire eut baille la relation par art Cabalisticque, il ne sensuyt pas saulve meilleur iugement de la court, que six arpens de pre a la grand laize feissent troys bottes de fine ancre sans souffler au bassin, considere que aux funerailles du roy Charles lon avoit en plain marche la toyson pour six blancs, ientends par mon serment de laine. Et ie voys ordinairement en toutes bonnes maisons que quand lon va a la pippee, faisant troys tours de balail par la cheminee, et insinuant sa nomination lon ne faict que bander aux rains et souffler au cul, si davanture il est trop chault, et quil luy baille, incontinent les lettres veues, les vaches luy furent rendues. Et en fut donne pareil arrest a la martingalle lan dix et sept pour le maulgouvert de louze foigerouse a quoy il plaira a la court davoir esguard. Ie ne dis pas vrayement quon ne puisse par equite deposseder en iuste titre ceulx qui de leau beniste beuvroient comme on faict dun rancon de tisserant dont on faict les suppositoires a ceulx qui ne veulent resigner, sinon a beau ieu bel argent. Car lusance commune de la loy Salicque est telle, que le premier boutefeu qui escornifle la vache qui mousche en plain chant de Musicque, sans solfier les poinctz des salvatiers, doibt en temps de peste charger son pauvre membre de mousse cueillie alors quon se morfond a la messe de minuyct, pour bailler lestrapade a ces vins blancs dAniou qui font la iambette collet a collet a la mode de Bretaigne. Concluant comme dessus avecques despens, dommaiges, et interetz. Apres que le seigneur de Humevesne eut acheve, Pantagruel dist au seigneur de Baisecul. Mon amy voulez vous plus riens replicquer ? a quoy respondit Baisecul. Non monsieur : car ie nen ay dit que la verite, et pour dieu donnez fin a nostre different, car nous ne sommes pas icy sans grand frais. Alors Pantagruel se leve, et assemble tous les Presidens, Conseillers, et Docteurs la assistans, et leur dist. Or ca messieurs, vous avez ouy vive vocis oraculo le different dont il est question, que vous en semble ? A quoy respondirent. Nous lavons veritablement ouy, mais nous ny avons entendu au diable la cause. Par ce nous vous prions una voce et supplions par grace, que veuillez donner la sentence telle que verrez, et ex nunc pro ut ex tunc nous avons aggreable, et ratifions de noz plains consentemens. Et bien messieurs, dist Pantagruel, puisquil vous plaist ie le feray, mais ie ne trouve pas le cas tant difficile que vous le faictes. Vostre paraphe Caton, la loy Frater, la loy Gallus, la loy Quinque pedum, la loy Vinum, la loy Si dominus, la loy Mater, la loy Mulier bona, la loy Si quis, la loy Pomponius, la loy fundi, la loy Exemptor, la loy Pretor, la loy Venditor, et tant daultres, sont bien plus difficiles en mon opinion. Et apres ce dict, il se pourmena ung tour ou deux de sale, pensant bien profondement, comme lon povoit estimer, car il ieignoit dangustie et petoit dahan, comme ung asne que lon sangle trop fort, pendant quil failloit a ung chascun faire droict, sans varier ny accepter personne, puis se retourna asseoir et commença prononcer la sentence comme sensuyt. Veu, entendu, et bien calcule le different dentre les seigneurs de Baisecul et Humevesne, la court leur dit que consydere que le soleil decline bravement de son solstice estival pour mugueter les bille vesees qui ont eu mat du pyon par les males vexations des lucifuges nycticoraces, qui sont inquilines du climat diaromes dung crucifix a cheval bandant une arbeleste aux reins, le demandeur eut iuste cause de calfreter le gallion que la bonne femme boursouffloit ung pied chausse et laultre nud, le remboursant bas et roidde en sa conscience dautant de baguenaudes, comme il y a de poil en dix huyt vaches et autant pour le brodeur. Semblablement est declaire innoncent du cas de crime quon pensoit quil y eut encouru de ce quil ne povoit baudement fiancer par la decision dune paire de gands parfumez a la chandelle de noix, comme on use en son pays de Myrebalois, laschant la bouline avecques les boulletz de bronze, dont les housse pailliers pastissoient conestablement les legumaiges interbastez du loyrre a tout les sonnettes desparvier faictes a poinct de Hongrie, que son beaufrere portoit memoriallement en ung penier limitrophe, brode de gueulles a troys chevrons hallebrenez de canabasserie, au caignard angulaire dont on tire au papegay vermiforme avecques la vitempenarde. Mais en ce quil met sus au defendeur quil fut rataconneur tyrofageux et goildronneur de mommye, que na este trouve estre vray comme bien la debastu ledict defendeur, la court le condemne en troys verrassees de caillebottes assimentez prerorelitantes et gaudepisees comme est la coustume du pays, envers ledict defendeur payables a la My oust en May, mais ledict defendeur sera tenu de fournir de foin et destoupes a lembouschement des chaussetrapes gutturales emburelucocquees de guilvardons bien grabelez a rouelle, et amys comme devant, et sans despens et pour cause. Laquelle sentence prononcee les deux parties sen allerent toutes deux contentes de larrest, qui fut quasi chose incroyable, et au regard des Conseillers et aultres Docteurs qui la assistoient, ilz demourerent en ecstase bien troys heures et tous ravys en admiration de la prudence de Pantagruel plus que humaine, quilz avoient congneu clerement en la decision de ce iugement tant difficile et espineux. Et y feussent encores, sinon quon apporta force vinaigre et eaue rose pour leur faire revenir le sens et entendement acoustume, dont dieu soit loue partout.
Comment Panurge racompte la maniere quil eschappa de la main des Turcqs.
Cha. xE iugement de Pantagruel fut incontinent sceu et entendu de tout le monde, et imprime a force, et redige es Archives du Palays, en sorte que tout le monde commenca a dire, Salomon qui rendit par soubson lenfant a sa mere, iamais ne monstra tel chef d’œuvre de prudence comme a faict ce bon Pantagruel, nous sommes heureux de lavoir en ce pays. Et de faict lon le voulut faire maistre des resquestes, et president en la court : mais il refusa tout, les remerciant gracieusement, car il y a (dist il) trop grand servitude a ces offices, et a trop grand peine peuvent estre saulvez ceulx qui les exercent, veu la corruption des hommes. Mais si avez quelque bon poinsson de vin, voulentiers ien recepvray le present. Ce quilz firent voulentiers, et luy envoyerent du meilleur de la ville, et beut assez bien. Mais le pouvre Panurge en beut vaillament, car il estoit exime comme ung harang soret. Aussi alloit il du pied comme ung chat maigre. Et quelquung ladmonesta en disnant, disant. Compere tout beau, vous faictes rage de humer. Par saint Thibault (dist il) tu dys vray, et si ie montasse aussi bien comme ie avalle, ie feusse desia au dessus de la sphere de la lune, avecques Empedocles. Mais ie ne scay que diable cecy veult dire, ce vin est fort bon et bien delicieux, mais tant plus bien ien boy, tant plus iay soif. Ie croy que lumbre de monseigneur Pantagruel engendre les alterez, comme la lune faict les catarrhes. A quoy se prindrent a rire les assistans. Ce que voyant Pantagruel, dist. Panurge quest ce que avez a rire. Seigneur (dist il) ie leur contoys, comment ces diables de Turcqs sont bien malheureux de ne boire point de vin. Si aultre mal ny avoit en lAlchoran de Mahumet, encores ne me mettroys ie pas de la foy. Mais or me dictes comment, dist Pantagruel, vous eschappates de leurs mains ? Par dieu seigneur, dist Panurge, ie ne vous en mentiray de mot. Les paillards Turcqs mes avoient mys en broche tout larde, comme ung connil, pour me faire roustir tout vif. Et ainsi comme ilz me roustissoient, ie me recommandoys a la grace divine, ayant en memoire le bon sainct Laurent, et tousiours esperoys en Dieu, quil me delivreroit de ce torment, ce qui fut faict bien estrangement. Car ainsi que me recommandoys bien de bon cueur a dieu, cryant. Seigneur Dieu ayde moy. Seigneur Dieu saulve moy. Saigneur Dieu oste moy de ce torment, auquel ces traitres chiens me detiennent, pour la maintenance de ta foy. Le roustisseur sendormyt par le vouloir divin, ou bien de quelque bon Mercure qui endormit cautement Argus qui avoit cent yeulx. Or quand ie vy quil ne me tournoit plus en routissant, ie le regarde, et voy quil sendort, ainsi ie prens avecques les dens ung tyson par le bout, ou il nestoit point brusle, et vous le gette au gyron de mon routisseur, et ung aultre le gette le mieulx que ie peuz soubz un lict de camp, qui estoit aupres de la cheminee, ou y il avoit force paille. Incontinent le feu se print a la paille, et de la paille au lict, et du lict au solies qui estoit embrunche de sapin faict a quehues de lampes. Mais bon fut, que le feu que ie avoys gette au gyron de mon paillard routisseur luy brusla tout le penil et se prenoit aux couillons, sinon quil nestoit point tant punays quil ne le sentit plus tost que le iour, et debouq estourdy se levant crya a la fenestre tant quil peult dal baroth, dal baroth, qui vault autant a dire comme, au feu, au feu : et vint droict a moy pour me getter du tout au feu, et desia avoyt couppe les cordes dont on mavoit lye les mains, et il couppoit les lyens des pieds, mais le maistre de la maison ouyant le cry du feu, et en sentant la fumee de la rue ou il se pourmenoit avecques quelques aultres Baschatz et Musaffiz, courut tant qu’il peult y donner secours et pour emporter ses bagues. Et de pleine arrivee il tyre la broche ou iestoys embroche, et tua tout roidde mon routisseur, dont il mourut la par faulte de gouvernement ou aultrement : car il luy passa la broche ung peu au dessus du nombril vers le flan droict, et luy percea la tierce lobe du foy, et le coup haussant luy penetra le diaphragme et par atravers la capsule du cueur luy sortit la broche par le hault des espaules entre les spondyles et lomoplate senestre. Vray est que en tirant la broche de mon corps ie tumbe a terre pres des landiers, et me fys ung peu de mal a la cheute, toutesfoys non pas grand : car les lardons soustindrent le coup. Puis voyant mon Baschaz, que le cas estoit desespere, et que la maison estoit bruslee sans remission, et tout son bien perdu, se donna a tous les diables, appelant Grilgoth, Astaroth, et Rapallus par neuf foys. Quoy voyant ieuz de peur pour plus de cinq solz, craignant les diables viendront a ceste heure pour emporter ce fol icy, seroient ilz bien gens pour memporter aussi ? Ie suis ia demy rousty, mes lardons seront cause de mon mal : car ces diables icy sont fryans de lardons, comme vous avez lauctorite du Philosophe Iamblicque et Murmault en lapologie de bossutis et contrefactis per Magistros nostros, mais ie fys le signe de la croix, cryant agyos, athanatos, ho theos, et nul ne venoit. Ce que congnoissant mon villain Baschaz se vouloit tuer de ma broche, et sen percer le cueur : et de faict la mist contre sa poitrine, mais elle ne povoit oultre passer car elle nestoys pas assez ague, et poussoit tant quil povoit, mais ne proffitoit riens. Alors ie men vins a luy, disant. Missaire bougrino tu pers icy ton temps : car tu ne te tueras iamais ainsi, mais bien te blesseras quelque hurte, dont tu languiras toute ta vie entre les mains des barbiers : mais si tu veulx ie te tueray icy tout franc en sorte que tu nen sentiras rien, et men croys : car ien ay tue bien daultres qui sen sont bien trouvez. Ha mon amy (dist il) ie ten prie, et ce faisant ie te donne ma bougette, tien voyla, il y a six cens seraph dedans, et quelques dyamens et rubys en perfection. Et ou sont ilz ? dist Epistemon. Par sainct Iehan, dist Panurge, ilz sont bien loin silz sont tousiours. Acheve, dist Pantagruel, ie te pry que nous saichons comment tu acoustras ton Baschaz. Foy dhomme de bien, dist Panurge, ie nen mens de mot. Ie le bende dune meschante braye que ie trouve la demy bruslee, et vous le lye rustrement pieds et mains de mes cordes, si bien quil neust sceu regimber : puis luy passe ma broche a travers la gargamelle, et aussi le pendys acrochant la broche a deux gros crampons, qui soustenoient des alebardes. Et vous atise ung beau feu au dessoubz et vous flamboys mon milourt comme on faict des harans soretz a la cheminee, puis prenant sa bougette et ung petit iavelot qui estoit sur les crampons men fuys le beau galot. Et dieu scait comme ie sentoys mon espaule de mouton. Quand ie fuz descendu en la rue, ie trouvay tout le monde qui estoit acouru au feu a force deau pour lestaindre. Et me voyans ainsi a demy rousti eurent pitie de moy naturellement, et me getterent toute leur eau sur moy, et me refraischirent ioyeusement, ce que me feist fort grand bien, puis me donnerent quelque peu a repaistre, mais ie ne mangeoys gueres : car ilz ne me bailloient que de leau a boire a leur mode. Et aultre mal ne me firent. Sinon ung villain petit Turcq boſſu par devant, qui furtivement me crocquoyt mes lardons, mais ie luy baillys si vert dronos sur les doigs a tout mon iavelot quil ny retourna pas deux fois. Et une ieune Tudesque, qui mavoit aporte ung pot de mirobalans emblicz confictz a leur mode, laquelle regardoit mon pouvre haire esmouchete, comment il sestoit retire au feu : car il ne me alloit plus que iusques sur les genoulx. Or ce pendant quilz se amusoient a moy, le feu triumphoit ne demandez pas comment a prendre en plus de deux mille maisons, tant que quelquung dentre eulx lavisa & sescrya, disant. Ventre Mahom toute la ville brusle, & nous amusons icy. Ainsy chascun sen va a sa chascuniere. De moy ie prens mon chemin vers la porte. Et quand ie fuz sur un petit tucquet qui est aupres, ie me retourne arriere, comme la femme de Loth, & vys toute la ville bruslant comme Sodome & Gomorre dont ie fuz tant ayse que ie me cuyde conchier de ioye, mais dieu men punit bien. Comment ? dit Pantagruel. Ainsi que ie regardoys en grand liesse ce beau feu & me gabelant, & disant. Ha pauvres pusses, ha pauvres souritz, vous aurez mauvais hyver, le feu est en vostre paillier, sortirent plus de six cens chiens gros & menutz tous ensemble de la ville, fuyans le feu. Et de premiere venue accoururent droict a moy, sentant lodeur de ma paillarde chair a demy roustie, & me eussent devore a lheure, si mon bon ange ne meust point inspire. Et que fys tu pouvret ? dist Pantagruel. Soubdain ie me advise de mes lardons, & les leur gettoys au meillieu dentre eulx, & chiens daller, & se entrebattre lung laultre a belles dentz, a qui auroit le lardon. Par ce moyen me laisserent, & ie les laisse aussi se pelaudant lung laultre, & ainsi eschappe gaillard & dehayt.Comment Panurge enseigne une maniere bien nouvelle de bastir les murailles de Paris.
Cha. xiANTAGRUEL quelque iour pour se recreer de son estude se pourmenoit vers les faulxbourgs sainct Marceau voulant veoir la follie Gobelin, & Panurge estoit avecques luy, ayant tousiours le flaccon soubz la robbe, & quelque morceau de iambon : car sans cela iamais ne alloit il, disant que cestoit son garde corps : & aultre espee ne portoit il. Et quand Pantagruel luy en voulut baillier une, il respondit, quelle luy eschaufferoit la ratelle. Voire mais, dist Epistemon, si lon se assailloit comment te defendroys tu ? A grands coups de brodequin, respondit il, pourveu que les estocz seussent descenduz. A leur retour Panurge conſideroit les murailles de la ville de Paris, & en irrision dist a Pantagruel. Voy ne cy pas de belles murailles, pour garder les oysons en mue ? Par ma barbe, elles sont competentement meschantes pour une telle ville comme est ceste cy, car une vasche avecques ung pet en abattroit plus de six brasses. Ô mon amy, dist Pantagruel, scez tu pas bien ce que dist Agesilaus, quand on luy demanda : Pourquoy la grande cite de Lacedemone nestoit pas ceincte de murailles ? Car monstrant les habitans & citoyens de la ville tant bien expers en discipline militaire, tant forz & bien armez. Voicy, dist il, les murailles de la cite. Signifiant quil nest murailles que de os, & que les villes ne scauroient avoir muraille plus seure & plus forte que de la vertuz des habitans. Ainsi ceste ville est si forte par la multitude du peuple bellicqueux qui est dedans, quilz ne se soucient point de faire aultres murailles. Et davantaige, qui la vouldroit emmurailler comme Strasbourg ou Orleans, il ne seroit possible, tant les frays ſeroient excessisz. Voire mais, dist Panurge, si faict il bon avoir quelque visaige de pierre quand on est envahy de ses ennemys, & ne feust ce que pour demander, qui est la bas ? Et au regard des frays enormes que dictes estre necessaires si lon la vouloit murer, si messieurs de la ville me veullent bien donner quelque bon pot de vin, ie leur enseigneray une maniere bien nouvelle, comment ilz pourront bastir a bon marche. Et comment ? dist Pantagruel. Ne le dictes donc pas, respondit Panurge, si ie vous lenseigne. Ie voy que les callibistrys des femmes de ce pays, sont a meilleur marche que les pierres. Diceulx fauldroit bastir les murailles en les arrangeant en bonne symmetrie darchitecture, & mettant les plus grans au premiers rancz, & puis en taluant a doz d’asne arrangeant les moyens & finablement les petitz. Et puis faire ung beau petit entrelardement a poinctes de diamens comme la grosse tour de Bourges, de tant de vitz quon couppa en ceste ville es pouvres Italiens a lentree de la Reyne. Quel diable desseroit une telle muraille ? Il ny a metal qui tant resistat aux coups. Et puis que les couillevrines se y vinssent froter. Vous en verriez par dieu incontinent distiller de ce benoist fruict de grosse verolle menu comme pluye. Sec au nom des diables. Davantaige la fouldre ne tomberoit iamais dessus. Car pourquoy ? ilz ſont tous benitz ou ſacrez. Ie n’y voys quung inconvenient. Ho ho ha ha ha, dist Pantagruel. Et lequel ? C’eqt que les mouqches en qont tant friandes que merveilles, & se y cueilleroient facillement & y feroient leur ordure, & voila louvrage gaste & diffame. Mais voicy comme lon y remedroit. Il fauldroit tresbien les esmoucheter avecques belles quehues de renards, ou bons gros vietz dazes de Provence. Et a ce propos ie vous veulx dire, nous en allant pour soupper ung bel exemple. Au temps que les bestes parloient (il ny a pas troys iours) ung pouvre lyon par la forest de Biere se pourmenant & disant ses menus suffrages passa par dessoubz ung arbre auquel estoit monte ung villain charbonnier pour abattre du boys. Lequel voyant le lyon, luy getta la coignee, & le blessa enormement en une cuysse. Dont le lyon cloppant tant courut & tracassa par la forest pour trouver ayde, quil rencontra ung charpentier, lequel voulentiers regarda la playe, & la nettoyat le mieulx qu’il peust, & lemplyt de mousse, luy dissant, quil esmouchast bien la playe, que les mousches ne y cuyllassent point, attendant quil yroit chercher de lherbe au charpentier. Ainsi le lyon guery, se pourmenoit par la forest, a quelle heure une vieille sempiternelle ebuschetoit & amassoit du boys par ladicte forest, laquelle voyant le lyon venir, tumbat de peur a la renverse de telle façon, que le vent luy renversa la robbe, cotte, & chemise iusques au dessus des espaules. Ce que voyant le lyon, accourut de pitie, veoir si elle sestoit point faict mal, & consyderant son comment a nom ? dist. O pouvre femme, qui ta ainsi blessée : & ce disant, apperceut ung regnard, lequel il appella, disant. Compere regnard, hau ca ca, & pour cause. Quand le regnard fut venu, il luy dist. Compere mon amy, lon a blessé ceste bonne femme icy entre les iambes bien villainement & y a solution de continuité manifeste, regarde que la playe eſt grande, depuis le cul iuſques au nombril meſure quatre, mais bien cinq empans & demy : c’eſt ung coup de coignée, ie me doubte que la playe ſoyt vieille, pourtant affin que les mouſches n’y prennent, eſmouche la bien fort, ie t’en pry, & dedans & dehors, tu as bonne quehue & longue, eſmouche mon amy, eſmouche ie t’en ſupply, & ce pendant ie voys querir de la mouſſe, pour y mettre. Car ainſi nous fault il ſecourir & ayder l’ung l’autre, dieu le commande. Eſmouche fort, ainſi mon amy eſmouche bien : car ceſte playe veult eſtre eſmouchée ſouvent, autrement la perſonne ne peult eſtre à ſon ayſe. Or eſmouche bien mon petit compere, eſmouche, dieu t’a bien pourveu de quehue, tu l’as grande & groſſe à l’advenant, eſmouche fort & ne t’ennuye point, ie n’arreſteray gueres. Puis s’en va chercher force mouſſe, & quand il fut quelque peu loin il s’eſcrya parlant au regnard. Eſmouche bien touſiours compere, eſmouſche, & ne te faſche iamais de bien eſmoucher, par dieu mon petit compere ie te feray eſtre à gaiges, eſmoucheteur de la reyne Marie ou bien de dom Pietro de Caſtille. Eſmouche ſeulement, eſmouche & riens plus. Le pouvre regnard eſmouchoit fort bien & deça & delà & dedans & dehors, mais la ſaulve vieille veſnoit & veſſoit puant comme cent diables, & le pouvre regnard eſtoit bien mal à ſon ayſe : car il ne sçavoit de quel couſté ſe virer, pour evader le parfum des veſſes de la vieille : & ainſi qu’il ſe tournoit il veit qu’il y avoit au derriere encores ung aultre pertuys, non pas ſi grand que celluy qu’il eſmouchoit, dont luy venoit ce vent tant puant & infect. Le lyon finablement retourne portant plus de troys balles de mouſſe : commença en mettre dedans la playe, à tout ung baſton qu’il aporta, & y en avoit ià bien mys deux balles & demye, & s’eſbahyſſoit que diable ceſte playe eſt parfonde, il y entreroit de mouſſe plus de deux charretées, & bien puiſque dieu le veult, & touſiours fourroit dedans.Mais le regnard l’adviſa. Ô compere lyon mon amy, ie te pry ne metz pas icy toute la mouſſe, gardes en quelque peu, car il y a encores icy deſſoubz ung aultre petit pertuys, qui put comme cinq cens diables. Ien ſuis empoiſonné de l’odeur tant il eſt punays. Ainſi fauldroit il garder ces murailles des mouſches, & mettre des eſmoucheteurs à gaiges. Lors dit Pantagruel. Et comment ſcez tu, que les membres honteux des femmes ſont à ſi bon marché : car en ceſte ville il y a force preudefemmes chaſtes & pucelles. Et ubi prenus ? diſt Panurge. Ie vous en diray non pas mon opinion, mais vraye certitude & aſſeurance. Ie ne me vante pas d’en avoir embourré quatre cens dix & ſept depuys que ſuis en ceſte ville, & s’il n’y a que neuf iours, voire de mangereſſes d’ymaiges & de theologiennes. Mais à ce matin iay trouvé ung bon homme, qui en ung biſſac tel comme celluy de Eſopet, portoit deux petites fillotes de l’aage de deux ou troys ans au plus, l’une devant, l’aultre derriere. Il me demanda l’aulmoſne, mais ie luy feis reſponce que iavoys beaucoup plus de couillons que de deniers. Et apres luy demande. Bonhomme ces deux filles ſont elles pucelles ? Frere diſt il. Ià deux ans a que ainſi les porte & au regard de ceſte cy devant, laquelle ie voy continuellement en mon advis qu’elle eſt pucelle, touteſfois ie n’en vouldroys pas metre mon doigt au feu : quant eſt de celle que ie porte derriere, ie n’en sçays ſans faulte riens. Vrayment diſt Pantagruel, tu es gentil compaignon, ie te veulx habiller de ma livrée. Et le feiſt veſtir galantement ſelon la mode du temps qui couroit : excepté que Panurge voulut que la braguette de ſes chauſſes feuſt longue de troys pieds, & quarrée non pas ronde, ce que feut faict, & la faiſoit bon veoir. Et diſoit ſouvent, que le monde n’avoit point encores congneu l’eſmolument & utilité qui eſt de porter grande braguette, mais le temps leur enſeigneroit quelque iour, comme toutes choſes ont eſté inventées en temps. Dieu gard de mal, diſoit il, le compaignon à qui la longue braguette a ſaulvé la vie, Dieu gard de mal à qui la longue braguette a valu pour ung iour cent eſcuz, Dieu gard de mal, qui par ſa longue braguette a ſaulvé toute une ville de mourir de faim. Et par dieu ien feray ung livre de la commodité des longues braguettes, quand iauray ung peu plus de loyſir. Et de faict en compoſa ung beau & grand livre avecques les figures, mais il n’eſt encores imprimé, que ie ſaiche.
Des meurs et conditions de Panurge.
Cha. xiiANURGE estoit de stature moyenne ny trop grand ny trop petit, et avoit le nez ung peu aquillin faict à manche de rasouer. Et pour lors estoit de l’aage de trente et cinq ans ou environ, fin à dorer comme une dague de plomb, bien galand homme de sa personne, sinon qu’il estoit quelque peu paillard, et subiect de nature à une maladie qu’on appeloit en ce temps là, faulte d’argent, c’est douleur non pareille : toutesfois il avoit soixante et troys manieres d’en trouver tousiours à son besoing, dont la plus honnorable et la plus commune estoit par façon de larrecin furtivement faict, malfaisant, bateur de pavez, ribleur s’il y en avoit en Paris : et tousiours machinoit quelque chose contre les sergeans et contre le guet. À l’une foys il assembloit troys ou quatre de bons rustres et les faisoit boire comme Templiers sur le soir, et apres les menoit au dessoubz de saincte Geneviefve, ou aupres du colliege de Navarre, et à l’heure que le guet montoit par là, ce que il congnoissait en mettant son espée sur le pavé et l’oreille aupres, et lors qu’il ouyoit son espée bransler, c’estoit signe infaillible que le guet estoit pres : à l’heure doncques luy et ses compaignons prenoient ung tombereau, et luy bailloient le bransle le ruant de grand force contre la vallée, et ainsi mettoit tout le pouvre guet par terre comme porcs, et puys s’en fuyoient de l’aultre cousté : car en moins de deux iours, il sceut toutes les rues, ruelles et traverses de Paris comme son Deus det. À l’aultre fois il faisoit en quelque belle place par ou ledict guet debvoit passer une trainée de pouldre de canon, et à l’heure que le guet passoit, il mettoit le feu dedans, et puis prenoit son passetemps à veoir la bonne grace qu’ilz avoient en s’en fuyant, pensans le feu sainct Antoine les tint aux iambes. Et au regard des pouvres maistres es ars et theologiens, il les persecutoit sur tous aultres, quand il rencontroit quelqu’ung d’entre eulx par la rue, iamais ne failloit de leur faire quelque mal, maintenant leurs mettant ung estronc dedans leur chaperons à bourlet, maintenant leur atachant petites quehues de regnard, ou des oreilles de lievres par derriere, ou quelque aultre mal. Et ung iour que l’on avoit assigné à tous les theologiens de se trouver en Sorbone pour examiner les articles de la foy, il fist une tartre bourbonnoyse composée de force de hailz, de galbanum, de assa fetida, de castoreum, d’estroncs tous chaux, et la destrampit de sanie de bosses chancreuses, et de fort bon matin engressa et oignit theologalement tout le treilliz de Sorbonne, en sorte que le diable n’y eust pas duré. Et tous ces bonnes gens rendoient là leurs gorges devant tout le monde, comme s’ilz eussent escorché le regnard, et en mourut dix ou douze de peste, mais il ne s’en soucioit pas. Et en son saye y avoit plus de vingt et six petites bougettes et fasques tousiours pleines, l’une d’ung petit deaul de plomb, et d’ung petit cousteau affilé comme une aiguille de peletier, dont il couppoit les bourses, l’aultre de aigrest, qu’il gettoit aux yeulx de ceulx qu’il trouvoit, l’aultre de glaterons empennés de petites plumes de oysons ou de chappons, qu’il gettoit sur les robbes et bonnetz des bonnes gens, et aulcunesfois leur en faisoit de belles cornes qu’ilz portoient par toute la ville, aulscunesfois toute leur vie. Aux femmes aussi par dessus leurs chapperons au derriere aulcunesfois en mettoit faictz en forme d’ung membre d’homme. En l’aultre ung tas de cornetz tous plains de pusses et de poux, qu’il empruntoit des guenaulx de sainct Innocent et les gettoit à tout belles petites cannes ou plumes dont on escript, sur les colletz des plus sucrées damoiselles qu’il trouvoit, et mesmement en l’esglise : car iamais ne se mettoit au cueur au hault, mais tousiours demouroit en la nef entre les femmes, tant à la messe, à vespres, comme au sermon. En l’aultre, force provision de haims et claveaux, dont il acouploit souvent les hommes et les femmes en compaigniez où ilz estoient serrez : et mesmement celles qui portoient robbe de taffetas armoisy, et à l’heure qu’elles se vouloient departir elles rompoient toutes leurs robbes. En l’aultre ung fouzil garny d’esmorche, d’allumettes, de pierre à feu, et tout aultre appareil à ce requis. En l’aultre deux ou troys mirouers ardens, dont il faisoit enrager aulcunesfois les hommes et les femmes, et leur faisoit perdre contenance à l’esglise, car il disoit qu’il n’y avoit qu’ung antistrophe entre femme folle à la messe, et femme molle à la fesse. En l’aultre avoir provision de fil, et d’aiguilles dont il faisoit mille petites diableries. Une fois à l’issue du Palays à la grant salle que ung cordelier disoit sa messe de messieurs il luy ayda à soy habiller et revestir, mais en l’acoustrant il luy cousit l’aulbe avecques sa robbe et chemise, et puis se retira quant messieurs de la court se vindrent asseoir pour ouyr messe. Mais quant ce fust à l’ite missa est, que le pouvre frater se voulut devestir son aulbe, il emporta ensemble et habit et chemise qui estoient bien cousuz ensemble, et se rebrassit iusques aux espaules monstrant son callibistris à tout le monde, qui n’estoit pas petit : sans doubte. Et le frater tousiours tiroit, mais tant plus ce descouvroit il, iusques à qu’ung de messieurs de la court dist. Et quoy ce beaupere nous veult il icy faire l’offrande et bayser son cul ? le feu sainct Antoine le bayse. Et des lors feut ordonné que les pouvres beatzperes ne se despouilleroyent plus devant le monde, mais en leur sacrifice, mesmement quand il y auroit des femmes, car ce leur seroit occasion de pecher du peché d’envie. Et le monde demandoit, Pourquoy est ce que ces fraters avoient la couille si longue ? mais ledict Panurge soulut tresbien le probleme, disant ce que faict les oreilles des asnes si grandes, ce n’est sinon par ce que leurs meres ne leur mettoyent point de beguin en la teste comme dit de Alliaco en ses suppositions. À pareille raison, ce que faict la couille des pouvres beatz peres tant sainct Antoine large, c’est qu’ilz ne portent point de chausses foncées, et leur pouvre membre s’estend à sa liberté à bride avallée, et leur va ainsi triballant sur les genoulx comme font les patenostres aux femmes ? Mais la cause pourquoy ilz l’avoient gros à l’equipollent, c’estoit que en ce triballement les humeurs du corps descendent audit membre, car selon les Legistes agitation et motion continuelle est cause de attraction. Item avoit ung aultre poche toute pleine de alun de plume dont il gettoit dedans le doz des femmes, qu’il voyoit les plus acrestées, et les faisoit despouiller devant tout le monde, les aultres dancer comme iau sur breze ou bille sur tambour, les aultres courir les rues, et luy apres couroit, et à celles qui se despouilloyent, il mettoit sa cappe sur le doz, comme homme courtoys et gracieux. Item en ung aultre il avoit une petite guedoufle plaine de vieille huyle, et quand il trouvoit ou homme ou femme qui luy semblissent bien glorieux, et qui eussent quelque belle robbe, il leur engraissoit et guastoit tous les plus beaulx endroictz de leurs habillemens soubz le semblant de les toucher et dire. Voicy de bon drap, voicy bon satin, bon tafetas, ma dame dieu vous doint ce que vostre noble cueur desire, vous avez robbe neufve, nouvel amy, dieu vous y maintienne, et ce disant leur mettoit la main sur le collet, et ensemble la male tache y demouroit perpetuellement, que le diable n’eust pas ostée, puis à la fin leur disoit. Ma dame donnez vous guarde de tumber : car il y a icy ung grand trou devant vous. En ung aultre avoit tout plain de Euphorbe pulverisé bien subtilement, et là dedans mettoit ung mouschenez beau et bien ouvré qu’il avoit desrobé à la belle lingiere des Galleries de la saincte chappelle, en luy ostant ung poul dessus son sain, lequel toutesfoys il y avoit mis. Et quand il se trouvoit en compaignie de quelques bonnes dames, il leur mettoit sus propos de lingerie, et leur mettoit la main au sain, demandant, et cet ouvraige est il de Flandres ou de Haynault : et puis tiroit son mouschenez disant, tenez tenez, voy en cy de l’ouvrage, elle est de Fonterabie, et le secouoit bien fort à leurs nez, et les faisoit esternuer quatre heures sans repos. Et ce pendant il petoit comme ung roussin, et les femmes se ryoient luy disant, comment : vous petez Panurge ? Non fois, disoit il, madame : mais ie accorde au contrepoint de la musicque que sonnez du nez. En l’aultre ung daviet, ung pellican, ung crochet, et quelques aultres ferremens dont il n’y avoit porte ny coffre qu’il ne crochetast. En l’aultre tout plain de petitz goubeletz, dont il iouoit fort artificiellement : car il avoit les doigs faictz à la main comme Minerve ou Arachné. Et avoit aultrefois cryé le theriacle. Et quand il changeoit ung teston, ou quelque aultre piece, le changeur n’eust esté plus fin que maistre mousche, si Panurge n’eust faict evanouyr à chascune fois cinq ou six grands blancs visiblement, appertement, manifestement, sans faire lesion ne blesseure aulcune, dont le changeur n’en eust senty que le vent. Ung iour ie le trouvay quelque peu escorné et taciturne, et me doubte bien qu’il n’avoit denare, dont ie luy dys. Panurge vous estes malade à ce que ie voy à vostre physionomie, et ientens le mal, vous avez ung fluz de bourse : mais ne vous souciez. Iay encores six sols et maille, qui ne virent oncques pere ny mere, qui ne vous fauldront non plus que la verolle, en vostre necessité. À quoy il me respondit. Et bren pour l’argent. ie n’en auray quelque iour que trop : car iay une pierre philosophalle qui me attire l’argent des bourses, comme l’aymant attire le fer. Mais voulez vous venir gaigner les pardons ? dist il. Et par ma foy ie luy respons, Ie ne suis pas grand pardonneur en ce monde icy, ie ne sçay si ie le seray en l’aultre : et bien allons au nom de dieu, pour ung denier ny plus ny moins. Mais (dist il) prestez moy doncques ung denier à l’interest. Rien rien, dis ie, Ie vous le donne de bon cueur, grates vobis dominos, dist il. Ainsi allasmes commençant à sainct Gervays, et ie gaigne les pardons au premier tronc seulement : car ie me contente de peu en ces matieres, et puis me mis à dire mes menuz suffrages, et oraisons de saincte Brigide : mais il gaigna à tous les troncz, et tousiours bailloit argent à chascun des pardonnaires. De là nous transportasmes à nostre Dame, à sainct Iehan, à sainct Antoine, et ainsi des aultres esglises ou avoit bancque de pardons, de ma part ie n’en gaignoys plus : mais luy à tous les troncz, il baysoit les relicques, et à chascun donnoit. Brief quand nous fusmes de retour il me mena boire au cabaret du chasteau et me montra dix ou douze de ses bougettes plaines d’argent. A quoy ie me seigny faisant la croix, disant. Dont avez vous tant recouvert d’argent en si peu de temps ? A quoy il me respondit, que il l’avoit prins des pardons : car en leur baillant le premier denier (dist il) ie le mis si soupplement, que il sembla que feust ung grand blanc, par ainsi d’une main ie prins douze deniers, voire bien douze liards ou doubles pour le moins, et de l’aultre troys ou quatre douzains : et ainsi par toutes les esglises où nous avons esté. Voire mais (dis ie) vous vous damnez comme une sarpe et estes larron et sacrilege. Ouy bien, dist il, comme il vous semble, mais il ne me le semble pas quand à moy. Car les pardonnaires me le donnent, quand ilz me disent en presentant les relicques à bayser, centuplum accipies, que pour ung denier ien prene cent : car accipies est dit selon la maniere des Hebrieux qui vient du futur en lieu de l’imperatif, comme avez en la loy, dominum deum tuum adorabis et illi foli servies, diliges proximuum tuum, et sic de aliis. Ainsi quand le pardonnigere me dit, centuplum accipies, il veult dire, centupluim accipe, et ainsi l’expose rabi Quimy et rabi Aben Ezra, et tous les Massoretz. Et davantaige le pape Sixte me donna quinze cens livres de rente sur son dommaine et tresor ecclesiasticque, pour luy avoir guery une bosse chancreuse, qui tant le tourmentoit, qu’il en cuyda devenir boyteux toute sa vie. Ainsi ie me paye par mes mains : car il n’est tel, sur ledict tresor ecclesiasticque. Ho mon amy disoit il, si tu sçavoys comment ie fis mes choux gras de la croysade, tu seroys tout esbahy. Elle me valut plus de six mille fleurins. Et où diable sont ils allez ? dis ie, car tu n’en as pas une maille. Dont ilz estoient venuz (dist il) ilz ne firent seulement que changer de maistre. Mais ien employai bien troys mille à marier non pas les ieunes filles : car elles ne trouvent que trop marys, mais de grand vieilles sempiternelles qui n’avoient dentz en gueulle. Consyderant, ces bonnes femmes icy ont tresbien employé leur temps en ieunesse et ont ioué du serrecropiere à cul levé à tous venans, iusques à ce qu’on n’en a plus voulu. Et par dieu ie les feray saccader encores une foys devant qu’elles meurent. Et par ainsi à l’une donnoit cent flourins, à l’aultre six vingtz, à l’aultre troys cens, selon qu’elles estoient bien infames, detestables, et abhominables : car d’autant qu’elles estoient plus horribles et execrables, d’autant il leur failloit donner davantaige, aultrement le diable ne les eust pas voulu besoigner. Incontinent ie m’en alloys à quelque porteur de coustretz gros et gras, et faysois moy mesmes le mariage, mais premier que luy monstrer les vieilles, ie luy monstroys les escuz, disant. Compere, voicy qui est à toy, si tu veulx fretinfretailler ung bon coup. Des lors les pouvres hayres arressoient comme vieulx mulletz, et ainsi leur faisoys bien aprester et bancqueter, et boire du meilleur et force espiceryes pour mettre les vieilles en appetit et en chaleur. Fin de compte ilz besoignoient comme toutes bonnes ames, sinon que à celles qui estoient horriblement villaines et defaictes, ie leur faisoys mettre ung sac sur le visaige. Davantaige ien ay perdu beaucoup en proces. Et quelz proces as tu peu avoir ? disoys ie, tu ne as ny terre ny maison. Mon amy (dist il) les damoiselles de ceste ville avoient trouvé par instigation de diable d’enfer, une maniere de colletz ou cachecoulx à la haulte façon, qui leur cachoient si bien les seins, que l’on n’y povoit plus mettre la main par dessoubz : car la fente d’iceulx elles avoient mise par derriere, et estoient tous clos par devant, dont les pouvres amans dolens contemplatifs n’estoient pas bien contens, ung beau iour de Mardy ien presentay resqueste à la court, me formant partye contre lesdictes damoyselles et remonstrant les grans interestz que ie pretendoys protestant que à mesme raison ie feroys coudre la braguette de mes chausses au derriere, si la court n’y donnoit ordre, somme toute les damoiselles formerent syndicat et passerent procuration à defendre leur cause, mais ie les poursuivy si vertement que par arrest de la court y fut dist, que ces haulx cachecoulx ne seroient plus portez, sinon qu’ilz feussent quelque peu fenduz par devant. Mais il me cousta beaucoup. Ieuz ung aultre proces bien ord et bien sale contre maistre Fify et ses suppotz, à ce qu’ilz n’eussent point à lire clandestinement les livres de Sentences de nuyct, mais de beau plain iour et ce es escholles de Sorbonne, en face de tous les theologiens, ou ie fuz condemné es despens pour quelque formalité de la relation du sergeant. Une aultre foys ie formay complaincte à la court contre les mulles des Presidens, Conseilliers, et aultres : tendant à fin que quand en la basse court du Palays l’on les mettroit à ronger leur frain, que les Conseilleres leur feissent de belles baverettes affin que de leur bave elles ne gastassent point le pavé en sorte que les paiges du palays peussent iouer dessus à beaulx detz, ou au reniguedieu à leur ayse, sans y rompre leurs chausses aux genoux. Et de ce en euz bel arrest : mais il me couste bon. Or sommez à ceste heure combien me coustent les petitz bancquetz que ie fays aux paiges du palays de iour en iour. Et à quelle fin ? dis ie. Mon amy (dist il) tu ne as nul passetemps en ce monde. Ien ay moy plus que le roy. Et si tu vouloys te rallier avecques moy, nous serions diables. Non non (dis ie) par sainct Adauras : car tu seras une foys pendu. Et toy (dist il) tu seras une foys enterré, lequel est plus honorable ou l’air ou la terre ? He grosse pecore, Iesuchrist ne fut il pas pendu en l’air. Mais à propos ce pendant que ces paiges bancquettent ie garde leurs mulles, et tousiours ie couppe à quelqu’une l’estriviere du cousté du montouer qu’elle ne tient que à ung fillet. Et quand le gros enflé de Conseillier ou aultre a prins son bransle pour monter sus, ilz tombent tous platz comme porcs devant tout le monde : et aprestent à rire pour plus de cent frans. Mais ie me rys encores davantaige, c’est que eulx arrivez au logis ilz font foueter monsieur du page comme seigle vert, par ainsi ie ne plains point ce que m’avoit cousté à les bancqueter. Fin de compte il avoit (comme ay dit dessus) soixante et troys manieres de recouvrer argent : mais il en avoit deux cens quatorze de le despendre, hors mis la reparation de dessoubz le nez.Comment ung grand clerc de Angleterre vouloit arguer contre Pantagruel, et fut vaincu par Panurge.
Cha. xiiiN ces mesmes iours ung grandissime clerc nommé Thaumaste ouyant le bruyt et renommée du sçavoir incomparable de Pantagruel vint du pays de Angleterre en ceste seule intention de veoir icelluy Pantagruel et le congnoistre, et esprouver si tel estoit son sçavoir comme en estoit la renommée. Et de faict arrivé à Paris se transporta vers l’hostel dudict Pantagruel qui estoit logé à l’hostel sainct Denys, et pour lors se pourmenoit par le iardin avecques Panurge, philosophant à la mode des Peripateticques. Et de premiere entrée le voyant tressaillit tout de peur, le voyant si grand et si gros : puis le salua, comme est la façon, courtoysement luy disant. Bien vray est il ce que dit Platon le prince des philosophes, que si l’ymage de science et sapience estoit corporelle et spectable es yeulx des humains, elle exciteroit tout le monde en admiration de foy. Car seulement le bruyt d’icelle espandu par s’il est receu es oreilles des studieux et amateurs d’icelle, qu’on nomme Philosophes, ne les laisse dormir ny reposer à leur ayse, tant les stimule et embrase de acourir au lieu, et veoir la personne, en qui est dicte science avoir estably son temple, et depromer les oracles. Comme il nous feut manifestement demonstré en la Reyne de Saba, qui vint des limites d’Orient et mer Persicque pour veoir l’ordre de la maison du saige Salomon et ouyr sa sapience. En Anatharsis qui de Scythie alla iusques en Athenes pour veoir Solon. En Pythagoras, qui visita les Vaticinateurs Memphiticques. En Platon qui visita les Mages de Égypte et Architas de Tarente, et en Apollonius Tyraneus qui alla iusques au mont Caucasus, passa les Scythes, les Massagetes, les Indiens, transfeta le vaste fleuve de Physon, iusques es Brachmanes, pour veoir Hiarchas. Et en Babyloine, Chaldée, Mede, Assyrie, Parthie, Syrie, Phoenice, Arabie, Palestine, Alexandrie, iusques en Ethipie, pour veoir les Gymnosophistes. Pareil exemple avons nous de Tite Live, pour lequel veoir et ouyr plusieurs gens studieux vindrent en Rome, des fins limitrophes de France et Hespaigne. Ie ne me ose pas recenser au nombre et ordre de ces gens tant parfaictz : mais bien ie veulx estre dit studieux, et amateur, non seulement des letres, mais aussi des gens letrez. Et de faict ouyant le bruyt de ton sçavoir tant inestimable, ay delaissé pays, parens, maison, et me suis icy transporté, riens ne estimant la longueur du chemin, l’attediation de la mer, la nouveaulté des contrées, pour seullement te veoir, et conferer avecques toy d’aulcuns passaiges de Philosophie, de Magie, de Alkymie, et de Caballe, desquelz ie doubte, et ne m’en puis contenter mon esprit, lesquelz si tu me peulx souldre, ie me rens des à present ton esclave moy et toute ma posterité : car aultre don ne ay ie que assez ie estimasse pour la recompense. Ie les redigeray par escript et demain le feray assavoir à tous les gens sçavans de la ville, affin que devant eulx publicquement nous en disputons. Mais voicy la maniere comment ientens que nous disputerons. Ie ne veulx point disputer, pro et contra, comme font ces folz sophistes de ceste ville et d’ailleurs. Semblablement ie ne veulx point discuter en la maniere des Academicques par declamations, ny aussi par nombres, comme faisoit Pythagoras, et comme voulut faire Picus Mirandula à Rome. Mais ie veulx disputer par signes seulement, sans parler : car les matieres sont tant ardues que les parolles humaines ne seroient suffisantes à les explicquer à mon plaisir, par ce il plaira à ta magnificence de soy y trouver, ce sera en la grande salle de Navarre à sept heures de matin. Ces parolles achevées, Pantagruel luy dist honnorablement. Seigneur, des graces que Dieu m’a donné, Ie ne vouldroys denier à nully en departir à mon povoir : car tout bien vient de luy de lassus, et son plaisir est que soit multiplié quand on se trouve entre gens dignes ydoines de recepvoir ceste celeste manne de honneste sçavoir. Au nombre desquelz par ce que en ce temps, comme ià bien apperçoy, tu tiens le premier ranc. Ie te notifie que à toutes heures tu me trouveras prest à obtemperer à une chascune de tes requestes, selon mon petit povoir. Combien que plus de toy ie deusse apprendre que toy de moy, mais comme as protesté nous confererons de tes doubtes ensemble, et en chercherons la resolution, dont il la fault trouver toy à moy. Et loue grandement la maniere d’arguer que as proposée, c’est assavoir par signes sans parler : car ce faisant toy et moy, nous nous entendrons, et serons hors de ces frappemens de mains, que font ces sophistes quand on argue : alors qu’on est au bon de l’argument. Or demain ie ne fauldray à me trouver au lieu et heure que me as assigné : mais ie te pry que entre nous n’y ait point de tumulte, et que ne cherchons point l’honneur ny applausement des hommes, mais la serenité seule. A quoy respondit Thaumaste, Seigneur : dieu te maintienne en sa grace te remerciant de ce que ta haulte magnificence tant se veult condescendre à ma petite vilité. Or a dieu iusques à demain. A dieu dist Pantagruel. Messieurs vous aultres qui lisez ce present escript, ne pensez pas que iamais il y eut de gens plus elevez et transportez en pensée, que furent tout celle nuyct, tant Thaumaste que Pantagruel. Car ledict Thaumaste dist au concierge de l’hostel de Cluny, auquel il estoit logé, que de sa vie ne s’estoit trouvé tant alteré comme il estoit celle nuyct. Il m’est (disoit il) advis que Pantagruel me tient à la gorge : donnez ordre que beuvons ie vous prie. De l’aultre cousté Pantagruel entra en la haulte game et de toute la nuyct ne faisoit que ravasser apres le livre de Beda de numeris et signis, et le livre de Plotin de inenarrabilibus, et le livre de Proclus de magia, et les livres de Artemidoras peri oniro criticon, de Anaxagoras peri semion, Dynarius peri aphaton, et les livres de Philistion, et Hipponax peri anecphoneton, ung tas d’aultres, tant que Panurge luy dist, Seigneur laissez toutes ces pensées et vous allez coucher : car ie vous sens tant esmeu en voz espritz, que bien tost tomberiez en quelque fiebvre ephemere par c’est exces de pensement : mais premier beuvant vingt et cinq ou trente bonnes foys retirez vous et dormez à votre aise, car de matin ie respondray et argueray contre monsieur l’Angloys, et au cas que ie ne le mette ad meta non loui, dictes mal de moy, dont dist Pantagruel. Voire mais mon amy Panurge, il est merveilleusement sçavant, comment luy pourras tu satisfaire ? Tresbien, respondit Panurge, Ie vous pry n’en parlez plus, et m’en laissez faire, y a il homme tant sçavant que sont les diables ? Non vrayement dist Pantagruel, sans grace divine speciale. Et toutesfoys, dist Panurge, iay argué maintesfoys contre eulx, et les ay faictz quinaulx et mys de cul. Par ce soyez asseuré de cet Angloys, que ie vous le feray demain chier vinaigre devant tout le monde. Ainsi passa la nuyct Panurge à chopiner avecques les paiges et iouer toutes les aiguillettes de ses chausses à primus et secundus, ou à la vergette. Et quand ce vint à l’heure assignée il conduysit son maistre Pantagruel au lieu constitué. Et hardiment qu’il n’y eut petit ny grand dedans Paris qu’il ne se trouvast au lieu : pensant, ce diable de Pantagruel, qui a convaincu tous les Sorbonicoles, à cest heure aura son vin, car cest Angloys est ung aultre diable de Vauvert, nous verrons qui en gaignera. Ainsi tout le monde assemblé, Thaumaste les attendoit. Et lors que Pantagruel et Panurge arriverent à la salle, tous ces grymaulx, artiens, et intrans commencerent à frapper des mains, comme est leur badaude coustume, mais Pantagruel s’escrya à haulte voix, comme si ce eust esté le son d’ung double canon, disant. Paix de par le diable paix, par dieu coquins si vous me tabustez icy, ie vous coupperay la teste à trestous. À laquelle parolle ilz demourent tous estonnez comme cannes, et ne osoient seulement tousser, voire eussent ilz mangé quinze livres de plume. Et feurent tant alterez de ceste seule voix qu’ilz tiroient la langue demy pied hors de la gueule : comme si Pantagruel leur eust gorge sallé. Lors commença Panurge à parler disant à l’Angloys. Seigneur tu es icy venu pour disputer contentieusement de ces propositions que tu as mis, ou bien pour apprendre et en sçavoir la verité ? À quoy respondit Thaumaste. Seigneur, aultre chose ne me ameine sinon bon desir de apprendre et sçavoir ce, dont iay doubté toute ma vie, et n’ay trouvé ny livre ny homme qui me ayt contenté en la resolution des doubtes que iay proposez. Et au regard de disputer par contention, ie ne le veulx faire, aussi est ce chose trop vile, et la laisse à ces maraulx de Sophistes. Doncques dist Panurge, si moy qui suis petit disciple de mon maistre monsieur Pantagruel, te contente et te satisfoys en tout et par tout, ce seroit chose indigne d’en empescher mondict maistre, par ce mieulx vauldra qu’il soit cathedrant, iugeant de noz propos, et te contentent au parsus, s’il te semble que ie ne aye satisfaict à ton studieux desir. Vrayement, dist Thaumaste, c’est tresbien dit. Commence doncques. Or notez, que Panurge avoit mis au bout de sa longue braguette ung beau floc de soye rouge, blanche, verte, et bleue, et dedans avoit mis une belle pomme d’orange. Adoncques tout le monde assistant et speculant en bonne silence, Panurge sans mot dire, leva les mains, et en feit ung tel signe : car de la main gauche il ioignit l’ongle du doigt indice à l’ongle du pouce, feisant au meillieu de la distance comme une boucle, et de la main dextre ferroit tous les doigts au poing, excepté le doigt indice, lequel il mettoit et tiroit souvent par entre les deux aultres susdictz de la main gauche, puis de la dextre estendoit le doigt indice et le meillieu, les esloignant le mieulx qu’il povoit, et les tirant vers Thaumaste : et puis mettoit le poulce de la main gauche sur l’anglet de l’œil gauche estendant toute la main comme une aesle d’oyseau, ou une pinne de poisson, et la meuvanrt bien mignonnement deça et delà, et autant en faisoit de la dextre sur l’anglet de l’œil dextre : et ce dura bien par l’espace d’ung bon quart d’heure. Dont Thaumaste commença à paslir et trembler, et luy fit tel signe, que de la main dextre, il frappa du doigt meillieu contre le muscle de la vole, qui est au dessoubz le pouce, et puis mis le doigt indice de la dextre en pareille boucle de la fenestre : mais il le mist par dessoubz, non par dessus, comme faisoit Panurge. Adoncques Panurge frappe la main l’une contre l’aultre, et souffle en paulme, et ce faict met encores le doigt indice de la dextre en la boucle de la gauche le tirant et mettant souvent : et puis esten, dit le menton regardant intensement Thaumaste, dont le monde qui n’entendoit riens à ces signes, entendit bien qu’en ce il demandoit, sans dire mot, à Thaumaste que voulez vous dire là ? Et de faict Thaumaste commença à suer grosses gouttes, et sembloit bien un homme qui estoit ravy en haulte contemplation. Puis se advisa, et mist tous les ongles de la gauche contre ceulx de la dextre, ouvrant les doigts, comme si ce eussent esté demys cercles, et elevoit tant qu’il povoit les mains en ce signe. À quoy Panurge soubdain mist le poulce de la main dextre soubz les mandibules, et le doigt auriculaire d’icelle en la boucle de la main gauche, et en ce point faisoit sonner les dentz bien melodieusement les basses contre les haultes. Dont Thaumaste de grand ahan se leva, mais en se levant il fist ung gros pet de boulangier : car le bran vint apres, et puoit comme tous les diables, et les assistans commencerent à se estouper les nez : car il se conchioit de angustie, puis leva la main dextre la clouant en telle façon, qu’il assembloit les boutz de tous les doigts ensemble, et la main gauche assist toute plaine sur la poictrine. À quoy Panurge tira la longue braguette avecques son floc, qu’il estendit d’une couldé et demie, et la tenoit en l’air de la main gauche, et de la dextre print la pomme d’orange, et la gettant en l’air par sept foys, la huytieme la cacha au poing de la main dextre, la tenant en hault tout coy, et puis commença à secouer sa belle braguette, en la monstrant à Thaumaste. Apres cella Thaumaste commença à enfler les deux ioues comme ung cornemuseur et souffler, comme s’il enfloit une vessie de porc. À quoy Panurge mist ung doigt de la gauche au trou du cul, et de la bouche tiroit l’air comme quand on mangeve des huytres en escalle, ou quand l’on hume sa souppe, et ce faict ouvre quelque peu la bouche, et avecques le plat de la main dextre en frappoit dessus, faisant en ce ung gran son et parfond, comme s’il tenoit de la superficie du diaphragme par la trachée artere : et le feit par seize foys. Mais Thaumaste, souffloit tousiours comme une oye. Adoncques Panurge mist le doigt indice de la dextre dedans la bouche, le ferrant bien fort avecques les muscles de la bouche, et puis le tiroit et le tirant faisoit ung grand son, comme quand les petits garsons tirent d’ung canon de seux avecques belles rabbes, et le fist par neuf foys. À quoy Thaumaste s’escrya. Ha messieurs, le grand secret, et puis tira ung poignard qu’il avoit, le tenant par la poincte contre bas. À quoy Panurge print sa longue braguette, et la secouoit tant qu’il povoit contre ses cuisses, et puis mist ses deux mains lyéez en forme de peigne, sur la teste, tirant la langue tant qu’il povoit, et tournant les yeulx en la teste, comme une chievre qui se meurt. Ha ientends, dist Thaumaste, mais quoy ? faisant tel signe, qu’il mettoit le manche de son poignard contre la poictrine, et sur la pointe mettoit le plat de la main en retournant quelque peu le bout des doigts. À quoy Panurge baissa la teste du cousté gauche et mist le doigt meillieu en l’oreille dextre, elevant le poulce contre mont. Et puis croisa les deux bras sur la poictrine, toussant par cinq foys, et à la cinquiesme frappant du pied droit contre terre, et puis leva le bras gauche, et ferrant tous les doigtz au poin, tenoit le poulce contre le front, frappant de la main dextre par six fois contre la poictrine. Adoncques se leva Thaumaste et ostant son bonnet de la teste, remercia ledict Panurge doulcement : puis dict à haulte voix à toute l’assistence. Seigneurs à ceste heure puis ie bien dire le mot evangelicque, Et ecce plusquam Solomon hic. Vous avez icy ung tresor incomparable en vostre presence, c’est monsieur Pantagruel, duquel la renommée me avoit icy attiré du fin fonds de Angleterre, pour conferer avecques luy des doubtes inexpugnables tant de Magie, de Caballe, de Geomantie, de Astrologie, que de Philosophie, lesquelz ie avoys en mon esprit. Mais de present ie me courrouce contre la renommée, laquelle me semble estre envieuse contre luy : car elle n’en raconte point la milliesme partie, de ce que en est par efficace. Vous avez veu, comment son seul disciple me a contenté et m’en a plus dit que ie ne demandoys, et d’abundant m’a ouvert et ensemble soulu d’aultres doubtes inestimables. En quoy ie vous puys asseurer qu’il m’a ouvert le vray puys et abysme de Encyclopedie, voire en une sorte que ie ne pensoys pas trouver homme qui en sceut les premiers elemens seulement, est quand nous avons disputé par signes sans dire mot ny demy. Mais à tant ie redigeray par escript ce que avons dit et resolu, affin que l’on ne pense point que ce ayent esté mocqueries et le feray imprimer à ce que chascun y apreigne comme ie ay faict. Dont povez iuger, ce qu’eust peu dire le maistre, veu que le disciple a faict telle prouesse : car Non est discipulus supra magistrum. en tout cas dieu soit loué, et bien humblement vous remercie de l’honneur que nous avez faict à cest acte, dieu vous le retribue eternellement. Semblables actions de graces rendit Pantagruel à toute l’assistence, et de là partant mena disner Thaumaste avecques luy et croyez qu’ilz beurent comme toutes bonnes ames le iour des mortz, le ventre contre terre, iusques à dire, dont venez vous ? Saincte dame comment ilz tiroient au chevrotin, il n’y eut par sans faulte celluy qui n’en beust xxv. ou xxx muys. Et sçavez vous comment : sicut terra sine aqua : car il faisoit chault, et davantaige se estoient alterez. Et au regard de l’exposition des propositions mises par Thaumaste, et des significations des signes desquelz ils userent en disputant ie vous les exoseroys selon la relation de entre eulx mesmes : mais l’on m’a dit que Thaumaste en feist ung grand livre imprimé à Londre, auquel il declaire tout sans riens laisser : par ce ie m’en deporte pour le present.Comment Panurge fut amoureux d’une haulte dame de Paris, et du tour qu’il luy fist.
Cha. xiiii.ANURGE commença à estre en reputation en la ville de Paris par ceste disputation qu’il obtint contre l’Angloys, et faisoit des lors bien valoir sa braguette, et la feist au dessus esmoucheter de broderie à la Tudesque. Et le monde le louoit publicquement, et en fut faict une chanson, dont les petitz enfans alloient à la moustarde : et estoit bien venu en toutes compaignies de dames et damoyselles, en sorte qu’il devint glorieux, si bien qu’il entreprint de venir au dessus d’une des grandes dames de la ville. De faict laissant ung tas de longs prologues et protestations que font ordinairement ces dolens contemplatifz amoureux de quaresme, luy dit ung iour. Ma dame, ce seroit ung bien fort utile à toute la republicque, delectable à vous, honneste à vostre lignée, et à moy necessaire, que feussiez couverte de ma race, et le croyez, car l’experience vous le demonstrera. La dame à ceste parolle le reculla plus de cent lieues, disant. Meschant fou vous appertient il de me tenir telz propos ? Et à qui pensez vous parler ? allez, ne vous trouvez iamais devant moy car si n’estoit pour ung petit, ie vous feroys coupper bras et iambes ? Or (dist il) ce me seroit tout ung d’avoir bras et iambes couppez, en condition que nous fissions vous et moy ung transon de chere lie iouant des manequins à basses marches : car (monstrant sa longue braguette) voicy maistre Iehan ieudy, qui vous sonneroit une antiquaille, dont vous vous sentiriez iusques à la mouelle des os : car il esrt galland, et vous sçait bien trouver les alibitz forains et petitz poullains grenez en la ratouere, que apres luy il n’y a qu’espousseter. A quoy respondit la dame. Allez meschant allez, si vous m’en dictes encores ung mot, ie appelleray le monde, et vous feray icy assommer de coups. Ho (dist il) vous n’estes pas si male que vous dictes, non : ou ie suis bien trompé à vostre physionomie : car plus tost la terre monteroit es cieulx et les haulx cieulx descendroient en l’abysme et tout ordre de nature seroit perverty, qu’en si grande beaulté et elegance comme la vostre, y eust une goutte de fiel, ny de malice. L’on dit bien que à grand peine veit on iamais femme belle, qui aussi ne feust rebelle : mais cella est dit de ces beautez vulgaires. Toutesfois la vostre est tant excellente tant singuliere, tant celeste, que ie croy que nature l’a mise en vous comme en parangon pour nous donner à entendre combien elle peult faire, quand elle veult employer toute sa puissance et tout son sçavoir. Ce n’est que miel, ce n’est que sucre, ce n’est que manne celeste, de tout ce qu’est en vous. C’estoit à vous à qui Paris debvoit adiuger la pomme d’Or, non à Venus non, ny à Iuno, ny à Minerve : car oncques n’y eut tant de magnificence en Iuno, tant de prudence en Minerve, tant de elegance en Venus, comme il y a en vous. O dieux desses celestes, que heureux sera celluy à qui ferez ceste grace de vous accoller, de vous bayser, et de frotter son lart avecques vous. Par deiu ce sera moy, ie le voy bien : car desià vous me aimez tout plain ie le congnoys. Doncques pour gaigner temps, faisons : et la vouloit embrasser, mais elle fist semblant de se mettre à la fenestre pour appeller les voisins à la force. Adoncques s’en sortit Panurge bien tost et luy dit en fuyant. Ma dame attendez moy icy, ie les voye querir moy mesme, n’en prenez pas la peine. Ainsi s’en alla, sans grandement se soucier du refus qu’il avoit eu, et n’en fist oncques pire chere. Le lendemain il se trouva à l’esglise à l’heure qu’elle alloit à la messe, et à l’entrée luy bailla de l’eaue beniste se enclinant parfondement devant elle, et apres se alla agenouiller aupres d’elle familierement, et luy dist. Madame saichez que ie suis tant amoureux de vous, que ie n’en peuz ny pisser ny fianter, ie ne sçay comment l’entendez. Si m’en advenoit quelque mal, qu’en seroit il ? Allez allez, dist elle, ie ne m’en soucie pas : laissez moy icy prier dieu. Mais (dist il) equivoquez sur A beau mont le vicomte. Ie ne sçauroys, dist elle. C’est (dist il) à beau con le vit monte. Et sur cella priez dieu qu’il me doint ce que vostre noble cueur desyre, et me donnez ces patenostres par grace ? Tenez, dit elle, et ne me tabustez plus. Et ce dit luy vouloit tirer ses patenostres qui estoient de cestrin avecques grosses manches d’or. Mais Panurge promptement tira ung de ses cousteaulx, et les couppa tresbien et les emporta à la fryperie luy disant, voulez vous mon cousteau ? Non non, dist elle. Mais (dist il) à propos, il est bien à vostre commandement corps et biens, tripez et boyaulx. Ce pendant la dame n’estoit pas fort contente de ses patenostres : car c’estoit une de ses contenances à l’esglise. Et pensoit, ce bavart icy est quelque esventé, homme d’estrange pays, ie ne recouvreray iamais mes patenostres, que m’en dira mon mary ? Il s’en courroucera à moy : mais ie luy diray qu’ung larron me les a couppées dedans l’esglise, ce qu’il croira facillement, voyant encores le bout du ruban à ma ceinture. Apres disner Panurge l’alla veoir portant en sa manche une grande bourse pleine de gettons, et luy commença à dire. Lequel des deux ayme plus l’aultre ou vous moy, ou moy vous ? A quoy elle respondit. Quant est de moy ie ne vous hays point : car comme dieu le commande, ie ayme tout le monde. Mais à propos (dist il) n’estes vous pas amoureuse de moy ? Ie vous ay (dist elle) ià dit tant de foys que vous ne me tenissiez plus telles parolles, si vous m’en parlez encores ie vous monstreray que ce n’est pas à moy à qui vous debvez ainsi parler de deshonneur allez vous en, et me rendez mes patenostres, que mon mary ne me les demande. Comment (dist il) ma dame voz patenostres ? non feray par mon segreant, mais ie vous en veulx bien donner d’aultres, en aymerez vous mieulx d’or bien esmaillé en forme de grosses spheres, ou de beaux laz d’amours, ou bien toutes massifves comme gros lingotz d’or ? ou si en voulez de Ebene, ou de gros Iyacinthes taillez, avecques les marches de fines Turquoyses, ou de beaulx Topazes marchez de dyamans à vingtehuyt quarres. Non non, c’est trop peu. Ien sçay ung beau chappelet de fines Esmerauldes marchées de Ambre gris, et à la boucle ung Union Persicque gros comme une pomme d’orange : elles ne coustent que vingt et cinq mille ducatz, ie vous en veulx faire ung present, car ien ay du content. Et ce disoit faisant sonner ses gettons comme si ce feussent escuz au soleil. Voulez vous une piece de veloux violet cramoysi tainct en grene, une piece de satin broché ou bien cramoysi. Voulez vous chainez, doreures, templettes, bagues, il ne fault que dire ouy. Iusques à cinquante mille ducatz, ce ne m’est riens cela. Par la vertuz desquelles parolles il luy faisoit venir l’eau à la bouche. Mais elle luy dist. Non, ie vous remercie ie ne veulx riens de vous. Par dieu (dist il) si veulx bien moy de vous : mais c’est chose qui ne vous coustera riens, et n’en aurez de riens moins, tenez : monstrant sa longue braguette, voicy qui demande logis : et apres la vouloit accoller. Mais elle commença à s’escryer, toutesfoys non pas trop hault. Et adoncques Panurge tourna son faulx visaige, et luy dict. Vous ne voulez doncques aultrement me laisser ung peu faire ? Bren pour vous. Il ne vous appartient pas tant de bien ny de honneur, mais par Dieu ie vous feray chevaucher aux chiens, et ce dict, s’en fouyt le grand pas de peur des coups. Or notez que le lendemain estoit la grand feste du corps dieu, à laquelle toutes les femmes se mettent en leur triumphe de habillemens, et pour ce iour ladicte dame s’estoit vestue d’une tresbelle robbe de satin cramoysi, et d’une cotte de veloux blanc bien precieux. Ce iour de la vigile Panurge chercha tant d’ung cousté et d’aultre, qu’il trouva une chienne qui estoit en chaleur, laquelle il lya avecques sa ceincture et la mena en sa chambre, et la nourrit tresbien cedit iour et toute la nuyct, et au matin la tua, et en prit ce que sçavent les Geomantiens Gregeoys, et le mist en pieces le plus menu qu’il peut, et les emporta bien cachées, et s’en alla à l’esglise ou la dame debvoit aller pour suyvre la procession, comme c’est de coustume à ladicte feste. Et alors qu’elle entra Panurge luy donna de l’eau beniste bien courtoisement la saluant, et quelque peu de temps apres qu’elle dit ses menuz suffrages il s’en va ioingdre à elle en son banc, et luy bailla ung Rondeau par escript en la forme que s’ensuyt.Rondeau.
Pour ceste foys, que à vous dame tresbelle
Mon cas disoit, par trop feutes rebelle
De me chasser, sans espoir de retour :
Veu que à vous oncq ne feis austere tour
En dict ny faict, en soubson ny libelle.
Si tant à vous desplaisait ma querelle,
Vous povyez par vous sans maquerelle
Me dire, amy partez d’icy entour
Pour ceste foys.
Tort ne vous foys, si mon cueur vous decelle
En remonstrant, comme le ard l’etincelle
De la beaulté que vouvre vostre atour :
Car riens ny quiers, sinon qu’en vostre tour
Me faciez dehait la combrecelle
Pour ceste foys.
Et ainsi qu’elle ouvroit le papier pour veoir que c’estoit, Panurge promptement sema la drogue qu’il avoit sur elle en divers lieux et mesmement au repliz de ses manches et de la robbe, et puis luy dist. Ma dame, les pouvres amans ne sont pas tousiours à leur ayse. Quant est de moy iespere que les malles nuycts, les travaulx et ennuytz, auxquelz me tient l’amour de vous, me seront en deduction d’autant des peines de purgatoire. À tout le moins priez dieu qu’il me doint mon mal en patience. Panurge n’eut pas achevé ce mot, que tous les chiens qui estoient en l’esglise ne s’en vinssent à ceste dame pour l’odeur des drogues qu’il avoit espandues sur elle, petitz et grans, gros et menuz tous y venoient tirant le membre et la sentant et pissant partout sur elle. Et Panurge les chassa quelque peu et print congié d’elle, et s’en alla en quelque chapelle pour veoir le deduyt : car ces villains chiens la conchioent toute et compissoient tout ses habillemens, tantq u’il y eut ung grand levrier qui luy pissa sur la teste et luy culletoit son collet par derriere, les aultres aux manches, les aultres à la crope : et les petitz culletoient ses patins. En sorte que toutes les femmes de là autour avoient beaucoup affaire à la saulver. Et Panurge de rire, dist à quelqu’ung des seigneurs de la ville. Ie croy que ceste dame là est en chaleur, ou bien que quelque levrier l’a couverte fraischement. Et quand il veit que tous les chiens grondoient bien à l’entour d’elle comme ilz font autour d’une chienne chaulde, il s’en partit, et alla querir Pantagruel, et par toutes les rues où il trouvoit des chiens, il leur bailloit ung coup de pied, disant. Et ne yrez vous point à voz compaignons aux nopces, devant devant. Et arrivé au logis dist à Pantagruel, maistre ie vous pry venez veoir tous les chiens de ceste ville qui sont assemblez à l’entour d’une dame la plus belle de ceste ville et la veullent iocqueter. À quoy voulentiers consentit Pantagruel, et veit le mystere qu’il trouva fort beau et nouveau. Mais le bon fut à la procession : car il se trouva plus de six cens chiens à l’entour d’elle, qui lui faisoient muille hayres : et partout où elle passoit les chiens frays venuz la suyvoient à la trace, pissans par le chemin ou ses robbes avoient touché. Et tout le monde se arrestoit à ce spectacle consyderant les contenances de ces chiens qui luy montoient iusques au col, et luy gasterent tout ses beaulx acoustremens, qu’elle ne sceut y trouver remede, sinon s’en aller à son hostel. Et chiens d’aller apres, et quand elle fut entrée en sa maison et fermé la porte apres elle, tous les chiens y accouroient de demy lieue, et compisserent si bien la porte de sa maison, qu’ilz y feirent ung ruysseau de leurs urines, ou les cannes eussent bien noué.
Comment Pantagruel partit de Paris ouyant nouvelles que les Dipsodes envahissoient le pays des Amaurotes. Et la cause pourquoy les lieues sont tant petites en France. Et l’exposition d’ung mot escript en ung anneau.
Cha. xvEU de temps apres Pantagruel ouyt nouvelles que son pere Gargantua avoit esté translaté au pays des phées par Morgue, comme fut iadis Enoch et Helye, ensemble que le bruyt de sa translation entendu, les Dipsodes estoient issuz de leurs limites, avoient gasté ung grand pays de Utopie, et tenoient de present la grande ville des Amaurotes assiegée, dont partit de Paris sans dire adieu à nully : car l’affaire requeroit diligence, et s’en vint à Rouen. Or en cheminant voyant Pantagruel que les lieues de France estoient petites par trop au regard des aultres pays, en demanda la cause et raison à Panurge, lequel luy dit une histoires que met Marotus du Lac monachus es gestes des roys de Canarre. Disant que d’ancienneté les pays n’estoient poinct distinctz par lieues miliaires, ny parasanges, iusques à ce que le roy Pharamond les distingue, ce que fut faict en la maniere que s’ensuyt. Car il print dedans Paris cent beaux ieunes et gallans compaignons bien deliberez, et cent belles garses picardes : et les feit bien traicter et bien penser par huict iours puis les appella et à ung chascun sa garse avecques force argent pour les despens, leur faisant commandement qu’ilz s’en allassent en divers lieux par cy et par là. Et à tous les passaiges qu’ilz chevaucheroient leurs garses qu’ilz missent une pierre, et ce feroit une lieue. Par ainsi les compaignons ioyeusement partirent, et pour ce qu’ilz estoient frays et de seiour ilz chevauchoient à chasque bout de champ et voylà pourquoi les lieues de France sont tant petites. Mais quand ilz eurent long chemin parfaict et estoient ilz las comme pouvres diables et qu’il n’y avoit plus d’olif en ly caleil, ilz ne chevauchoient pas si souvent et se contentoient bien (ientends quant aux hommes) de quelque meschante paillarde foys le iour. Et voylà qui faict les lieues de Bretaigne, d’Elanes, d’Allemaignes, et aultres pays plus esloignez, si grandes. Les aultres mettent d’aultres raisons mais celle là me semble la meilleure. A quoy consentit voulentiers Pantagruel. Partans de Rouen arriverent à Hommefleur où se mirent sur mer Pantagruel, Panurge, Epistemon, Eusthenes, et Carpalim. Auquel lieu attendant le vent propice et calfretant leur nef receut d’une dame de Paris (laquelle il avoit entretenu bonne espace de temps) unes lettres inscrites au dessus. Au plus aymé des belles, et moins loyal des preux, P N T G R L. Laquelle inscription leue il fut bien esbahy, et demandant au messagier le nom de celle qui l’avoit envoyé, ouvrit les lettres et riens ne trouva dedans escript, mais seulement ung aneau d’or avecques ung Dyament en table. Et lors appella Panurge et luy monstra le cas. À quoy Panurge luy dist, que la feuille de papier estoit escripte, mais c’estoit par telle subtilité que l’on n’y veoit point d’escripture. Et pour le sçavoir, la mist aupres du feu pour veoir si l’escripture estoit faicte avecques du sel Ammoniac destrempé en eau. Puis la mist dedans de l’eau pour sçavoir si la letre estoit escripte du suc de Tithymalle. Puis la monstra à la chandelle, si elle estoit point escripte du ius d’oingnons blans. Puis en frotta une partie de huyle de noix, pour veoir si elle estoit point escripte de lexif de figuyer. Puis en frotta ung coing de cendres d’ung nic de Arondelles, pour veoir si elle estoit escripte de la rousée qu’on trouve dedans les pommes de Alicacabut. Puis en frotta ung aultre bout de la sanie des oreilles, pour veoir si elles estoit escripte de fiel de corbeau. Puis les trempa en vinaigre pour veoir si elle estoit escripte de laict d’espurge. Puis les greffa d’ayunge de souriz chauves, pour veoir si elle estoit escripte avecques sperme de baleine qu’on appelle ambre grys. Puis la mist tout doulcement dedans ung bassin d’eau fraische, et soubdain la tira pour veoir si elle estoit escripte avecques alum de plume. Et voyant qu’il n’y congnoissoit riens, appella le messagier et luy demanda. Compaing la dame qui t’a icy envoyé, t’a elle point baillé de baston pour apporter ? pensant que ce feut la finesse que met Aulle Gelle, et le messagier luy respondit. Non monsieur. Adoncques Panurge luy voulut faire raire les cheveulx pour sçavoir si la dame avoit point faict escrire avecques fort moret sur sa teste raise, ce qu’elle vouloit mander : mais voyant que ses cheveulx estoient fort grans, il s’en desista, considerant qu’en si peu de temps ses cheveulx n’eussent pas creuz si longs. Alors dit à Pantagruel. Maistre par les vertuz dieu ie n’y sçauroys que faire ny dire. Ie ay employé pour congnoistre si rien y a icy esté escript, une partie de ce qu’en met Messere Francesco di Nianto le Thuscan qui a escript la maniere de lire lettres non apparentes : et ce que escript Zoroaster peri grammaton acriton. Et Calphurnius bassus de literis illegibilibus, mais ie n’y voy riens, et croy qu’il n’y a aultre chose que l’aneau. Or le voyons. Lors en le regardant trouverent escript par le dedans en hebrieu Lamah hazabtani, dont appellerent Epistemon, luy demandant que c’estoit à dire ? A quoy respondit que c’estoit ung nom hebraicque signifiant, pourquoy me as tu laissé : dont soubdain replicque Panurge, Ientends le cas, voyez vous ce dyament, c’est ung dyament faulx. Telle est doncques l’exposition de ce que veult dire la dame. Dy amant faulx pourquoy m’as tu laissée ? Laquelle exposition entendit Pantagruel incontinent : et luy souvint comment à son departir il n’avoit point dit à dieu à la dame et s’en contristoit, et voulentiers feust retourné à Paris pour faire la paix avecques elle. Mais Epistemon luy reduyt à memoire le departement de Eneas d’avecques Dido, et le dict de Heraclides Tarentin, qu’à la navire restant à l’ancre, quand la necessité presse, il fault coupper la chorde plus tost que perdre temps à la delyer. Et qu’il debvoit laisser tous pensemens pour parvenir à la ville de sa nativité, qui estoit en dangier. De faict une heure apres se leva le vent nommé Nordnordwest auquel ilz donnerent pleines voilles et prindrent la haulte mer, et en briefz iours passans par Porto sancto, et par Medere, firent scalle es isles de Canarre. De là partant passerent par Cap blanco, par Senege, par Cap Virido, par Gambre, par Sagres, par Melli, par le Cap de bona sperantza, piedsmont scalle au royaulme de Melinde, de là partant firent voile au vent de la transmontane, et passant par Meden, par Uti, par Uden, par Gelasim, par les isles des phées, iouxte le royaulme de Achorie, distant de la ville des Amaurotes de troys lieues, et quelque peu davantaige. Et quand ilz furent en terre quelque peu refraischiz. Pantagruel dist. Enfans la ville n’est pas si loing d’icy, devant que marcher oultre il feroit bon de deliberer ce qu’est à faire, affin que ne semblons es Atheniens qui ne consultoient iamais sinon apres le cas. N’estes vous pas deliberez de vivre et mourir avecques moy ? Seigneur ouy, dirent ilz tous, et vous tenez asseuré de nous, comme de voz doigts propres. Or (dist il) il n’y a qu’ung poinct que me tiengne suspend et doubteux, c’est que ie ne sçay en quel ordre, ny en quel nombre sont les ennemys qui tinnent la ville assiegée : car quand ie le sçauroys, ie m’y en iroys en plus grande asseurance, par ce advisons ensemble du moyen comment nous le pourrons sçavoir. À quoy tous ensemble dirent, Laissez nous y aller veoir, et nous attendez icy : car pour tout le iourd’huy nous vous en apporterons nouvelles certaines. Moy, dist Panurge, Ientreprends d’entrer en leur camp par le meillieu des gardes et du guet, et bancqueter avecques eulx à leurs despens, sans estre congneu de nully, et de visiter l’artillerie, les tentes de tous les capitaines et me prelasser par les bandes sans iamais estre descouvert car le diable ne m’affineroit pas, car ie suis de la lignée de Zopyrus. Moy, dist Epistemon, ie sçay tous les stratagemates et prouesses des vaillans capitaines et champions du temps passé, et toutes les ruses et finesses de discipline militaire, ie iray, et encores que feusse descouvert et decelé, ieschapperay en leur faisant croire de vous tout ce que me plaira : car ie suis de la lignée de Sinon. Moy, dist Eusthenes, ie entreray par atravers leurs tranchées, maulgré le guet et tous les gardes : car ie leur passeroy sur le ventre et leur rompray bras et iambes, et feussent ilz aussi fors que le diable : car ie suis de la lignée de Hercules. Moy, dist Carpalim, ie y entreray si les oyseaulx y entrent : car iay le corps tant allaigre que ie auray saulté leurs tranchées et percé oultre tout leur camp, devant qu’ilz me ayent apperceu. Et ne crains ny traict, ny flesche, ny cheval tant fois legier et feusse Pegasus de Perseus, ou Pacollet, que devant eulx ie n’eschappe guaillart et sauf. Ientreprens de marcher sur les espiz de bled, sur l’herbe des prez, sans qu’elle flechisse dessoubz moy : car ie suis de la lignée de Camille Amazone.Comment Panurge, Carpalim, Eusthenes, et Epistemon, compaignons de Pantagruel, desconfirent six cens soixante chevaliers bien subtilement.
Cha. xviinsi qu’il disoit cela ilz vont adviser six cens soixante chevaliers montez à l’advantaige sur chevaulx legiers, legiers, qui accouroient là veoir quelle navire c’estoit qui estoit de nouveau abordée au port, et couroient à bride avallée pour les prendre s’ilz eussent peu. Lors dist Pantagruel. Enfans retirez vous en la navire : car voicy de noz ennemys qui accourent, mais ie vous les tueray icy comme bestes et feussent ilz dix foys autant : ce pendant retirez vous, et en prenez vostre passe temps. Adonc respondit Panurge. Non seigneur, il n’est pas de raison que ainsi faciez : mais au contraire retirez vous en la navire et vous et les aultres. Car moy tout seul les desconfiray icy : mais y ne fault pas tarder, avancez vous. A quoy dirent les aultres, c’est bien dist. Seigneur retirez vous, et nous ayderons icy Panurge, et vous congnoistrez que nous sçavons faire. Adoncq Pantagruel dist. Or ie le veulx bien, mais au cas que feussiez les plus foybles, ie ne vous fauldray. Alors Panurge tira deux grandes chordes de la nef, et les atacha au tour qui estoit sur le tillac, et les mist en terre et en fist ung long circuyt, l’ung plus loin, l’aultre dedans cestuy là. Et dist à Epistemon, entre vous en dedans la navire, et quand ie vous sonneray tournez le tour diligentement en ramenant à vous ces deux chordes. Puis dist à Eusthenez et à Carpalim. Enfans attendez icy et vous offrez à ces ennemys franchement, et obtemperez à eulx et faictes semblant de vous rendre : mais advisez, que n’entrez point au cerne de ces chordes, retirez vous tousiours hors. Et incontinent entra dedans la navire, et print ung fes de paille et une botte de pouldre de canon et l’espandit par le cerne des chordes, et à tout une migraine de feu se tint aupres. Tout soubdain arriverent à grande force les chevaliers, et les premiers chocquerent iusques au pres de la navire, et par ce que le rivage glissoit, tumberent eulx et leurs chevaulx iusques au nombre de quarante et quatre. Quoy voyans les aultres approcherent pensans qu’on leur eust resisté à l’arrivée. Mais Panurge leur dist. Messieurs ie croy que vous soyez faict mal, pardonnez le nous : car ce n’est pas de nous, mais c’est de la lubricité de l’eau de mer, qui est tousiours unctueuse. Nous nous rendons à vostre bon plaisir : autant en dirent les deux compaignons et Epistemon qui estoit sur le tillac, et ce pendant Panurge s’esloignoit et veoit que tous estoient dedans le cerne des chordes, et que ses deux compaignons s’en estoient esloignez faisant place à tous ces chevalliers qui à foulle alloient pour veoir la nef et qui estoit dedans, dont tout soubdain crya à Epistemon, tire tire. A quoy Epistemon commença de tirer au tour, et les deux chordes se vont empestrer entre les chevaulx et les ruyoent par terre bien aysement avecques les chevaucheurs : mais eulx ce voyant tirerent à l’espée et les vouloient desfaire, dont Panurge met le feu en la trainée et les fist tous là brusler comme ames damnées, hommes et chevaulx nul n’en eschappa, exepté ung qui estoit monté sur un cheval turcq, qui gaingnoit à fuyr : mais quand Carpalim l’apperceut, il courut apres en telle hastiveté et allaigresse qu’il le attraipa en moins de cent pas, et saultant sur la croupe de son cheval l’embrassa par derriere et l’amena en la navire. Ceste desconfiture parachevée Pantagruel fut bien ioyeux, et loua merveilleusement l’industrie de ses compaignons, et les fit refraischir et bien repaistre sur le rivage ioyeusement et boire d’autant le ventre contre terre, et leur prisonnier avecques eulx familierement : sinon que le pouvre diable n’estoit point asseuré que Pantagruel ne le devorast tout entier, ce qu’il eust faict, tant il avoit la gorge large, aussi facilement que feriez ung grain de dragée, et ne luy eust monstré en sa bouche non plus qu’ung grain de mil en la gueulle d’ung asne. Ainsi qu’ilz bancquetoient Carpalim dist. Et ventre sainct Quenet ne mangerons nous iamais de venaison ? Ceste chair sallée me altere tout. Ie m’en voys vous apporter icy une cuysse de ces chevaulx que avons faict brusler, elle sera assez bien roustie. Tout ainsi qu’il se levoit pour ce faire apperceut à l’orée du boys ung beau grand gras chevreul, qui estoit yssu du fort voyant le feu de Panurge, à mon advis. Et incontinent se mist apres à courir de telle roiddeur, qu’il sembloit que feust ung carreau d’arbaleste, et l’atrapa en moins d’ung riens, et en courant tua des pieds dix ou douze que chevraulx que lapins qui ià estoient hors de page. Doncq il frappa le chevreul de son malcus à travers la teste et le tua, et en l’apportant recueillit ses levraulx. Et de tant loing que peust estre ouy, il s’escrya, disant. Panurge mon amy, vinaigre vinaigre. Dont pensoit le bon Pantagruel, que le cueur luy fit mal, et commanda qu’on luy apprestat du vinaigre : mais Panurge entendit bien, qu’il y avoit levrault au croc, et de faict le monstra au noble Pantagruel comment il portoit à son col ung beau chevreul et toute sa ceinture brodée de levraulx. Incontinent Epistemon fist deux belles broches de boys à l’anticque et Eusthenes aydoit à escorcher. Et Panurge mist deux belles selles d’armes des chevaliers en tel ordre qu’elles servirent de landiers, et firent leur roustisseur de leur prisonnier : et au feu où brusloient les chevaliers, firent roustir leur venaison. Et apres grand chere à force vinaigre, au diable l’ung qui se faignoit, c’estoit triumphe de les veoir bauffrer. Lors dist Pantagruel, pleut à dieu que chascun, de vous eussent deux paires de sonnettes de sacre au menton, et que ie eusse au mien les grosses horologes de Renes, de Poictiers, de Tours, et de Cambray, pour veoir l’aubade que nous donnerions au remuement de noz badigoinces. Mais, dist Panurge, il vault mieulx penser de nostre affaire ung peu, et par quel moyen nous pourrons venir au dessus de noz ennemys. C’est bien advisé, dist Pantagruel. Et pourtant demanda à leur prisonnier. Mon amy, dys nous icy la verité et ne nous mens en riens, si tu ne veulz estre escorché tout vif : car c’est moy qui mange les petitz enfans. Contes nous entierement l’ordre, le nombre, et la forteresse de l’armée. A quoy respondit le prisonnier. Seigneur sachez pour la verité qu’en l’armée y a troys cens geans tous armez de pierre de taille grans à merveilles, toutesfoys non tant du tout que vous, excepté ung qui est leur chef, et a nom Loupgarou, et est tout armé d’enclumes Cyclopicques. Il y a cent soixante et troys mille pietons tout armez de peaulx de lutins, gens fors et courageux : troys mille quatre cens homme d’armes, troys mille six cens doubles canons, et d’espingarderie sans nombre : quatre vingt quatorze mille pionniers : quatre cens cinquante mille putains belles comme deesses (voylà pour moy dist Panurge) dont les aulcunes sont Amazones, les autres Lyonneses, les aultres Parisiennes, Tourangelles, Angevines, Poictevines, Normandes, Allemandes, de tous pays et toutes langues y en a. Voire mais (dist Pantagruel) le roy y est il ? Ouy seigneur, dist le prisonnier, il y est en personne : et nous le nommons Anarche roy des Dipsodes, qui valent autant à dire comme gens alterez : car vous ne veistes oncques gens tant alterez, ny beuvans plus voulentiers. Et a sa tente en la garde des geans. C’est assez, dist Pantagruel. Sus enfans n’estes vous pas deliberez d’y venir avecques moy ? À quoy respondit Panurge. Dieu confonde qui vous laissera. Iay ià pensé comment ie vous les rendray tous mors comme porcs, qu’il n’en eschappera au diable le iarret. Mais ie me soucye quelque peu d’ung cas. Et qu’est ce ? dist Pantagruel. C’est, dist Panurge, comment ie pourray avanger à braquemarder toutes les putains qui y sont en ceste apres disnée, qu’il n’en eschappe pas une, que ie ne passaige en forme commune. Ha ha ha, dist Pantagruel. Et Carpalim dist. Au diable de biterne, par dieu ien embourreray quelqu’une. Et moy, dist Eusthenes, quoy ? qui ne dressay oncques puis que bougeasmes de Rouen, au moins que l’agueille montast sur les dix ou unze heures, voire encores que l’aye dur et fort comme cent diables. Vrayment, dist Pantagruel, tu en auras des plus grasses et des plus refaictes. Comment dist Epistemon, tout le monde chevauchera et ie meneray l’asne, le diable emport qui en fera riens. Nous ferons du droict de guerre, qui potest capere capiat. Et le bon Pantagruel ryoit à tout, puis leur dist. Vous comptez sans vostre hoste. Iay grand peur que devant qu’il soit nuict, ie ne vous voye en estat, que n’aurez pas grand envie d’arresser, et qu’on vous chevauchera à grand coup de picque et de lance. Non non, dist Epistemon. Ie vous les rends à roustir ou bouillir, à fricasser ou mettre en pasté. Ilz ne sont pas si grand nombre comme estoit Xerces : car il avoit trente cens mille combatans si croyez Herodote et Troge Pompone. Et toutesfois Themistocles à peu de gens les desconfit. Ne vous souciez pour dieu. Merde merde, dist Panurge. Ma seule braguette espoussetera tous les hommes, et sainct Balletrou qui dedans y repose, decrottera toutes les femmes. Sur doncques enfans, dist Pantagruel, commençons à marcher.Comment Pantagruel erigea ung Trophée en memoire de leur prouesse, et Panurge ung aultre en memoire des levraulx. Et comment Pantagruel de ses petz engendroit les petiz hommes, et de ses vesnes les petites femmes. Et comment Panurge rompit ung gros baston sur deux verres.
Chapitre. xviiEVANT que partons d’icy, dist Pantagruel, en memoire de la prouesse que avez presentement faict ie veulx eriger en ce lieu ung beau Trophée. Adoncques ung chascun d’entre eulx en grand liesses et petites chansonnettes villaticques dresserent ung grand boys, auquel y pendirent une selle d’armes, ung chamfrain de cheval, des pompes, des estrivieres, des esperons, ung haubert, ung hault appareil asseré, une hasche, ung estoc d’armes, ung gantelet, une masse, des goussetz, des greues, ung gorgery, et aussi de tout appareil requis à ung Arc triumphal ou Trophée. Puis en memoire eternelle escrivit Pantagruel le dicton victorial, comme s’ensuyt.
Ce fut icy que apparut la vertuz
De quatre preux et vaillans champions,
Qui non d’harnoys, mais de bon sens vestuz
Comme Fabie, ou les deux Scipions,
Firent six cens soixante morpions
Puissans ribaulx, brusler comme une escorce :
Prenez y tous roys, ducz, rocz, et pions
Enseignement, que engin mieulx vault que force.
Car la victoire
Comme est notoire,
Ne gist qu’en heur.
Du consistoire,
Où regne en gloire
Le hault seigneur,
Vient, non au plus fort ou greigneur :
Mais à qui luy plaist, com fault croire :
Doncq a et chevance et honneur
Cil qui par foy en luy espoire.
En ce pendant que Pantagruel escrivoit les carmes susdictz Panurge emmancha en ung grand Pal les cornes du chevreul, et la peau, et le pied droict de devant d’iceluy. Puis les oreilles de troys levraulx, et le rable d’ung lapin, les manidbules d’ung lievre, une guedofle de vinaigre, une corne où ilz mettoient le sel, leur broche de boys, une lardouere, ung meschant chaudron tout pertuysé, une breusse où ilz saulsoient, une saliere de terre, et ung goubelet de Beauvoys. Et en imitation des vers et Trophée de Pantagruel escrivit ce que s’ensuyt.
Ce fut icy, que à l’honneur de Bacchus
Fut bancqueté par quatre bons pyons :
Qui gayement, tous mirent abaz culz
Soupples de rains comme beaux carpions :
Lors y perdit rables et cropions
Maistre levrault, quand chascun si efforce :
Sel et vinaigre, ainsi que Scorpions
Le poursuyvoient, dont en eurent l’escorce.
Car l’inventoire
D’ung defensoire
En la chaleur,
Ce n’est qu’à boire
Droit et net, boire
Et du meilleur :
Mais manger levrault, c’est malheur
Sans de vinaigre avoir memoire :
Vinaigre est son ame et valeur,
Retenez le en point peremptoire.
Lors dist Panstagruel. Allons enfans, c’est trop musé icy à la viande : car à grand peine voit on arriver, que grans bancqueteurs facent beaux faictz d’armes. Il n’est umbre que d’estandart, il n’est fumée que de chevaulx, et n’est clycquetis que de harnoys. A quoy respondit Panurge. Il n’est umbre que de cuysine. Il n’est fumée que de tetins, et n’est clycquetis que de couillons. Puis se levant fist ung pet, ung sault, et ung sublet, et crya à haulte voix ioyeusement : vive tousiours Pantagruel. Ce que voyant Pantagruel en voulut autant faire, mais du pet qu’il fist, il engendra plus de cinquante mille petitz hommes nains et contrefaictz : et d’une vesne engendra autant de petties femmes acropies comme vous en voyez en plusieurs lieux, qui iamais ne croissent, sinon comme les quehues de vache, contre bas, ou bien comme les rabbes de Lymousin, en rond. Et quoy, dist Panurge, vos petz sont ilz tant fructueux ? Par dieu voicy de belles savates d’hommes, et de belles vesses de femmes, il les fault marier ensemble. Ils engendreront des mousches bovynes. Ce que fist Pantagruel : et les nomma Pygmées. Et les envoya vivre en une ville là aupres, où ilz se sont fort multipliez depuis. Mais les Grues leur font continuellement la guerre. Desquelles ilz se defendent courageusement, car ces petitz boutz d’hommes (lesquelz en Escosse l’on appelle manches d’estrilles) sont voulentiers cholericques. La raison physicale est par ce qu’ilz ont le cueur pres de la merde. En ceste mesme heure Panurge print deux verres qui là estoient tous deux d’une grandeur, et en mist l’ung sur une escabelle, et l’aultre sur une aultre les esloignant à part par la distance de cinq pieds puis apres print le futz d’une iaveline de la grandeur de cinq pieds et demy, et le mist dessus les deux verres, en sorte que les deux boutz du futz touchoient iustement les bors des verres. Cela faict print ung gros pau, et dist à Pantagruel et es aultres. Messieurs considerez comment nous aurons victoire facilement de nos ennemys. Car tout ainsi comme ie rompray ce futz icy dessus les verres sans que les verres en soient en riens rompuz ny brisez, encores qui plus est, sans qu’une seulle goutte d’eau en sorte dehors : tout ainsi nous romprons la teste à nos Dipsodes, sans ce que nul de nous soit blessé, et sans perte aulcune de noz besoignes. Mais affin que ne pensez qu’il y ait enchantement, tenez, dist il à Eusthenes, frappez de ce pau tant que pourrez au meillieu. Ce que fist Eusthenes, et le futz rompit en deux pieces tout net, sans qu’une goutte d’eau tombast des verres. Puis dist, ien sçay bien d’aultres, allons seulement en asseurance.
Comment Pantagruel eut victoire bien estrangement des Dipsodes, et des geans.
Cha. xviiiPRES tous ces propos Pantagruel appella leur prisonnier et le renvoya, disant. Va t’en à ton roy en son camp, et luy dys nouvelles de ce que tu as veu, et qu’il delibere de me festoyer demain sur le midy : car incontinent que mes galleres seront venues, qui sera de matin au plus tard. Ie luy prouveray par dix huyct cens mille combatans et sept mille geans tous plus plus grans que tu ne me veoys, qu’il a faict follement et contre raison de affaiblir ainsi mon pays. En quoy faingnoit Pantagruel qu’il eust son armée sur mer. Mais le prisonnier respondit qu’il se rendoit son esclave et qu’il estoit content de iamais ne retourner à ses gens, mais plus tost combatre avecques Pantagruel contre eulx, et pour dieu qu’ainsi le permist. A quoy Pantagruel ne voulut consentir, ains luy commanda que partist de là briesvement et allast ainsi qu’il avoit dist : et luy bailla une boette pleine de euphorbe et de grains de coccognide, luy commandant la porter à son roy et luy dire que s’il en povoit manger une once sans boire, qu’il pourroit à luy resister sans peur. Adonc le prisonnier le supplya à ioinctes mains qu’à l’heure de la bataille il eust de luy pitié, dont luy dist Pantagruel. Apres que tu auras annoncé à ton roy, Ie ne te dys pas comme les caphars Ayde toy dieu te aydera : car c’est au rebours ayde toi, le diable te rompra le col. Mais ie te dys, metz tout ton espoir en dieu, et il ne te delaissera point. Car de moy encores que soye puissant comme tu peuz veoir, et aye gens infiniz en armes, toutesfois ie n’espere point en ma force, ny en mon industrie : mais toute ma fiance est en dieu mon protecteur, lequel iamais ne delaisse ceulx qui en luy ont mys leur espoir et pensée. Ce faict, le prisonnier s’en alla : et Pantagruel dist à ses gens. Enfans iay donné à entendre à ce prisonnier que nous avons armée sur mer, ensemble que nous ne leur donnerons l’assault que iusques à demain sur le midy, à celle fin qu’eulx doubtans la grande venue de gens, cette nuyct se occupent à mettre en ordre et soy remparer : mais en ce pendant mon intention est que nous chargeons sur eulx environ l’heure du premier somme. Mais laissons icy Pantagruel avecques les Apostoles. Et parlons du roy Anarche et de son armée. Quand doncques le prisonnier fut arrivé il se transporta vers le Roy, et luy compta comment il estoit venu ung grand geant nommé Pantagruel qui avoit desconfit et faict roustir cruellement tous les six cens cinquante et neuf chevaliers, et luy seul estoit saulve pour en porter les nouvelles. Davantaige avoit charge dudict geant de luy dire qu’il luy aprestast au lendemain sur le midy à disner : car il se deliberoit de le envahir à ladicte heure. Puis luy bailla celle boette ou estoient les confictures. Mais tout soubdain qu’il en eut avallé une cueillerée il luy vint ung tel chauffement de gorge avecques ulceration de la luette, que la langue luy pela. Et pour le remede ne trouva allegement quiconques sinon de boire sans remission : car incontinent qu’il ostoit le goubelet de la bouche, la langue luy brusloit. Par ainsi l’on ne faisoit que luy entonner vin avecques ung embut. Ce que voyans les capitaines Baschatz, et gens de garde, tastirent desdictes drogues pour esprouver si elles estoient tant alteratives : mais y leur en print comme à leur Roy. Et tous se mirent si bien à flaconner, que le bruyt en vint par tout le camp, comment le prisonnier estoit de retour, et qu’ilz debvoient avoir au lendemain l’assault, et qu’à ce ià se preparoit le roy et les capitaines ensemble les gens de la garde, et ce par boire à tyrelarigot. Parquoy ung chascun de l’armée se mist à martiner, chopiner, et tringuer de mesmes. Somme ilz beurent si bien, qu’ilz s’endormirent comme porcz sans nul ordre parmy le camp.Or maintenant retournons au bon Pantagruel, et racomptons comment il se porta en cest affaire. Partant du lieu du Trophée, print le mast de leur navire en sa main comme ung bourdon, et mist dedans la hune deux cens trente et sept poinsons de vin blanc d’Aniou du reste de Rouen, et atacha à sa ceincture la barque tout pleine de sel aussi aysement comme les lansquenests portent leurs petitz peniers. Et ainsi se mist à chemin avecques ses compaignons. Et quand il fut pres du camp des ennemys, Panurge luy dist. Seigneur voulez vous bien faire ? Devallez ce vin blanc d’Aniou de la hune, et beuvons icy à la Tudesque. A quoy se condescendit voulentiers Pantagruel, et beurent si bien qu’il n’y demoura la seule goutte des deux cens trente et sept poinsons excepté une ferriere de cuir bouilly de Tours que Panurge emplyt pour soy : Car il l’appeloit son vademecum, et quelques meschantes baissieres pour le vinaigre. Apres qu’ilz eurent bien tiré au chevrotin, Panurge donna à manger à Pantagruel quelque diable de drogues composées de trochitz d’alkekangi et de cantharides et aultres especes diureticques. Ce faict Pantagruel dist à Carpalim, Allez vous en la ville en gravant comme ung rat la muraille, comme bien sçavez faire, et leur dictes qu’à heure presente ilz sortent et donnent sur les ennemys tant roiddement qu’ilz pourront : et ce dit, descendez vous en, prenant une torche allumée, avecques laquelle vous mettrez le feu dedans toutes les tentes et pavillons du camp : et ce faict, vous cryerez tant que pourrez de vostre grosse voix, qui est plus espovantable que n’estoit celle de Stentor qui fut ouy par sur tout le bruit de la bataille des Troyans, et vous en partez dudict camp. Voire mais, dist Carpalim, seroit ce pas bon que ie enclouasse toute leur artillerie ? Non non, dist Pantagruel, mais bien mettez le feu en leur pouldres. A quoy obtemperant Carpalim partit soubdain et fist comme avoit esté decreté par Pantagruel, et sortirent de la ville tous les combatans qui y estoient. Et lors qu’il eut mys le feu par les tentes et pavillons, passoit legierement par sur eulx sans qu’ilz en sentissent rien tant ilz ronfloient et dormoient parfondement. Il vint au lieu où estoit l’artillerie et mist le feu en leurs munitions. Mais, o la pitié, le feu fut si soubdain qu’il cuyda embraser le pouvre Carpalim. Et n’eust esté sa merveilleuse hastiveté et celerité, il estoit fricassé : mais il s’en partit si roiddement qu’ung carreau d’arbaleste ne va pas plus tost. Et quand il fut hors des tranchées il s’escrya si espovantablement, qu’il sembloit que tous les diables feussent deschainés. Auquel son s’esveillerent les ennemys, mais sçavez vous comment ? aussi estourdys que le premier son de matines, qu’on appelle en Lussonoys, frotecouille. Et ce pendant Pantagruel commença à semer le sel qu’il avoit en sa barque, et par ce qu’ilz dormoient la gueule baye et ouverte, il leur en remplit tout le gouzier, tant que ces pouvres haires toussissoient comme regnards, cryans. Ha Pantagruel, tant tu nous chauffes le tizon. Mais tout soubdain print envie à Pantagruel de pisser, à cause des drogues que luy avoit baillé Panurge, et pissa parmy leur camp si bien et copieusement qu’il les noya tous : et y eut deluge particulier dix lieues à la ronde. Et dit l’histoire, que si la grand iument de son pere y eust esté et pissé pareillement, qu’il y eust eu deluge plus enorme que celluy de Deucalion : car elle ne pissoit foys qu’elle ne fist une riviere plus grande que n’est le Rosne. Ce que voyans ceulx qui estoient issuz de la ville, disoient. Ilz sont tous mors cruellement, voyez le sang courir. Mais ilz y estoient trompez, pensans de l’urine de Pantagruel que feust le sang des ennemys : car ilz ne le veoyent sinon au lustre du feu des pavillons et quelque peu de clarté de la lune. Les ennemys apres soy estre reveillez voyans d’ung cousté le feu en leur camp, et l’inundation et deluge urinal, ne sçavoient que dire ny que penser. Aulcuns disoient que c’estoit la fin du monde et le iugement final, qui doibt estre consommé par le feu : les aultres, que les dieux marins, Neptune et les aultres, les persecutoient : et de faict c’estoit eau marine et sallée. Ô qui pourra maintenant racompter comment se porta Pantagruel contre les troys cens geans. Ô ma muse, ma Calliope, ma thalye, inspire moy à ceste heure, restaure mes espritz : car voicy le pont aux asnes de Logicque, voicy le tresbuchet, voicy la difficulté de povoir exprimer l’horrible bataille qui fut faicte. À la mienne voulenté que ie eusse maintenant ung boucal du meilleur vin que beurent iamais ceulx qui liront ceste histoire tant veridicque.
Comment Pantagruel deffit les troys cens geans armez de pierre de taille, Et Loupgarou leur capitaine.
Cha. xixES geans voyans que tout leur camp estoit submergé, emporterent leur roy Anarche à leur col le mieulx qu’ilz peurent hors du fort, comme fist Eneas son pere Anchises de la conflagration de Troye. Lesquelz quand Panurge apperceut, dist à Pantagruel. Seigneur voilà les geans qui sont issuz, donnez dessus de vostre mast à la vieille escrime. Car c’est à ceste heure qu’il se fault monstrer homme de bien. Et de nostre cousté nous ne vous fauldrons point. Et hardiment que ie vous en tueray beaucoup. Car quoy ? David tua bien Goliath facillement. Moy doncques qui en battroys douze telz qu’estoit David : car en ce temps là ce n’estoit qu’ung petit chiart, n’en defferay ie pas bien une douzaine. Et puis ce gros paillard de Eusthenes qui est fort comme quatre bœufz, ne s’y espargnera pas. Prenez courage, chocquez à travers d’estoc et de taille. Or, dist Pantagruel, de couraige ien ay pour plus cinquante frans. Mais quoy ? Hercules ne osa iamais entreprendre contre deux. C’est, dist Panurge, bien chien chié en mon nez, vous comparez vous à Hercules ? vous avez plus de force aux dentz, et plus de sens au cul, que n’eut iamais Hercules en tout son corps et ame. Autant vault l’homme comme il s’estime. Et ainsi qu’ilz disoient ces parolles, voicy arriver Loupgarou avecques tous ses geans. Lequel voyant Pantagruel tout seul fut esprins de temerité et oultrecuydance, par espoir qu’il avoit de occire le pouvre Pantagruel, dont dist à ses compaignons geans. Paillars de plat pays, par Mahon si nul de vous entreprent de combatre contre ceulx qui sont icy, ie vous feray mourir cruellement. Ie veulx que me laissez combatre tout seul : ce pendant vous aurez vostre passetemps à nous regarder. Adonc se retirerent tous les geans avecques leur roy là aupres où estoient les flaccons, et Panurge et ses compaignons avecques eulx, qui contrefaisoit ceulx qui ont eu la verolle : car il tortoit la gueule et retiroit les doigts, et en parolle enrouée leur dist. Ie renye dieu compaignons, nous ne faisons point la guerre, donnez nous à repaistre avecques vous ce pendant que nos maistres s’entrebattent. À quoy voulentiers le roy et les geans se consentirent, et les firent bancqueter avecques eulx. Et ce pendant Panurge leur contoit des fables, et les exemples de sainct Nicolas. Alors Loupgarou s’adressa à Pantagruel avecques une masse toute d’acier pesante neuf mille sept cens quintaux d’acier de Calibbes, au bout de laquelle y avoit treize poinctes de dyamens, dont la moindre estoit aussi grosse comme la plus grand cloche de nostre dame de Paris, il s’en failloit par avanture l’espesseur d’ung ongle, ou au plus que ie mente, d’ung doz de ces couteaulx qu’on appelle couppeoreille : mais pour ung petit, ne avant ne arriere. Et estoit phée en la maniere que iamais ne povoit rompre, mais au contraire, tout ce qu’il en touchoit rompait incontinent. Ainsi doncques comme il approchoit en grand fierté, Pantagruel iectant les yeulx au ciel se recommanda à dieu de bien bon cueur, faisant veu tel comme s’ensuyt. Seigneur dieu qui tousiours a esté mon protecteur et mon servateur, tu voys la destresse en laquelle ie suis maintenant. Riens icy ne me amene, sinon zele naturel comme tu as concedé es humains de garder et defendre soy, leurs femmes, enfans, pays, et famille en cas que ne seroit ton negoce propre, qui est la foy : car en tel affaire tu ne veulx nul coadiuteur : sinon de confession catholicque, et ministere de ta parolle : et nous as defenduz toutes armes et defenses : car tu es le tout puissant, qui en ton affaire propre, et où ta cause propre est tirée en action, te peulx defendre trop plus qu’on ne sçauroit estimer : toy qui as milliers de centaines de millions de legions d’anges, duquel le moindre peut occire tous les humains, et tourner le ciel et la terre à son plaisir, comme bien appareut en l’armée de Sennacherib. Doncques s’il te plaist à ceste heure me estre en ayde comme en toy seul est ma totalle confiance et espoir, Ie te fays veu que par toutes contrées tant de ce pays de Utopie que d’ailleurs où ie auray puissance et auctorité, Ie feray prescher ton sainct Evangile, purement, simplement, et entierement, si que les abuz d’ung tas de papelars et faulx prophetes, qui ont par constitutions humaines et inventions depravées envenimé tout le monde, seront d’entour moy exterminées. Et alors fut ouye une voix du ciel, disant. Hoc fac, et vinces : c’est à dire. Fays ainsi, et tu auras victoire. Ce faict voyant Pantagruel que Loupgarou approchoit la gueulle ouverte, vint contre luy hardiment et s’escrya tant qu’il peut. À mort ribault à mort, pour luy faire peur, selon la discipline des Lacedemoniens, par son horrible cry. Puis luy getta la barque, qu’il portoit à sa ceincture, plus de dix et huit cacques de sel, dont il luy emplit et gorge et gouzier, et le nez et les yeulx. Dont irrité Loupgarou luy lancea ung coup de sa masse, luy voulant rompre la cervelle. Mais Pantagruel fut abille et eut tousiours bon pied et bon œil, par ce demarcha du pied gauche ung pas en arriere, mais il ne sceut si bien faire que le coup ne tombast sur sa barque, laquelle rompit en six pieces et versa le reste du sel en terre. Quoy voyant Pantagruel desploya ses bras et comme est l’art de la hasche, luy donna du gros bout de son mast, en estoc au dessus de la mamelle, et retirant le coup à gauche en taillade luy frapa entre col et collet, puis avanceant le pied droict luy donna sur les couillons ung pied du hault bout de son mast, à quoy rompi la hune, et versa troys ou quatre poinssons de vin qui estoient de reste. Dont Loupgarou pensa qu’il luy incisé la vessie, et du vin que ce feut son urine qui en sortit. De ce non content Pantagruel vouloit redoubler au coulouer : mais Loupgarou haulsant sa masse avancea son pas sur luy, et de toute sa force la vouloit enfoncer sur Pantagruel, et de faict en donna si vertement que si Dieu n’eust secouru le bon Pantagruel, il l’eust fendu despuis le sommet de la teste iusques la ratelle : mais le coup declina à droict par la brusque hastiveté de Pantagruel. Et entra sa masse plus de soixante pieds en terre à travers ung gros rochier dont il feit sortir le feu plus gros qu’ung tonneau. Ce que voyant Pantagruel, qu’il s’amusoit à tirer ladicte masse qui tenoit en terre entre le roc, luy court sus, et luy vouloit avaler la teste tout net : mais son mast de male fortune toucha ung peu au fust de la masse de Loupgarou qui estoit phée (comme avons dit devant) par ce moyen son mast luy rompit à troys doigts de la poignée. Dont il feut plus estonné qu’ung fondeur de cloches, et s’escrya. Ho Panurge où es tu ? Ce que ouyant Panurge, dist au roy et aux geans. Par dieu ilz se feront mal, qui ne les . despartira Mais les geans en estoient ayses comme s’ilz feussent de nopces. Lors Carpalim se voulut lever de là pour secourir son maistre : mais ung geant luy dist. Par Goulfarin nepveu de Mahon, si tu bouges d’icy ie te mettray au fons de mes chausses comme on faict d’ung suppositoire, aussi bien suis ie constipé du ventre, et ne peulx gueres cagar : sinon à force de grincer des dentz. Puis Pantagruel ainsi destitué de baston, reprint le bout de son mast, en frappant torche lorgne, dessus le geant, mais il ne luy faisait mal en plus que feriez baillant une chiquenaude sus ung mail de forgeron : et ce pendant Loupgarou tiroit de terre sa masse et l’avoit ià tirée et la paroit pour en ferir Pantagruel : mais Pantagruel qui estoit soubdain au remuement declinoit tous les coups, iusques à ce qu’une foys voyant que Loupgarou le menassoyt, disant. Meschant à ceste heure te hascheray ie comme chair à patez. Iamais tu ne altereras les pouvres gens, luy frappa du pied ung grand coup contre le ventre, qu’il le getta en arriere à iambes redindaines, et vous le trainoit ainsi à l’escorche cul plus d’ung trait d’arc. Et Loupgarou s’escryoit rendant le sang par la gorge, Mahon, Mahon, Mahon. À laquelle voix se leverent tous les geans pour le secourir. Mais Panurge leur dist, Messieurs n’y allez pas si m’en croyez : car nostre maistre est fol et frappe à tors et à travers, et ne regarde point où, il vous donnera malencontre. Mais les geans n’en tindrent contre, voyans que Pantagruel estoit sans baston : et comme ilz approchoient, Pantagruel print Loupgarou par les deux pieds, et du corps de Loupgarou armé d’enclumes frappoit parmy ces geans armez de pierres de taille, et les abattoit comme ung maçon faict de couppeaulx, que nul n’arrestoit devant luy qu’il ne ruast contre terre, dont à la rupture de ces harnoys pierreux fut faict ung si horrible tumulte, qu’il me souvint, quand la grosse tour de beurre qui estoit à sainct Estienne de Bourges, fondit au soleil. Et Panurge ensemble Carpalim et Eusthenes ce pendant esgorgetoient ceux qui estoient portez par terre. Faictes vostre compte qu’il n’en eschappa ung seul et à veoir Pantagruel sembloit ung faulcheur, qui de la faulx (c’estoit Loupgarou) abbatoit l’herbe d’un pré (c’estoient les geans). Mais à ceste escrime, Loupgarou perdit la teste, ce feut, quand Pantagruel en abbatit ung, qui avoit nom Moricault, qui estoit armé à hault appareil, c’estoit de pierres de gryphon, dont ung esclat couppa la gorge tout oultre à Epistemon : car aultrement la plus part d’entre eulx estoient armez à la legiere, c’estoit de pierres de tuffe, et les aultres de pierre ardoysine. Finablement voyant que tous estoient mors, getta le corps de Loupgarou tant qu’il peut contre la ville, et en tombant du coup tua ung chat bruslé, une chatte mouillée, une canne petiere, et ung oyson bridé.Comment Epistemon qui avoit la teste tranchée, fut guery habillement par Panurge. Et des nouvelles des diables, et de damnez.
Cha. xxESTE desconfite gygantale parachevée Pantagruel se retira au lieu des flaccons, et appela Panurge et les aultres, lesquelz se rendirent à luy sains et saulves, excepté Eusthenes qu’ung des geans avoit esgratigné quelque peu au visaige, ainsi qu’il l’esgorgetoit. Et Epistemon qui ne comparoit point. Dont Pantagruel fut si dolent qu’il se voulut tuer soymesmes, mais Panurge luy dist. Dea seigneur attendez ung peu, nous le chercherons entre les mors, et verrons la verité du tout. Ainsi doncques comme ilz cherchoient, ilz le trouverent tout roidde mort et la teste entre ses bras toute sanglante. Dont Eusthenes s’escrya. Ha male mort, nous as tu tollu le plus parfaict des hommes. A laquelle voix se leva Pantagruel au plus grand deuil qu’on veit iamais au monde : mais Panurge dist. Enfans ne pleurez point, il est encores tout chault. Ie vous le gueriray aussi sain qu’il fut iamais. Et ce disant print la teste et la tint sus sa braguette chauldement qu’elle ne print vent, et Eusthenes et Carpalim porterent le corps au lieu où ilz avoient bancquetté : non par espoir que iamais guerist, mais affin que Pantagruel le veist. Toutesfois Panurge les reconfortoit, disant. Si ie ne le guerys ie veulx perdre la teste (qui est le gaige d’ung fol) laissez ces pleurs et me aydez. Adonc nettoya tresbien de beau vin blanc le col, et puis la teste : et y synapiza de pouldre de Aloes qu’il portoit tousiours en une de ses fasques : apres les oignit de ie ne sçay quel oingnement, et les aiusta iustement vene contre vene, nerf contre ner, spondyle contre spondyle, affin qu’il ne feut torty colly (car telz gens il hayssoit de mort) et ce faict luy fist deux ou troys poins de agueille, affin qu’elle ne tombast de rechief : puis mist à l’entour ung peu de unguent, qu’il appelloit resuscitatif. Et soubdain Epistemon commença à respirer, puis à ouvrir les yeulx, puis à baisler, puis à esternuer, puis feist ung gros pet de mesnage, dont dist Panurge, à ceste heure il est guery asseurement : et luy bailla à boire d’ung grand villain roustie succrée. En ceste façon fut Epistemon guery habilement, excepté qu’il fut enroué plus de troys sepmaines, et eut ung toux seiche, dont il ne peut oncques guerir, sinon à force de boire. Et là commença parler, disant. Qu’il avoit veu les diables, et avoit parlé à Lucifer familierement, et faict grand chere en enfer, et par les champs Elisées. Et asseuroit devant tous que les diables estoient bons compaignons. Et au regard des damnez, il dist, qu’il estoit bien marry de ce que Panurge l’avoit si tost revocqué en vie. Car ie prenoys, dist il, ung singulier passetemps à les veoir. Comment ? dist Pantagruel. L’on ne les traicte pas, dist Epistemon, si mal que vous penseriez, mais leur estat est changé en estrange façon. Car ie veis Alexandre le grand qui repetassoit de vieilles chausses, et ainsi gaignoit sa vie. Xerces cryoit la moustarde. Darius estoit cureur de retraictz. Scipion Africain cryoit la lye en ung sabot. Pharamond estoit lanternier. Hannibal estoit coquetier. Priam vendoit les vieulx drapeaulx. Lancelot du lac estoit escorcheur de chevaulx mors. Tous les chevaliers de la table ronde estoient pouvres gaignedeniers à tirer à la ramer et passer les rivieres de Coccytus, Phlegeton, Styx, Acheron, Lethé, quand messieurs les diables se veulent esbattre sur l’eau comme font les bastelieres de Lyon et Venize. Mais pour chascune passade ilz n’en ont qu’une nazarde, et sus le soir quelque morceau de pain chaumeny. Les douze pers de France sont là et ne font riens que ie aye veu, mais ilz gaignent leur vie à endurer force plameuses, chinquenaudes, alouettes, et grans coups de poing sus les dentz. Neron estoit vielleux, et Fierabras estoit son varlet mais il luy faisoit mille maulx, et luy faisoit manger le pain bis, et boire le vin poulsé : et luy mangeoit et buvoit du meilleur. Iason et Pompée estoient goildronneurs de navires. Valentin et Orson servoient aux estuves d’enfer, et estoient racletoretz. Giglan et Gauvain estoient pouvres porchiers. Geoffroy à la grand dent estoit allumetier. Godeffroy de Billon estoit dominotier. Dom Pietre de Castille porteur de rogatons. Morgant brasseur de byere. Huon de Bourdeaulx estoit relieur de tonneaulx. Iulles Cesar souillart de cuisine. Antiochus estoit ramonneur de cheminées. Romulus estoit rataconneur de bobelins. Octavien estoit ratisseur de papier. Charlemaigne estoit houssepaillier. Le pape Iules crieur de petitz pastez. Iehan de Paris gresseur de botes. Artus de Bretaigne degresseur de bonnetz. Perceforest portoit une hotte : ie ne sçay pas s’il estoit porteur de coustretz. Nicolas pape tiers estoit papetier. Le pape Alexandre estoit preneur de ratz. Le pape Sixte estoit gresseur de verolle. (Comment ? dist Pantagruel, y a il des verollez de par delà ? Certes, dist Espitemon, Ie n’en veiz oncques tant, il y en a plus cent millons. Car croyez que ceulx qui n’ont eu la verolle en ce monde icy, l’ont en l’aultre. Cor dieu, dist Panurge, ien suis doncques quitte : Car ie ay esté iusques au trou de Iubathar, et ay abatu des plus meures). Ogier de le dannoys estoit frobisseur de harnoys. Le roy Pepin estoit recouvreur. Galien Restauré estoit preneur de taulpes. Les quatre filz Aymon estoient arracheurs de dentz. Melusine estoit souillarde de cuisine. Matabrune lavandiere de buées. Cleopatra estoit revenderesse d’oignons. Helene esttoit courratiere de chambrieres. Semyramis estoit espouilleresse de bellistres. Dido vendoit des mousserons. Penthasilée estoit croissonniere.En ceste façon ceulx qui avoient esté gros seigneurs en ce monde icy, gaingnoient leur pouvre meschante et paillarde vie là bas. Et au contraire les philosophes, et ceulx qui avoient esté indigens en ce monde, de par delà estoient gros seigneurs en leur tout. Ie veiz Diogenez qui se prelassoit en magnificence avec une grand robbe de pourpre, et ung sceptre : et faisoit enrager Alexandre le grand, quand il n’avoit pas bien repetassé les chausses, et le payoit en grans coups de baston. Ie veiz Patelin qui marchandoit des petitz pastez que cryoit le pape Iules : et luy demanda combien la douzaine ? troys blancs, dit le pape. Mais dist Patelin, trois coups de barre, baillez icy villain baillez, et en allez querir d’aultres : et le pouvre pape s’en alloit pleurant, et quand il fut devant son maistre patissier, il luy dist, qu’on luy avoit ostez les pastez. Adonc le patissier luy bailla l’anguillade si bien que la peau n’eust riens vallu à faire cornemuses. Ie veiz maistre Iehan le mayre qui contrefaisoit du pape, et à tous ces pouvres roys et papes de ce monde faisoit baiser ses pieds : et en faisant du grobis leur donnoit la benediction, disant. Gaingnez les pardons coquins, gaignez, ilz sont à bon marché. Ie vous absouz de pain et de souppe : et vous dispense de ne valoir iamais riens, et appela Caillete et Triboulet, disant. Messieurs les cardinaulx depeschez leurs bulles, et chascun ung coup de pau sus les reins : ce que fut faict incontinent. Ie veiz maistre François Villon qui demanda à Xerces combien la denrée de moustarde ? ung denier, dist Xerces, à quoy dist ledict de Villon : Tes fiebvres quartaines villain, la blanchée n’en vault qu’ung pinart, et tu nous faiz icy les vivres : et adoncques pissa dedans son bacq, comme font les moustardiers à Paris. Or, dist Pantagruel, reserve nous ces beaulx comptes à une aultre foys. Seulement dys nous comment y sont traictez les usuriers : Adoncq dist Epistemon, Ie les veiz tous occupez à chercher les espingles rouillées et vieulx clous, parmy les ruisseaux des rues, comme vous voyez que font les coquins en ce monde. Mais le quintal de ses quinquailleries ne vault qu’ung boussin de pain, encores y en a il maulvaise depesche : par ainsi les pouvres malautruz sont aulcunesfoys plus de troys sepmaines sans manger morceau ny miette : et à travailler iour et nuict attendant la foire à venir : mais de ce travail et de malheureté y ne leur souvient point tant ilz sont mauldictz et inhumains, pourveu qu’au bout de l’an ilz gaingnent quelque meschant denier. Or, dist Pantagruel, faisons ung transon de bonne chere, et beuvons ie vous en prie enfans : car il fait beau boire. Lors degainnerent flaccons à tas, et des munitions du camp feirent grand chere. Mais le pouvre roy Anarche ne se povoit esiouyr. Dont dist Panurge, et de quel mestier ferons nous monsieur du Roy icy ? affin que il soit ià tout expert à l’art quand il sera de par delà à tous les diables. Vrayment, dist Pantagruel, c’est bien advisé à toy, or fays en à ton plaisir : ie te le donne. Grant mercy, dist Panurge, le present n’est pas de refus et l’ayme de vous.
Comment Pantagruel entra en la ville des Amaurotes. Et comment Panurge maria le roy Anarche, et le feist cryeur de saulce vert.
Chap. xxi Pres celle victoire merveilleuse Pantagruel envoya Carpalim en la ville des Amaurotes dire et annoncer comment le roy Anarche estoit prins, et tous leurs ennemys defaictz. Laquelle nouvelle entendue, sortirent au devant de luy tous les habitans de la ville en bon ordre et en pompe triumphale avecques une liesse divine le conduisirent en la ville. Et furent faictz beaulx feux de ioye par toute la ville, et belles tables rondes garnies de force vivres dressées par les rues. Ce fut ung renouvellement du temps de Saturne, tant il fut faict alors grand chere. Mais Pantagruel tout le Senat assemblé dist, Messieurs ce pendant que le fer est chault il le fault battre, aussi devant que nous desbauscher davantaige, ie veux que allions prendre d’assault tout le royaulme des Dipsodes. Par ainsi ceulx qui avecques moy vouldront venir, se aprestent à demain apres boire : car lors ie commenceray à marcher. Non pas qu’il me faille gens davantaige pour me ayder à le conquester : car autant vaudrait il que ie le tinsse desià, mais ie voy que ceste ville est tant pleine des habitans qu’ilz ne peuvent se tourner par les rues. Docnques ie les meneray comme une colonie en Dipsodie, et leur donneray tout le pays, qui est beau, salubre, fructueux, et plaisant sus tous les pays du monde, comme plusieurs de vous sçavent qui y estes allez aultrefoys. Ung chascun de vous qui y vouldroit venir soit prest comme iay dit. Ce conseil et deliberation fut divulgué par la ville, et le lendemain se trouverent en la place devant le palays iusques au nombre de dix huyt cens cinquante mille, sans les femmes et petitz enfans. Ainsi commencerent à marcher droict en Dipsodie en si bon ordre qu’ilz ressembloient es enfans d’Israel quand ilz partirent d’Egypte pour passer la mer rouge. Mais devant que poursuyvre ceste entreprinse ie vous veulx dire comment Panurge traicta son prisonnier le roy Anarche. Il luy souvint de ce que avoit raconté Epistemon comment estoient traictez les roys et riches de ce monde par les champs Elisées, et comment ilz gaingnoient pour lors leur vie à vilz et salles mestiers. Pourtant ung iour habilla son dict roy d’ung beau petit pourpoint de toille tout deschiquetté comme la cornette d’ung Albanoys, et de belles chausses à la mariniere, sans soulliers : car (disoit il) ilz luy gasteroient la veue, et ung petit bonnet pers avecques ung grand plume de chappon. Ie faux, car il m’est advis qu’il y en avoit deux : et une belle ceincture de pers et vert, disant que ceste livrée luy advenoit bien, veu qu’il avoit esté pervers. En tel point l’amena devant Pantagruel, et luy dist. Congnoissez vous ce rustre ? Non certes, dist Pantagruel. C’est monsieur du Roy de troys cuittes. Ie le veulx faire homme de bien : ces diables de roys icy ne sont que beaulx, et ne sçavent ny ne valent riens, sinon à faire des maulx es pouvres subiectz, et à troubler tout le monde par guerre pour leur inique et detestable plaisir. Ie le veulx mettre à mestier, et le faire cryeur de saulce vert. Or commence à cryer, Vous fault il point de saulce vert ? Et le pouvre diable cryoit. C’est trop bas, dist Panurge, et le print par l’oreille, disant. Chante plus hault, en g sol ré ut. Ainsi diable tu as bonne gorge, tu ne fuz iamais si heureux que de n’estre plus roy. Et Pantagruel prenoit tout à plaisir. Car ie ose bien dire que c’estoit le meilleur homme qui fut d’icy au bout d’ung baston. Ainsi fut Anarche bon cryeur de saulce vert. Et deux iours apres Panurge le maria avecques une vieille lanterniere, et luy mesmes fist les nopces à belles testes de mouton, bonnes hastilles à la moustarde, et beaulx tribars aux ailz, dont il en envoya cinq sommades à Pantagruel, lesquelles il mangea toutes, tant il les trouva appetissantes : et à boire belle biscantine et beau corme. Et pour les faire dancer, loua ung aveugle qui leur sonnoit la note avecques la vielle. Et apres disner les amena au palays et les monstra à Pantagruel, et luy dist monstrant la mariée. Elle n’a garde de péter. Pourquoy ? dist Pantagruel. Par ce, dist Panurge, qu’elle est bien entommée. Quelle parabolle est cela ? dist Pantagruel. Ne voyez vous pas, dist Panurge, que les chastaignes qu’on faict cuyre au feu, si elles sont entieres elles petent que c’est raige : et pour les engarder de peter l’on les entomme. Aussi ceste mariée est bien entommée par le bas, ainsi elle ne petera point. Et Pantagruel leur donna une petite loge aupres de la basse rue, et ung mortier de pierre à piller la saulce. Et frient en ce point leur petit mesnage : et fut aussi gentil cryeur de saulce vert que feust oncques veu en Utopie. Mais l’on m’a dit despuis que sa femme le bat comme plastre, et le pouvre sot ne se ose desfendre, tant il est nies.Comment Pantagruel de sa langue couvrit toute une armée, et de ce que l’auteur veit dedans sa bouche.
Cha. xxiiInsi que Pantagruel avecques toute sa bande entrerent es terres des Dipsodes, tout le monde se rendoit à luy : et de leur franc vouloir luy apportoient les clefz de toutes les villes où il alloit, excepté les Almyrodes, qui voulurent tenir contre luy, et feirent response à ses heraulx, qu’ilz ne se rendroient point, sinon à bonnes enseignes. Et quoy, dist Pantagruel, en demandent ilz de meilleures que la main au pot, et le verre au poing ? Allons, et qu’on me les mette à sac. Adoncq tous se mirent en ordre comme deliberez de donner l’assault. Mais au chemin passans une grande campaigne, furent saisys d’une grosse houzée de pluye. À quoy ilz commencerent à se tremousser et se serrer l’ung l’aultre. Ce que voyant Pantagruel leur fist dire par les capitaines que ce n’estoit riens, et qu’il voyait bien au dessus des nues que ce ne seroit qu’une petite venue : mais à toutes fins qu’ilz se missent en ordre et qu’il les vouloit couvrir. Lors se mirent en bon ordre et bien serrez. Adoncques Pantagruel tira la langue seulement à demy, et les en couvrit comme une gelline faict ses poulletz. Ce pendant ie qui vous fays ces tant veritables contes, m’estoys caché dessoubz une feuille de Bardane, qui n’estoit point moins large que l’arche du pont de Monstrible : mais quand ie les veiz ainsi bien couverts ie m’en allay à eulx rendre à l’abrit : ce que ie ne peuz tant ilz estoient comme l’on dit, au bout de l’aulne fault le drap. Doncques le mieux que ie peu ie montay dessus et cheminay bien deux lieues sus sa langue, tant que ie entray dedans sa bouche. Mais o dieux et desses, que veiz ie là ? Iuppiter me confonde de la fouldre trisulque si ien mens. Ie y cheminois comme l’on faict en Sophie à Constantinople, et y veiz de grans rochiers, comme les monts des Dannoys, ie croy que c’estoient les dentz : et de grans prez, de grans foretz, et de fortes et grosses villes non moins grandes que Lyon ou Poictiers. Et le premier que y trouvay, ce fut ung bon homme qui plantoit des choulx. Dont tout esbahy luy demanday. Mon amy que fays tu icy ? Ie plante, dist il, des choux. Et à quoy ny comment ? dys ie. Ha monsieur, dist il, nous ne povons pas estre tous riches. Ie gaigne ainsi ma vie : et les porte vendre au marché en la cité qui est icy derriere. Iesus (dys ie) il y a icy ung nouveau monde. Certes (dist il) il n’est mie nouveau : mais l’on dit bien que hors d’icy il y a une terre neufve où ilz ont et soleil et lune et tout plain de belles besoingnes, mais cestuy cy est plus ancien. Voire mais (dis ie) mon amy, comment a nom ceste ville où tu portes tes choulx. Elle a (dist il) nom Alpharage, et sont Chrestiens gens de bien, et vous feront grang chiere. Brief ie me deliberay d’y aller. Or en mon chemin ie trouvay ung compaignon, qui tendoit aux pigeons. Auquel ie demanday. Mon amy dont vous viennent ces pigeons icy ? Sire (dist il) ilz viennent de l’aultre monde. Lors ie pensay que quand Pantagruel baisloit, les pigeons à pleines vollées entroient dedans sa gorge, pensant que feust ung columbier. Puis m’en entray à la ville, laquelle ie trouvay belle, bien forte, et en bel air, mais à l’entrée les portiers me demanderent mon bulletin, de quoy ie fuz fort esbahy, et leur demanday, messieurs y a il icy dangier de peste ? Ô seigneur (dirent ilz) l’on se meurt icy aupres tant que le chariot court par les rues. Iesus (dys ie) et où ? À quoy me dirent, que c’estoit en Laryngues et Pharyngues, qui sont deux grosses villes telles comme sont Rouen et Nantes riches et bien marchandes. Et la cause de la peste a esté pour une puante et infecte exhalation qui est sortie des abysmes despuis na guieres, dont ilz sont mors plus xxi. cens mille personnes, despuis huyct iours. Lors ie pense et calcule, et trouve que c’estoit une puante alaine qui estoit venue de l’estomach de Pantagruel alors qu’il mangea tant d’aillade, comme nous avons dit dessus. De là partant passay par entre les rochiers, qui estoient ses dentz, et feis tant que ie montay sus une, et là trouvay les plus beaulx lieux du monde, beaulx grans ieux de paulme, belles galleries, belles prariez, force vignes, et une infinité de cassines à la mode Italicques par les champs plains de delices : et là demouray bien quatre moys et ne feis oncques telle chere que pour lors. Puis me descendis par les dentz du derriere pour m’en venir aux baulievres : mais en passant ie fuz destroussé des brigans par une grand forest qui est vers la partie des oreilles : puis trouvay une petite bourgade à la devallée, iay oublyé son nom, où ie feis encores meilleure chere que iamais, et gaignay quelque peu d’argent pour vivre. Et sçavez vous comment ? à dormir : car l’on loue les gens à iournée pour dormir, et gaignent cinq à six solz par iour, mais ceulx qui ronflent bien fort gaignent bien sept solz et demy. Et contoys aux senateurs comment on m’avait destroussé par la vallée : lesquelz me dirent que pour tout vray les gens de par delà les dentz estoient mal vivans et brigans de nature. À quoy ie congneu que ainsi comme nous avons les contrées de deça et de delà les monts, aussi ont ilz deça et delà les dentz. Mais il faict beaucoup meilleur de deça et y a meilleur air. Et là commençay à penser qu’il est bien vray ce que l’on dit, que la moitié du monde ne sçay comment l’aultre vit. Veu que nul n’avoit encores escript de ce pays là où il y a plus de xxv. royaulmes habitez, sans les devers, et ung gros bras de mer : mais ien ay composé ung grand livre intitulé l’Histoire de Guorgias : car ainsi les ay ie nommez par ce qu’ilz demouroient en la gorge de mon maistre Pantagruel. Finablement ie m’en vouluz retourner et passant par la barbe me gettay sus ses espaules, et de là me devalle en terre et tumbe devant luy. Et quand il me apperceut, il me demanda. Dont viens tu Alcofrybas ? Et ie luy responds, de vostre guorge monsieur. Et despuis quand y es tu ? dist il. Despuis (dis ie) que vous alliez contre les Almyrodes. Il y a (dist il) plus de six moys. Et de quoy vivoys tu ? que mangeoys tu ? que beuvoys tu ? Ie responds. Seigneur de mesmes vous, et des plus fryans morceaux qui passoient par vostre guorge ie prenoys le barraige. Voire mais (dist il) où chyois tu ? En vostre guorge monsieur, dys ie. Ha ha tu es gentil compaignon, dist il. Nous avons avecques l’ayde de dieu conquesté tout le pays des Dipsodes ie te donne la chastellenie de Salmigondin. Grant mercy (dys ie) monsieur.Comment Pantagruel fut malade, et la façon comment il guerit.
Cha. xxiiiEu de temps apres le bon Pantagruel tumba malade, et fut tant prins de l’estomach qu’il ne povoit boire ny manger, et par ce qu’ung malheur ne vient iamais seul, il luy print une pisse chaulde, qui le tormenta plus que ne penseriez : mais ses medecins le secoururent tresbien et avecques force de drogues diureticques le feirent pisser son malheur. Et son urine estoit si chaulde que despuis ce temps là elle n’est point encores refroidye. Et en avez en france en divers lieux selon qu’elle print son cours : et l’on l’appelle les bains chaulx, comme à Coderetz, à Limous, à Dast, à Balleruc, à Neric, à Bourbonensy, et ailleurs. En Italie à Mons grot, à Appone, à Sancto Pedro dy Padua, à Saincte Helene, à Casa Nova, à Sancto Bartholomeo. En la comté de Bouloigne à la Porrette, et mille aultres lieux. Et m’esbahys grandement d’ung tas de folz philosophes et medecins, qui perdent temps à disputer dont vient la chaleur de cesdictes eaux, ou si c’est à cause du Baurach, ou du Soulphre, ou l’Allun, ou du Salpestre qui est dedans la minere : car ilz n’y font que ravasser, et mieulx leur vauldroit se aller froter le cul au panicault, que de perdre ainsi le temps à disputer de ce dont ilz ne sçavent l’origine, que lesdicts bains sont chaulx par ce qu’ilz sont issuz par une chauldepisse du bon Pantagruel. Or pour vous dire comment il guerit de son mal principal ie laisse icy comment pour une minorative il print quatre quintaulx de Scammonée Colophaniacque, six vingtz et dix huyt chartées de Casse. Onze mille neuf cens livres de Reubarbe, sans les aultres barbouillemens. Il vous fault entendre que par le conseil des medecins fut decreté qu’on osteroit ce que luy faisoit le mal à l’estomach. Et de faict l’on fist xvii. grosses pommes de cuyvre plus grosses que celle qui est à Romme à l’aiguille de Virgile, en telle façon qu’on les ouvroit par le meillieu et fermoit à ung ressort. En l’une entra ung de ses gens portant une lanterne et ung flambeau allumé. Et ainsi l’avalla Pantagruel comme une petite pillule. En cinq aultres entrerent d’aultres gros varletz chascun portant ung pic à son col. En troys aultres entrerent troys paysans chascun ayant une pasle à son col. Es sept aultres entrerent sept porteurs de coustretz chascun ayant une gourbeille à son col. Et ainsi furent avallées comme pillules. Et quand furent en l’estomach, chascun desfit son ressort et sortirent de leurs cabanes, et premier celluy qui portoit la lanterne, et ainsi chercherent plus de demye lieue où estoient les humeurs corrumpues. Finablement trouverent une montioye d’ordures : alors les pionniers fraperent sus pour les desrocher et les aultres avecques les pasles en emplirent les gourbeilles : et quand tout fut bien nettoyé, chascun se retira en sa pomme. Et ce faict Pantagruel se parforce de rendre sa guorge, et facillement les mist dehors, et ne monstroient en sa guorge en plus qu’ung pet en la vostre, et là sortirent hors de leurs pillules ioyeusement. Il me souvenoit quand les Gregeoys sortirent du cheval en Troye. Et par ce moyen fut guery et reduyt à sa premiere convalescence. Et de ces pillules d’arain en avez une en Orleans sus le clochier de l’esglise de saincte Croix.Vous aurez le reste de l’histoire à ces foires de Francfort prochainement venantes : et là vous verrez comment trouva la pierre philosophalle. Et comment il passa les monts Caspiens, comment il naviga par la mer Athlanticque et desfit les Caniballes et conquesta les isles de Perlas. Comment il espousa la fille du roy de Inde dit Prestre Iehan. Comment il combatit contre les diables, et feist brusler cinq chambres d’enfer, et rompit iiii. dentz à Lucifer et une corne au cul. Comment il visita les regions de la lune, pour sçavoir si à la verité la lune n’estoit pas entiere : mais que les femmes en avoient iii. quartiers en la teste. Et mille aultres petites ioyeusettez toutes veritables : ce sont beaux textes d’evangilles en françoys. Bonsoir messieurs, pardonnate my, et ne pensez pas tant à mes faultes que vous ne pensez bien es vostres.
Finis.