Panthéon égyptien/61

La bibliothèque libre.
Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 129-130).

LE SPHINX DU DIEU PHRÉ,

OU DU SOLEIL.
Planche 24 (E)

Quoique Phré, ou le Dieu-Soleil, reçût de l’Égypte entière un culte très-solennel, et que peu de grandes divinités aient été l’objet de tant d’hommages, ses représentations au propre offrent, en général, peu de variétés soit dans l’ensemble, soit dans les détails des attributs ; tandis que certains dieux et quelques déesses d’un rang très-inférieur à celui du premier né de Phtha, se montrent, sur les monuments, sous des formes très-différentes, soit qu’ils empruntent la tête de divers animaux, soit par le changement des emblèmes et des décorations qui servent à les distinguer dans telle ou telle de leurs attributions divines. Mais si les images du dieu Phré sont presque toujours semblables, il existe une très-grande variété dans les symboles consacrés à rappeler l’idée de cet être bienfaisant, de ce roi conservateur du monde physique.

Parmi ces emblèmes, dont il a paru indispensable de comprendre la série entière dans ce recueil, l’animal fantastique gravé sur cette planche n’est pas un des moins importants ; et quoique jusqu’ici on ait voulu regarder le Sphinx comme un emblême exclusif des mystères du débordement, de la terre d’Égypte, ou de tout autre phénomène céleste ou terrestre, il est indubitable que le sphinx est, dans certaines occasions, un symbole du Soleil ou du dieu Phré, sur les monuments d’ancien style égyptien. La légende hiéroglyphique, peinte à côté de celui que nous publions aujourd’hui, contient textuellement, en effet, l’expression des idées (le Soleil) Dieu grand seigneur du ciel : c’est le texte même d’une formule inscrite sur l’obélisque transporté jadis d’Égypte à Rome pour être érigé dans le grand cirque, formule qu’Hermapion a rendue très-littéralement par les mots Ἥλιος θεὸς μέγας δεσπότης οὐρανοῦ[1].

Ce sphinx, tiré d’une magnifique momie de la collection égyptienne de S. M. le roi de Sardaigne, existe sur le premier cercueil, au milieu de peintures d’autant plus curieuses, que plusieurs présentent, contre l’ordinaire des monuments de ce genre, un véritable intérêt historique. Le défunt, qui tenait un rang distingué dans l’ordre sacerdotal puisqu’il était voué au culte des souverains de la XVIIIedynastie égyptienne, est représenté à genoux devant un autel chargé de pains sacrés et de fleurs de lotus. Auprès des offrandes et sur un piédestal richement décoré, repose le sphinx symbolique du Soleil : la tête humaine barbue et le corps du lion, sont de couleur verte ; une housse couvre son dos, et un grand uræus ailé s’élève en grands replis au-dessus de la croupe de l’animal fantastique, et exprime la puissance royale dont le dieu Phré, considéré comme le père des rois, était en quelque sorte la source et le prototype. Une petite image de la déesse Saté (la Junon égyptienne), assise entre les pattes antérieures du sphinx, paraît se rapporter à la même idée.

Le sphinx, qui est ici un emblême du dieu Phré, n’a jamais indiqué, comme c’est l’opinion commune, la présence de cet astre dans les signes du Lion et de la Vierge ; cette explication était d’autant moins fondée, que la tête humaine de la plus grande partie des sphinx de travail véritablement égyptien, est une tête mâle, caractérisée par la barbe, ce qu’on ne saurait rapporter à l’astérisme de la Vierge. Le seul passage des écrivains classiques, relatif à cet animal fantastique, et qui soit en harmonie parfaite avec les faits démontrés par les monuments, se trouve dans Clément d’Alexandrie, Ve livre des Stromates, où on lit[2] que le sphinx, chez les Égyptiens, fut le symbole de la force unie à la prudence ou à la sagesse : la première de ces qualités était exprimée par le corps entier du Lion τὸ σῶμα πᾶν λέοντος, et la seconde par la face d’homme, τὸ πρόσωπον ἀνθρώτου, unie au corps de l’animal.

Le sphinx étant ainsi, dans les anaglyphes, le signe de deux qualités essentiellement propres à toutes les essences divines et aux êtres mortels les plus favorisés des dieux, devint, par cela même, un emblême commun à la plupart des divinités du premier et du second ordre, et aux souverains de l’Égypte. J’ai reconnu, en effet, sur les monuments, un grand nombre de dieux et de déesses, de pharaons, de Lagides et d’empereurs, représentés sous la forme même d’un sphinx ; ce qui exclut toutes les interprétations tirées de l’astronomie ou des phénomènes naturels, qu’on a voulu donner de cet emblème.

On distingue les sphinx, images symboliques des différentes divinités, par les insignes caractéristiques de chacune d’elles, placées sur la tête du monstre. Le disque solaire peint en rouge ou en vert, surmonte la coiffure du sphinx emblême du dieu Phré, et rappelait aux Égyptiens la force et la sagesse de l’être céleste qui, dans leur système cosmologique, régissait et gouvernait l’univers matériel.


Notes
  1. Hermapion, voy. Ammien-Marcellin, liv. XVII, ch. IV.
  2. Ἀλκῆς τε αὖ μετὰ συνέσεως ἡ σφίγξ. Τὸ μὲν σῶμα πᾶν λέοντος, τὸ πρόσωπον δὲ ἀνθρώπου ἔχουσα. Strom., lib. V, p. 671 ; édit. d’Oxfort.

——— Planche 24 (E) ———