Par nos champs et nos rives/24

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Imprimé au Devoir (p. 69-70).

LE MARIN


Là-bas, la vague est en furie,
Le marin sombre dans les flots,
Mais nul ne voit son agonie,
Et nul ne connaît ses sanglots…


Ô pauvre marin, ô pauvre être !
Que le fleuve, ce grand berceau,
Engloutit à jamais, peut-être,
Sans sépulture et sans tombeau !



Quand, dans cette mouvante plaine,
En mourant tu fermes les yeux,
Te rappelles-tu, capitaine,
La bonne terre des aïeux ?…


Te rappelles-tu les collines,
Où flotte l’âme des défunts,
Et dans les haleines salines,
En respires-tu les parfums ?…


Sens-tu, dans ton âme oppressée,
Revivre les secrets bonheurs,
De ta chère enfance bercée
Par les chansons des moissonneurs ?…


Vaincu par la grande traîtresse
Qui va te saisir pour toujours,
Implores-tu, dans ta détresse,
Le calme infini des labours ?…


Ô marin ! Quand ton œil s’embrume,
Dans l’immensité des flots noirs,
Évoques-tu le toit qui fume,
Dans le grand silence du soir ?…