Par nos champs et nos rives/35

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Imprimé au Devoir (p. 95-96).

LE SIGNE DE CROIX


Jadis, quand les anciens partaient pour les semailles,
Vêtus de leur « capot » « d’étoffe du pays »,
Et suivis de leurs bœufs dociles et soumis,
Dont l’attelage était formé de lourdes mailles,


Après avoir quitté leur étable et leur toit,
Au bord du champ, « parés » pour la besogne austère,
Avant de commencer à labourer la terre,
Ils esquissaient, sur eux, un grand signe de croix.



Et la joie émergeait au fond de leur pensée,
Par ce signe de croix qu’ils avaient fait sur eux ;
Il leur semblait qu’un bras secret poussait leurs bœufs
Et leur souffrance était bénie et sanctifiée…


Et leurs bœufs, secouant leur col nerveux et roux,
Tiraient le soc d’acier dans le cœur de la plaine,
Et le bon paysan jetait la bonne graine,
Dans ce sol, où germait la moisson de chez nous…


Et, le soir, revenant s’asseoir près de leur femme,
Pour manger de ce pain, fruit vivant des côteaux,
Ils faisaient chaque fois, du bout de leur couteau,
Un grand signe de croix, lentement, sur l’entame…


Ô fervents de jadis, ô croyants d’autrefois,
Doux « habitants », gardiens des plus sublimes gestes,
Vers vos mains le Seigneur tendit ses mains célestes,
Et vous fûtes sauvés par le signe de croix !…