Par nos champs et nos rives/58

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Imprimé au Devoir (p. 149-150).

SOLITUDE


Le vent souffle sur la montagne,
Il fait bien froid, il fait bien noir.
Ô solitude, ô ma compagne,
Auprès de moi reviens t’asseoir !…

Des jours heureux de mon enfance,
Des jours d’espoir, des jours d’amour,
Du temps joyeux de l’innocence,
Viens, nous parlerons tour à tour !


Revivons les heures lointaines
Où, dans mes plaisirs ingénus,
Parmi les buissons et les plaines,
Je courais, tout le jour, pieds nus !…

Revivons ces jours de chimère
Où le vent me faisait frémir ;
Revivons ce temps où ma mère
Chantait, le soir, pour m’endormir !…

Parle-moi des heures d’ivresse,
De ces jeunes ans embrasés
Où le jour est une caresse,
Où les brises sont des baisers !…

Ô ma sœur, ô ma solitude,
Suis-moi dans le champ du destin :
Je veux compter la multitude
De tous mes chers bonheurs éteints,

Comme un vaincu, sa tâche faite,
Dans le champ que jonchent les corps,
Après la navrante défaite,
Compte en silence, tous ses morts !…