Paravents et Tréteaux/15

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy, éditeur (p. 149-156).

LE VIEUX COLLÈGE




Dit au banquet des anciens élèves de Rollin, le 1er Février 1881.





OR çà, nous avons banqueté,
Chers camarades, la gaîté
Pétillant au fond de nos verres
Nous a tous mis en bel entrain :
Voici le moment du refrain,
Du refrain si cher à nos pères !
Entonnons-le gaillardement,
Sans autre souci du solfège :

Fêtons le souvenir charmant,
Le souvenir du Vieux collège !

Et d’abord, qu’il me soit permis
De déplorer, — ô mes amis ! —
Que notre bien-aimé poète,
Notre Nadaud, ne soit point là
Pour chanter cet Alleluia
Et pour égayer cette fête !
À Nadaud devait revenir
Plus qu’à moi, le doux privilège
De célébrer le souvenir
De notre cher et Vieux collège !

Mais puisque, loin de nos frimas,
L’ingrat s’en va là-bas, là-bas,
Passer les durs mois de l’année,
Et, paresseux, en plein soleil,
Se mire dans ton flot vermeil,
— Ô douce Méditerranée ! —

Puisqu’il est absent aujourd’hui,
Malgré la crainte qui m’assiège,
Je vais pour lui, — moins bien que lui ! —
Chanter le cher et Vieux collège !

Savez-vous qu’il est vraiment beau,
Mes amis, le Rollin nouveau
Ceint de sa coquette muraille,
Et semble du dernier galant,
Ainsi qu’un gommeux, étalant
Son plastron de pierre de taille ?
Oui, certes, il a de grands airs,
Sous le ciel pur ou sous la neige,
Et nous avons droit d’être fiers
De notre cher et Vieux collège !

Mais parfois nous pensons aussi,
Nous qui pour la plupart, ici,
Connaissons le « Cap de Trentaine »,
Nous pensons souvent, n’est-ce pas,

À l’ancien Rollin de là-bas,
Grand-père du Rollin-Trudaine ?
Du Rollin des Postes souvent
Le ressouvenir nous assiège,
Et nous croyons, tout en rêvant,
Revivre en notre Vieux collège !

Voici les cours soudainement
Pleines d’un joyeux mouvement
À l’heure où finissait la classe ;
Voici la fontaine, où pendait
Un vaste et superbe godet
Bien avant le godet Wallace ;
Voilà le luxueux parloir,
Où quelquefois, — ô sacrilège ! —
Des visiteuses à l’œil noir
Venaient troubler tout le collège !

Voilà l’horloge, où chaque jour
Nous envoyions avec amour

De terribles grêles de balles…
Pauvre cadran, qui, noir de coups,
Nous a donné les avant-goûts
Des cibles territoriales !
L’hiver, voilà le grand conflit
Dans la cour, à boules de neige ;
L’été, voilà les bains Petit,
Où barbotait tout le collège !

Voilà l’étude aux murs de chaux,
Où nous potassions nos bachots
Sous la lampe fumeuse et pâle ;
Où le nez dans nos Thesaurus,
Nous faisions des sommes en us
Avec une ardeur sans égale !
Où sur nos pupitres très durs
Nous gravions nos noms par cortège,
Pour léguer aux siècles futurs
Le livre d’or du Vieux collège !


Voilà le réfectoire, enfin,
Où, pour apaiser notre faim,
Pour aiguiser nos dents novices,
Jamais, — même aux jours de régal ! —
Le cuisinier municipal
Ne nous a servi d’écrevisses !
Si depuis, en vers insensés,
L’un de nous, — que le ciel protège ! —
A célébré ces crustacés…
Lui pardonne le Vieux collège !

Heureux temps, où notre souci
Était d’avoir bien réussi
Quelques versions ingénues,
Où, dans notre conjugaison,
Gaillard père ou Père Loyson
Étaient formules inconnues !
Où, sans souci du lendemain,
Troupeau que la jeunesse agrège,

L’esprit frais, le cœur sur la main,
Nous aimions notre Vieux collège !

Heureux temps, plein d’illusions,
Où, tout naïfs, nous traduisions
L’harmonieuse bucolique,
L’apostrophe à Catilina…
Où nous ignorions les Nana
Et ne parlions pas politique !
Heureux temps, où des cheveux teints,
Enfants, nous méprisions le piège,
Et n’avions point d’autres lointains
Que les vieux murs du Vieux collège !

Heureux temps, où nous pensions peu
Soldats, aller un jour au feu
Défendre la France meurtrie ;
Où jamais nous n’aurions cru voir,
Aux sombres jours de désespoir,
Saigner le cœur de la Patrie…

Hélas ! combien de nous, frappés
Dans cette guerre sacrilège,
Avec nous seraient occupés
À fêter notre Vieux collège !

Heureux temps, vite évanoui !
Sachons donc, amis, aujourd’hui,
Nous que son souvenir rassemble,
Le célébrer avec élan :
Quand on se voit une fois l’an,
C’est bien le moins qu’on crie ensemble :
« Vive Rollin ! » — Cris triomphants
Que nos enfants, — Dieu les protège ! —
Répéteront à leurs enfants :
« Vive le cher et Vieux collège ! »