Paravents et Tréteaux/9
DECRESCENDO
oin du travail et des ennuis !
Je me sens le cœur tout en fête !
Je ne sais pourquoi, mais je suis
En gaîté des pieds à la tête !
Je vais vivre comme un rentier
Aujourd’hui, jusqu’à la nuit close !
Au diable patron, atelier !
À bas le noir ! vive le rose !
Avec les vrais amis, je veux
Ce soir, boire verre sur verre !
Et si je me brouille les yeux,
Ma foi !… je dormirai par terre !
À la barrière, par là-haut,
J’ai découvert, l’autre dimanche,
Un certain Argenteuil, qui vaut
La peine de lever la manche.
Aujourd’hui, mon joli clairet,
Je veux te fêter d’importance…
Et pour l’avenir, je suis prêt
À cultiver ta connaissance.
À tous les amis je dirai :
Qu’on se dépêche et qu’on arrive !
Il faut ce soir, bon gré, mal gré,
Que je sois… gai comme une grive !
Un bon dîner, dans les salons,
Un vin qu’aisément on avale…
Ce menu vous va-t-il ? — Allons !
Acceptez : c’est moi qui régale !
Ils accepteront, c’est certain !
Je les connais, les camarades.
Alors, en avant le festin,
Le bon vin à pleines rasades,
Le couplet grivois ou moqueur
Qui s’échappe de la bouteille,
Et qu’on répète tous en chœur,
Au dessert, assis sous la treille !
Or çà, partons vite d’ici !
Mais avant de me mettre en course,
Je n’ai rien oublié ?… Non !… Si !
Parbleu ! j’allais laisser ma bourse !
Ma bourse ?… Eh ! sans doute ! Il faut bien
La prendre… Diable ! Elle est légère…
Et le dîner n’est pas pour rien
Au cabaret de la barrière !
Mais je régale ! C’est promis !
Promis ?… Je n’ai rien dit, en somme !
Et si je traite mes amis,
C’est que je suis un fort brave homme !
Les amis… Peuple bien changeant,
Bien ingrat, et qui ne sert guères
Qu’à vous demander de l’argent…
Ainsi que les propriétaires !
Le mien m’a dit tout justement,
— Avec des paroles très fermes, —
De payer, pour mon logement,
Au moins la moitié de mes termes.
L’avare !… Je n’en dois que trois !
Comprenez-vous cette insistance ?…
Si l’on ne résistait, je crois
Qu’il vous ferait payer d’avance !
Il faudra pourtant bien payer…
Ma femme a promis de le faire !
Ma femme !… Encore un beau loyer !
Mais, hélas ! sans sous-locataire !
Une bavarde, qui voudrait
Me voir pleurer dès qu’elle pleure,
Et, quand je vais au cabaret,
Me sermonne pendant une heure !
Non ! tout n’est pas rose vraiment
Dans ce pauvre monde où nous sommes :
Ce n’est pas pour leur agrément
Que le bon Dieu créa les hommes !
Au moins aurait-il dû penser,
— Cela lui soit dit sans reproche, —
Quand il les fit, à leur laisser
Toujours de l’argent dans leur poche !
Non ! sur la terre, rien de beau…
Je suis triste… j’ai l’âme en peine…
Et si je pouvais souffrir l’eau,
Je me jetterais à la Seine !