Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/19

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(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. Ill.-218).
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Tragédie de l’érotomanie.

XIX


Érotomanie à l’état aigu. — Valet-sigisbée. — Mlle Adrienne de K… — Fin tragique de la baronne de K… — Les maîtresses servantes : pies voleuses.


Le drame, la tragédie et la folie furieuse guettent l’érotomane à chaque pas de ses aventures passionnelles. Les faits divers s’encadrent, suivis, palpitants, horribles, dans les colonnes des journaux : femmes éventrées, hachées de coups de couteau, charcutées et incinérées, trouvaille de membres découpés à la hache, parsemés ; ici, une tête coupée, exposée à l’appui d’un balcon ; là, un cadavre exsangue dont les parties sexuelles ont été arrachées ; et encore, le poison qui tord le corps dans d’affreuses convulsions, les ablations assassines.

L’invraisemblable est le fait, le crime est instantané ou idée fixe.

La baronne de K… était une victime vouée au molochisme érotique.

De vénale, son érotomanie était devenue cérébrale, passionnellement effrénée. Les choses extérieures n’étaient plus perçues qu’à travers un voile dément qui la claustrait dans une perpétuelle vision d’innovations lubriques. Rien ne comptait plus pour elle que l’assouvissement de ses transports érotiques, dans la torture d’elle-même.

Dans un autre milieu, elle eût fait une sainte de l’ascétisme tortionnaire.

Son tempérament névrotique, acerbé, ne lui avait pas suggéré, comme à ses émules des jeux des orgies priapiques, les diversions de repos ; elle s’était, entière, livrée au démon des luxures infernales, qui la tordaient en damnée de l’amour, s’exubérant encore dans une atmosphère cérébrale plus satanique, en la vision du monstre mythologique.

Elle avait cru trouver son idéal en une sorte de colosse campagnard, paillard, sournois et cupide, un Jean-loupette terreux, qui lui servait de cocher et de valet de chambre.

Elle était devenue sa chose, son esclave, soumise à toutes les humiliations de la brute, traitée en rosse de la féminité, prête à tous les sacrifices pour ne pas le perdre.

Elle hurlait sous la pression brutale des pollutions du rustre, elle hurlait sous les coups de son fouet dominateur, elle hurlait de ses morsures de bête assassine, toujours soumise, rampant à ses pieds, sans lui crier grâce, se raidissant sous ses sarcasmes de brute, le provoquant dans ses affalements d’ivrogne de sang.

Il l’avait prise par surcroît, avec l’argent turpide amassé et les clefs des armoires, commandant stupidement absolu, lui crachant son parler immonde au visage.

L’horrible se lie à l’horrible, le crime engendre le crime.

Adrienne, la fille si aimée, jadis si chère, avait été retirée du couvent et jetée palpitante par sa mère dans les bras de son immonde amant.

Mlle de K… avait alors dix-huit ans.

Peut-être avait-elle déjà appris bien des choses étrangères à l’éducation d’une jeune fille, car elle assista à son immolation, sans qu’une protestation sortît de ses lèvres, sans un geste de défense.

Elle se courba au joug, associée de monstrueuses pratiques de sa mère, dans la fascination hystérique du mâle puissant, frémissante de sensations de rut, dominée par l’attraction polluatrice.

Cette vie à trois fut bientôt un enfer ; la baronne, furieuse de se voir préférer sa fille, jeune et fraîche, avait des transports de rage qui la faisaient se jeter en tigresse sur Adrienne, lui labourant le corps de ses ongles, la déchirant de morsures.

Une haine intense, farouche, couvait dans l’âme des trois acteurs de ces priapées sataniques.

— La vieille ne crèvera donc pas ? disait le valet à la fille.

Et, en lui, s’ancra une idée fixe : l’assassiner, non pour s’en débarrasser par fatigue, car elle était sa marmite, mais pour s’emparer du capital de trois cent mille francs que sa mort lui livrerait, avec la possession d’Adrienne.

Il creusa longtemps son projet, modant le moyen pour échapper aux conséquences de son crime.

La complicité de la fille lui parut indispensable.

Pour la première fois, Adrienne se révolta.

L’assassin parut avoir abandonné son idée, mais le soir même, tenant la baronne renversée, pressée sous ses genoux, il lui écrasa la poitrine.

Il voulut se justifier auprès de la fille, présente au drame qui venait de s’accomplir, hallucinée d’horreur.

Elle ne dit pas un mot, mais le lendemain matin on trouva le valet poignardé dans son lit et Adrienne empoisonnée avec du laudanum.

La femme qui se livre à son valet, se met moralement et physiquement la corde au cou : une perversité de plus dans l’esprit du turpide et le nœud se serre.

Les maîtresses servantes sont plus canailles, plus cupides et combien plus rouées, plus dangereuses.

Le peintre B…, octogénaire assez dépravé, avait pour bonne une Bretonne, dont il avait fait sa maîtresse, et qui augmentait encore ses gages en se livrant à la prostitution.

Des amis communs tentèrent d’éclairer le vieillard sur la conduite de la Bretonne et sur les dangers qu’il courait.

Il ne voulut rien entendre, se brouilla avec eux, en les accusant de calomnie.

À sa mort, ses héritiers, des neveux, qui n’avaient été prévenus de la maladie de l’oncle que par la lettre de faire part d’enterrement ; ne trouvèrent que cent mille francs en actions au lieu de trois cent mille qu’accusaient ses revenus, et plus un seul objet de la magnifique collection de bijoux anciens qu’il avait rassemblés.

Le lever des scellés et l’inventaire avaient été faits devant eux par le juge de paix et le notaire, lorsqu’un commissionnaire se présenta demandant à parler « à Mouchieu B… ».

— Il est absent, répondit le notaire jovial.

— Cha n’fait rien, ch’attendrai.

— Que lui voulez-vous ?

— Ch’ai une lettre qui n’est pas minche à lui remettre, parlant à cha personne.

— Ce sera fort difficile, car il est mort.

— Alors qui va m’payer ma courche ? ch’est vingt chous.

— Tenez, voilà deux francs. Donnez-moi votre lettre ; je suis son notaire.

La lettre, qui n’était pas mince, comme avait dit l’Auvergnat, contenait vingt actions de la Ville de Paris, qu’un cordonnier marlou de la bonne, qui les lui avait remises en dépôt, retournait à leur propriétaire en l’informant des débordements de la Bretonne.

Le notaire comprit que le recéleur se vengeait pour une raison ou une autre de sa marmite, et avisa le Parquet.

Des perquisitions habiles provoquées par des investigations, faites dans le quartier où tous les boutiquiers connaissaient les turpitudes de la bonne-maîtresse, firent découvrir cinq autres marlous, tous cordonniers, en possession de cent cinquante mille francs en actions, de la collection de bijoux et d’un capharnaum d’objets d’ameublement que la fille leur avait confiés.

À l’instruction, conseillée par un avocat roublard, de ces jolis messieurs qui ont juré de ne défendre que des causes justes et qui ne vivent que de fripouilleries, il fut impossible d’en tirer autre chose que :

— C’est Monsieur qui me les a donnés, j’étais sa maîtresse.

Mais la cruche était cassée ; elle fut condamnée.