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Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/20

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(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. 219-230).
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XX


Les chauffeuses. — Insanités de romance. — La pseudo-duchesse de Malespine. — Les industrielles du flirt. — Aventures d’un Français à Londres. — Les femmes qui tuent. — Les hommes qui assassinent.


Les tableaux que je viens d’exposer sont plus d’application brutale que d’impression, tant les faits sont partout saisissables. Le véritable piège, est cette érotomanie simulée, aux apparences de mièvrerie ou de bon garçonnisme, qui se prête aux combinaisons de l’escroquerie : genre qui est pratiqué sur une grande échelle de l’autre côté du détroit, protégé par la loi britannique en ses pudibonderies picaresques.

Je veux parler des chauffeuses de l’érotisme qui, dans leurs entreprises contre l’homme dont la conquête doit servir à son exploitation, déploient tous les raffinements que la lascivité et la lubricité peuvent suggérer.

Je m’abstiendrai de faire état du sourire, du regard, tout-puissants qu’ils soient sur les natures tendres, poétiques ou ramollies. Toutes les femmes possèdent l’art et l’esprit de ce jeu d’attrape-nigauds et savent dans les circonstances propices le mettre à profit.

On connaît toutes les insanités des romances pour pensionnaires : Pour un sourire de tes lèvres, pour un regard de tes yeux, je braverais l’Univers, j’irais te chercher une couronne au plus profond des enfers, je décrocherais les étoiles pour t’en faire une parure, et autres calembredaines de l’espèce.

On connaît à peu près le nombre d’imbéciles qui ont sombré à Charenton, qui ont piqué une tête dans la Seine, qui ont rôti sur le gril de saint Laurent, qui se sont pendus, revolvérisés, asphyxiés, qui ont perdu leurs cheveux, pour un sourire de ces lèvres-là, pour un regard des yeux des croqueuses de millions et d’héritages, mais on n’a jamais vu le Temps braver l’Univers et, certes, ce n’est pas lui qui s’arrête aux bagatelles de la porte.

On m’objectera que tous les hommes ont été plus ou moins braisés par ce petit jeu.

Je le sais ; à preuve le petit tringlot qui écrivit à la duchesse de Malespine :

« Ton sourire se promène en cabriolet sur le boulevard de mon cœur, et l’ardeur de ton regard a fait roussir les poils de ma capote. »

C’était une chauffeuse bon garçon que cette prétendue duchesse de Malespine, pudique à jeter son cœur aux passants par le balcon.

Mais avec les hommes suffisamment métallisés qu’elle voulait exploiter, à l’état de mines à revenus permanents, elle y mettait des formes, beaucoup plus même qu’une honnête femme qui ne vise qu’au mariage.

Dans la conversation, c’était une jarretière qui se décrochait et qu’elle remettait, montrant une jambe bien faite et le liséré de chair rose qui l’intersectionnait avec la jambe du pantalon. C’était le froid de la pièce qui lui faisait relever ses jupes jusqu’au nombril, pour présenter sa demi-pose de face au feu de la cheminée, laissant apercevoir, dans le fouillis de ses dessous impeccables, la ligne bien dessinée de séparation du bassin de Vénus.

Et elle causait toujours, faisant virer son fauteuil.

L’homme visé complimentait — le daim — se disant :

— Est-elle bon garçon, cette chère duchesse !

Oui, certes, elle ne demandait qu’à jouer au bouchon, pièce dessus.

Ceux qui ont assisté à la toilette intime de ces truqueuses, et ils sont nombreux puisque c’est leur miroir à alouettes, savent qu’elles n’ont pas besoin de se déshabiller davantage pour qu’on connaisse leur plastique, la nature et la couleur des accessoires ; car ce n’est pas précisément pour les aveugles qu’elles font montre de bon garçonnisme.

On connaissait à la Malespine autant d’amants que le calendrier porte de noms de saints, et elle avait avoué à la dame du Virolet qu’elle n’avait pas encore trouvé ce qu’elle cherchait.

— Quoi alors, ma chère ?

— Une bourse de sequins dans le fond d’une culotte.

C’est à peu près ce que toutes les chauffeuses cherchent.

D’autres sont frôleuses, intoxicantes.

Les plus hardies vont jusqu’aux sollicitations égarées, aux constatations priapiques.

Si en France des milliers de pigeons tombent dans les filets des chauffeuses, on n’y assiste que rarement à l’écœurant spectacle du chantage au mariage devant les tribunaux.

En Angleterre, il ne se passe pas de jour qu’une action de ce genre ne soit plaidée en justice.

Serait-ce parce que la France est le pays des merles et l’Angleterre celui des corbeaux ?

L’odyssée tribulatoire suivante est arrivée à Gustave Sabin, fils d’un riche manufacturier du Nord, que son père avait envoyé à Londres pour parfaire son éducation commerciale et linguistique.

Il avait pris pension dans une famille composée de la mère, et de quatre filles plus que majeures.

Tout cela s’appelait Schricks.

C’était un mari en expectative qui arrivait aux quatre pucelles, aussi lui firent-elles fête et bonne figure.

Le siège commença le soir de son arrivée : un entortillement de soins et de prévenances. Ce fut à qui des quatre traîtresses lui déballerait sa marchandise, ses grâces, son savoir-faire.

En rentrant dans sa chambre pour se coucher, le Français s’apercevait de plus en plus qu’il n’était pas chez lui : un soir, c’était la belle Jenny, l’aînée, qu’il trouvait dans son lit.

Le lendemain, c’était Anna, la cadette.

Le surlendemain, c’était Emely, la troisième.

Un autre soir, c’était Julia, la plus jeune, vingt-quatre ans et pas de corset, chose qui lui était tout à fait inutile.

À vingt-deux ans on ne chasse jamais une femme de son lit, fût-elle moricaude.

Mais, dans l’espèce, Sabin avait tort et on le lui fit bien voir, lorsqu’un soir, assis à la table du thé familial, la mère Schricks lui posa nettement la question du mariage.

— Vous avez couché avec mes filles, il n’y a d’autre remède à cela que le mariage, lui dit-elle.

— Je ne puis cependant les épouser toutes les quatre, répondit Gustave en plaisantant.

— Épousez-en d’abord une et faites une dot aux autres, je me contenterai de cela pour le moment.

— Laquelle me destinez-vous ?

— Choisissez, je laisse cela à votre discrétion. Mais je crois que Jenny a plus de droits à votre choix que ses sœurs.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle est la plus âgée et moins susceptible d’attraper un bon mari. D’ailleurs vous n’avez pas à vous plaindre, c’est une beauté faite au tour.

C’était vrai, c’était une tour avec une mâchoire à déraciner avec les dents un champ de betteraves.

Sabin n’était pas convaincu que cela fût un heureux choix.

La mère Schricks, le voyant hésiter, lui offrit la cadette.

— Mon Anna est une belle femme, elle mesure cinq pieds huit pouces et elle sait faire le plum-pudding comme Sa gracieuse Majesté, lui dit-elle.

C’était encore vrai, la fille avait la taille d’un tambour-major, mais d’une maigreur squelettique.

Le Français avait fait la grimace.

— Voyons, il faut se décider, fit la mère Schricks. Prenez Emily. Elle a l’oreille un peu dure ; cela vous dispensera de lui conter vos affaires.

— Que voulez-vous que je fasse d’une femme sourde ? Comment pourra-t-elle me remplacer à la manufacture lorsque j’en serai absent ?

Cette objection du Français parut assez plausible à la vieille Anglaise, qui brûla ses vaisseaux en lui offrant la quatrième.

— Non, répondit Sabin. Tout bien réfléchi, je crois que je ne suis pas fait pour le mariage. Dans dix ans, si vous voulez, nous en reparlerons.

— C’est votre dernier mot, master Gustave ?

— Mon dernier mot, mistress Schricks.

— Nous plaiderons, master Gustave.

— Allez au diable, mistress Schricks. Ce n’est pas moi qui ai couché avec vos filles, ce sont elles qui ont couché avec moi, et je ne leur demande rien pour cela.

— Oh ! yes, vôs être very shocking ! master Gustave, s’écria la belle Jenny.

Sabin monta à sa chambre assez mécontent de cette scène de famille.

On ne lui parla plus de rien pendant quelques jours, et il croyait que l’affaire en resterait là, lorsqu’il reçut assignation à se présenter devant le Banc de la Reine, maintenant le Banc du Roi, où Georges VII aurait fait une drôle de figure si on lui avait demandé compte de toutes ses fredaines.

Par bonheur pour le Français, le juge était un gai compagnon.

Il se fit expliquer l’affaire qui le fit pouffer de rire.

Les quatre pucelles soutenaient que master Gustave leur avait promis le mariage.

Il y eut répliques et surrépliques des avocats, si bien que personne n’y comprenait plus rien.

L’affaire fut remise à quinzaine pour enquête.

En attendant, le juge retint Sabin, pour examiner s’il n’y aurait pas lieu à arrestation immédiate.

Quand tout le monde se fut retiré, il appela l’inculpé dans son cabinet et lui dit paternellement :

— Prenez aujourd’hui même le paquebot et repassez le détroit. Ayez soin de faire constater votre départ et votre présence en France d’ici à neuf mois. Les quatre garces et leur mère vous ont tendu un traquenard, mais je vais leur jouer un tour de bonne justice. Adieu, mon ami, vous me remercierez plus tard.

Le Français ne se fit pas répéter le conseil. Il rentra chez lui, prit son argent et ses papiers, et le soir il était à Calais.

À quinzaine, l’affaire fut retenue au rôle.

En l’absence de l’inculpé qui s’était excusé par lettre, le juge rendit un arrêt qui l’obligeait à épouser la fille Schricks qui, la première, présenterait un enfant né des œuvres du séducteur.

De retour chez elles, les quatre Anglaises s’examinèrent mutuellement la taille pour se rendre compte que le tournoi galant restait ouvert dans d’égales conditions.

Neuf mois après, elles présentèrent chacune, à la barre du Banc de la Reine, un poupon fraîchement débarqué du monde des esprits.

Devant les preuves présentées par Sabin, le juge les envoya se faire f… ailleurs.

C’est surtout dans les trains de chemins de fer que les chauffeuses anglaises pratiquent leur industrie. Elles sont légion, pistonnées par des pickpockets qui font auprès d’elles office de souteneurs.

Je suis loin de plaisanter les malheureuses que des excès de tendresse ont livrées aux bras de suborneurs indignes et qui, après les avoir rendues mères, les ont délaissées par spéculation. Mais il faut distinguer entre les victimes de l’amour et les chauffeuses embobineuses d’hommes, dont l’intérêt est le seul guide, qui, croyant leur proie solidement prise à leurs pièges, se révèlent alors cyniquement dans leur exécrable caractère de pieuvre.

L’homme, ainsi édifié, se reprend et cherche le salut dans une rupture, s’il n’est encore qu’à moitié bridé, dans le divorce, s’il est enchaîné à son crampon.

Elles se découvrent alors les misérables, en leurs crachements reptiliens, la moussure de leur bave et leurs exhalaisons de rage, jouant du revolver et du vitriol avec une virtuosité de furie.

La femme qui a réellement aimé un homme ne le maudit jamais, fût-il le dernier des gredins.

Il n’y a que les pasticheuses de l’amour qui se montrent théâtrales en leur défaite. Mlle de la Vallière, oubliée, ensevelit ses tendresses, toujours vivantes, dans le cloître, ne cessant d’adresser au ciel ses plus ferventes prières pour son Louis bien-aimé, tandis que la Mancini et la Montespan, les deux ambitieuses intrigantes qui visaient à la couronne, ne cessèrent de comploter contre leur royal amant, quand elles se virent déchues des honneurs dont leur corps était le prix.

On aime encore à se rappeler la douce figure d’Agnès Sorel, qui sacrifia sa jeunesse et sa beauté au malheureux Charles VII, rien que parce qu’il était malheureux ; se laissant publiquement frapper par le fils de l’homme qu’elle tentait d’arracher à la folie, et allant mourir à ses pieds à l’abbaye de Jumièges, en esclave résignée et toujours aimante ; et celle non moins charmante de Marie Leczinska, qui, pendant quarante-trois ans, souffrit sans se plaindre toutes les injures dont une femme puisse être accablée et expirait le pardon aux lèvres.

Que les théâtreuses de l’amour ne s’illusionnent pas ; la femme qui a du sang aux mains ne peut être qu’un monstre, Celle qui diffame son amant ou son mari ne peut être qu’une grue, dont elle a l’âme si elle n’en a pas la situation.

Que certains hommes tuent leur femme ! Je l’admets, ce sont des brutes, quand pas des marlous On ne peut changer leur nature bestiale.

Que la loi leur soit indulgente ! Je l’admets encore ; elle est digne d’eux.

Qu’ils la diffament et la déshonorent publiquement ! Je l’admets toujours ; je sais qu’ils ne valent pas cher, et que concubinage et mariage sont rarement une école de bonnes mœurs.

Mais il n’en reste pas moins vrai, qu’un homme qui tue une femme, l’eût-elle cent fois trompé, est encore plus indigne, plus misérable que sa victime, car jamais une femme n’a été tuée par amour, mais pour un des mille motifs sordides qui grouillent dans les âmes basses.

Ils ont vu rouge !

Je te crois, du feu qui ne faisait plus bouillir leur marmite.

Naturellement, l’accident n’est pas le crime.

La vérité dans l’amour terrestre est que le jeu ne peut pas toujours durer. Tout passe, tout lasse, tout casse. Quand on en a assez, bonsoir, la compagnie. On n’est ni des vaches ni des bœufs, et l’abattoir n’est pas une raison.

La comédie de l’amour est déjà assez lugubre sans qu’on y mette du sang.

Un mari, ou un amant philosophe est un sage ; le mot cocu par lequel on cherche à le persifler, appartient en propre à celui qui le remplace, car le véritable cocu est celui qui y est.

Je sais que ce n’est pas l’opinion de l’Académie ; mais allez demander un peu de logique à quarante bonshommes, faisant office d’inquisiteurs de la foi littéraire, qui ont la prétention, en plein vingtième siècle, de décréter tel mot orthodoxe et tel autre hérétique.

Hérétique ! À quoi cela rime-t-il aujourd’hui ?

Les femmes sont garces, j’en conviens, mais elles ne sont aimées que parce que les hommes sont bêtes.

Ce sont des diplomates toujours en accouchement d’une ruse ou d’un faux fuyant, et elles ont la partie belle avec des serins qui ne s’occupent que de leur chanter Gloria, et de manger leur millet.

Il est bien entendu que je parle en hérétique : toutes les femmes ne se disent-elles pas bonnes, vertueuses, et tous les hommes ne se croient-ils pas malins ?